Comme chaque été, la ministre de l’ESR Sylvie Retailleau ainsi que E. Borne et E. Macron se sont publiquement félicité·es des résultats des établissements français dans le très controversé classement de Shanghaï, qui apprécie la recherche à partir de seules données bibliométriques et évalue la qualité des établissements à l’aune de la production de prix Nobel et de médailles Fields. Les résultats de ce classement, pourtant discrédité et largement rejeté dans la communauté universitaire, continuent toutefois de servir d’argumentaire à nos dirigeant·es dans leur entreprise de restructuration du service public d’Enseignement supérieur vers une mise en concurrence permanente et la construction à marche forcée de grands établissements positionnés sur le marché mondial de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Lorsque la ministre s'enorgueillit de la place de quelques établissements jugés excellents et annonce que “nous maintiendrons les efforts engagés”, cela sonne plutôt comme une menace pour les personnels des organismes de recherche, dont l’indépendance est menacée, et des universités publiques, qui observent la destruction d’un service public d’enseignement supérieur qui devrait garantir à toutes et tous, partout sur le territoire, des formations universitaires et une recherche de qualité disposant des moyens nécessaires pour fonctionner.
Une nouvelle rentrée “bouts de ficelle”
Les satisfecits politiques de nos dirigeant·es sont bien éloignés des préoccupations des personnels et des étudiant·es.
Pour les étudiant·es, cette rentrée s’annonce une nouvelle fois plus difficile que la précédente : sélections angoissantes et inégalitaires via Parcoursup et MonMaster ; des étudiant·es sans proposition d’affectation ; le coût de la vie qui explose (6,57% cette année, 25% de plus depuis l’élection de Macron, 1000€/mois de dépenses pour vivre) ; crise du logement… C’est à un retour en arrière sans précédent auquel on assiste depuis la démocratisation des études supérieures dans les années 1990.
Du côté des personnels, la rentrée s’annonce une nouvelle fois catastrophique :
- les 1,5% de revalorisation du traitement des fonctionnaires annoncés en juillet sont une provocation face à l’inflation. SUD éducation revendique l’indexation des salaires sur l’inflation pour garantir le maintien du niveau de vie des personnels en activité et à la retraite, l’augmentation de 400€ de tous les bas salaires et pas un revenu inférieur à 1850€ nets.
- du côté du ministère et des établissements, les seules “négociations” possibles se font sur l’indemnitaire (RIPEC, RIFSEEP…), qui contribue au renforcement des inégalités (notamment entre les femmes et les hommes) et de l’arbitraire local. Ces systèmes de primes excluent par ailleurs les vacataires, les enseignant·es contractuel·les et en partie les ESAS (PRAG, PLP, PRCE, PEPS…)
- le recul de l’âge de titularisation, les contrats précaires multipliés, les campagnes de recrutement répétées… renforcent l’épuisement des collègues en début de carrière voire les conduisent à l’abandon pur et simple. Tous ces choix structurels renforcent les inégalités sociales et de genre.
Faire face au décrochage massif de l’ESR
Alors que le nombre d’étudiant·es a diminué pour la première fois en 2022 avec une baisse de 3,1%, le taux d’encadrement va lui aussi continuer de baisser. Pourquoi ?
- parce que depuis 10 ans, le nombre de recrutement d’enseignant·es-chercheur·es (EC) titulaire a diminué de moitié !
- une pénurie qui conduit à une diminution du taux d’encadrement de 17%, principalement marqué pour les SHS et les IUT où le taux d’encadrement a chuté de 25% en 10 ans !
- parallèlement, le nombre de doctorant·es chute lui de 4% sur un an (avec des pointes à 10% en math et 14% en chimie)
- parce que l'encadrement administratif des étudiants diminue lui aussi, de façon spectaculaire pour certaines catégories de personnels, avec une diminution de 22% des administratifs de catégorie C, de 10% des secrétaires administratives, ou de 5% des magaziniers pour ne donner que ces exemples.
C’est simple : pour retrouver un taux d’encadrement égal à celui de 2010, c’est plus de 11 000 postes d’enseignant·es qu’il faut créer ainsi que 10 à 15 universités.
Et du côté des personnels BIATSS, la précarité devient une norme: 30% du personnel est contractuel alors qu’il effectue des missions pérennes.
Un décrochage qui entraîne une dégradation des conditions de travail des personnels et d'études
Ce manque de moyens et de personnels entraîne mécaniquement une augmentation de la charge de travail pour les personnels, et ce à tous les niveaux : fonctionnement sur projets au détriment des ressources pérennes, turn-over des équipes, non remplacement des arrêts maladie, charges administratives croissantes, travail gratuit, formation continue quasi inexistante ou inaccessible compte tenu des emplois du temps contraints...
À cela s'ajoutent des enjeux écologiques et de santé majeurs : amiante, isolation thermique des bâtiments (notamment dans les conditions caniculaires et de grand froid), ventilation des labos, équipement des locaux, accès inégal aux ressources (ex: informatique)... Le tout dans un contexte de destruction des CHSCT et de démantèlement de la médecine du travail et de la prévention.
Le secteur privé en embuscade
Si l’ESR public a perdu 3,1% d’étudiant·es à la rentrée 2022, l’enseignement supérieur privé, lucratif ou non, lui, se porte bien : un quart des effectifs étudiants contre 14% il y a 20 ans, la moitié des effectifs étudiants supplémentaires depuis 10 ans. Sur cette période, le privé a crû de 65%, contre seulement 16% pour le public asphyxié par les politiques d’austérité.
Une situation qui résulte de choix politiques :
- conséquence de la loi Pénicaud de 2018 qui octroie de généreux financements publics au privé et notamment à l’apprentissage (de 5 milliards en 2017 à 20 milliards aujourd’hui),
- effet de la sélection via Parcoursup et de la prospection de groupes privés auprès des recalé·es
- du désinvestissement de l’État dans le public : la dépense par étudiant y a chuté de 16% entre 2012 et 2022.
- des fusions/concentrations d’établissements, labo, composantes, etc. qui se font souvent au détriment de l’autonomie, de la collégialité et plus globalement d’une culture démocratique en déperdition
Ce développement rapide et bien peu réglementé de l’enseignement supérieur privé (la Direction des fraudes a établi que plus de 30% des établissements contrôlés avaient des pratiques commerciales trompeuses) est un danger pour le service public de l’ESR, ses personnels (recrutements parallèles, débauchages…) et les étudiant·es (augmentation des frais d’inscription, formations non reconnues…).
Aujourd'hui, le poids de la taxe d’apprentissage dans les budgets des universités, les maquettes de formations taillées sur mesure pour le marché et les injonctions à la professionnalisation renforcent une subordination de l’ESR aux intérêts privés.
Contre un ESR instrumentalisé à des fins économiques et politiques, SUD éducation continuera de défendre et lutter pour une université ouverte, gratuite, critique et émancipatrice.
Pour une autre université, une autre société, syndiquez-vous !
Le syndicat est notre outil collectif pour défendre nos droits et nos conditions de travail mais aussi pour revendiquer de vraies transformations sociales.