LE SERVICE NATIONAL UNIVERSEL : UN DISPOSITIF RADICALEMENT OPPOSÉ AUX INTÉRÊTS DE LA JEUNESSE
Réalisation d’une promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2017, le Service national universel (SNU) consiste à imposer, actuellement à des adolescents dont les parents sont volontaires puis à terme à l’ensemble d’une classe d’âge (filles et garçons de quinze à dix-sept ans), l’obligation d’accomplir, en premier lieu, un séjour dit de cohésion de deux semaines, en second lieu, une mission d’intérêt général d’une durée équivalente ou de quatre-vingt-quatre heures. Hébergés en internat, les jeunes recrues servent sous un uniforme, sont astreints à la levée des couleurs et sont encadrés par du personnel civil mais surtout militaire. Pendant cette période, ils sont incités à s’engager ultérieurement dans des missions d’intérêt général de trois à douze mois avant leur vingt-cinquième anniversaire, notamment dans les domaines de la défense et de la sécurité, de la préservation du patrimoine et de l’environnement ou de l’aide à la personne. À cette fin, le SNU est notamment articulé avec le dispositif du service civique. Les jeunes du SNU font également l’objet de sollicitations appuyées de la part des sergents recruteurs des armées.
Dépourvu de base légale, le SNU procède d’une inspiration autoritaire. Au-delà des sommes déjà dépensées inutilement depuis son lancement, s’il devient obligatoire ou s’il parvient à se développer, il absorbera à terme des ressources extrêmement importantes au détriment de l’instruction publique et de la satisfaction des besoins fondamentaux de la jeunesse.
*
Le SNU va au-delà d’une simple résurgence en miniature de la conscription, suspendue depuis 1997 : il constitue un élément d’un projet autoritaire global. Comme l’annonçait le Gouvernement le 12 septembre 2018 « […] le SNU est un projet de société visant à favoriser le sentiment d’unité nationale autour de valeurs communes.. » Il s’agit d’« impliquer davantage la jeunesse française dans la vie de la nation », de lui « faire prendre conscience des enjeux de la défense et de la sécurité nationale » et de développer chez elle « […] une culture de l’engagement. » Ce projet exhale ainsi de discrets remugles de la période des chantiers de jeunesse, instruments de la Révolution nationale de Pétain créés le 30 juillet 1940. S’il est exagéré de voir dans le SNU une pâle réplique de ces derniers, celui-ci partage néanmoins avec eux la vaste ambition d’inculquer à la jeunesse l’esprit de discipline ainsi que le sens de l’autorité et de l’obéissance. Au fond, il épouse l’idéologie autoritaire qui infiltre la société par tous les pores, au moyen en particulier de la doxa officielle qui colonise les ondes ou d’instruments tels que le Contrat d’engagement républicain imposé par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République aux associations souhaitant bénéficier d’une subvention ou d’une aide en nature d’une collectivité publique ; l’actuelle République, celle mise en place par et pour la bourgeoisie, au service du capitalisme, inégalitaire, discriminante, etc.
Pour mener à bien ce projet tendant à emprisonner la jeunesse dans le filet de l’idéologie d’État et de l’embrigadement, il faudrait lui donner une assise juridique solide. Or, cinq ans après sa conception, celle-ci fait toujours défaut parce que de sérieux obstacles retardent, voire s’opposent, au vote d’une loi. D’une part, la conscription de mineurs paraît difficilement compatible avec l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui donne au législateur uniquement la possibilité d’instaurer des « sujétions imposées par la Défense nationale aux citoyens [c'est-à-dire à des majeurs] en leur personne et en leurs biens.. » D’autre part, la conformité d’une éventuelle loi relative au SNU avec l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, aux termes duquel « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale », reste à démontrer.
*
D’essence autoritaire, le SNU est aussi coûteux, alors que demeurent insatisfaits des besoins criants de la jeunesse. Selon les chiffres rendus publics en décembre 2021 par le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, le coût moyen du séjour de cohésion de douze jours d’un jeune ayant participé à la campagne 2021 du SNU a atteint 2 200 euros. Pour les 18 000 participants enregistrés l’année dernière, contingent sensiblement inférieur à l’objectif initial de 25 000 (72 %), cela représente actuellement pour l’État une modeste dépense de l’ordre de quarante millions d’euros. Néanmoins, ce coût est incomplet. D’une part, il ne comprend pas les frais supportés par les collectivités territoriales ou les établissements de santé ayant mis à disposition des locaux pour accueillir les jeunes recrues, aucun texte ne fixant d’ailleurs leur obligation en la matière. D’autre part, la deuxième phase du SNU n’est pas financée comme l’a relevé le sénateur du Gers, M. Alain Duffourg : « Pour ce qui est de la deuxième phase, aucun financement n’est prévu. » Dans sa réponse, la secrétaire d’État à la jeunesse et à l’engagement, Mme Sarah El Haïry, l’a confirmé : « Aucune contrepartie financière n’est accordée à la structure pour l’accueil de volontaires en mission d’intérêt général. En revanche, les structures associatives ou non bénéficient de l’accompagnement des services départementaux de la jeunesse, de l’engagement et des sports sous l’autorité des services de l’éducation nationale. »
Pour l’ensemble d’une classe d’âge (700 000 jeunes), l’État supporterait à terme une dépense de l’ordre d’un milliard et demi d’euros au titre du SNU tandis que les collectivités territoriales et les organismes poursuivant des missions d’intérêt général seraient appelés à puiser dans leurs ressources pour parfaire le financement du dispositif d’embrigadement de la jeunesse qu’appelle de ses vœux Emmanuel Macron. Prélevée sur les moyens dévolus au ministère de l’éducation nationale, cette somme représenterait 2,6 % des crédits ouverts dans la loi de finances initiale 2022 au titre de l’enseignement scolaire public des premier et second degrés. Alors que l’éducation nationale connaît de graves difficultés – niveaux médiocres d’acquisition des connaissances par les élèves, professeurs mal payés, vacances de postes insuffisamment compensées -, tandis que les services de la jeunesse et des sports restent démunis, le projet d’allouer à terme des moyens de cette ampleur à l’encasernement des jeunes plutôt qu’à leur instruction et à leur épanouissement est inacceptable dans son principe. Au regard des besoins des étudiants dont la pandémie a mis crûment au jour la pauvreté de la plupart d’entre eux, l’idée de détourner une partie aussi importante de l’impôt au profit d’une politique d’embrigadement de leurs jeunes frères et sœurs est insupportable.
Les jeunes du SNU seront utilisés pour remplacer des emplois aujourd’hui occupés par des employés qui ont un salaire, une convention collective ou un statut, la possibilité de s’organiser syndicalement, des droits individuels et collectifs. Avec le SNU, chaque année, 700 000 jeunes seront exploités, sans aucun de ces droits, pour des durées variables ; ils et elles seront très vivement encouragé.es à poursuivre leur « engagement volontaire » par un service civique, dans les mêmes conditions de précarité.
Le SNU, c’est une opération de soumission de la jeunesse, la remise en cause des droits des travailleurs et travailleuses, des dépenses considérables, le renforcement de la militarisation.
Le gouvernement nous dit : « Il faut que les jeunes s’engagent ». Mais c’est déjà le cas ! Ils et elles s’engagent pour lutter contre le racisme, pour que cesse la destruction de la terre, pour défendre leur droit à étudier, pour le partage des richesses, pour le droit au logement, pour l’égalité des droits et contre les discriminations, etc. Ce n’est pas à l’État de les forcer à s’engager ! Comment peut-on parler d’apprendre la citoyenneté, lorsqu’on confie l’encadrement à l’armée (qui, par ailleurs, n’était pas demandeuse) ?
Juridiquement improbable, économiquement déraisonnable, politiquement inacceptable, le SNU ne peut qu’appeler une entière réprobation de notre part. C’est pourquoi nous disons et dirons inlassablement « Non au SNU ».
Signataires :
Nicole Aurigny (Fédération Nationale Laïque des Amis des Monuments Pacifistes) Bernard Baissat (Union pacifiste)
Annick Coupé (ATTAC-France)
Christian Eyschen (Fédération nationale de la Libre Pensée)
Sylvie Larue (Cerises la coopérative)
Christian Mahieux (Union syndicale Solidaires)
Membres du Collectif Non au SNU nonsnu@lists.riseup.net