L’interruption volontaire de grossesse : un droit fondamental toujours menacé


Pour paraphraser Simone de Beauvoir, Il suffit d’une crise économique, politique ou religieuse pour que le système patriarcal remette en question les droits des femmes. Partout dans le monde le droit à disposer de son corps, et notamment le droit à avorter est attaqué par le système patriarcal. Il est interdit  dans dix-sept Etats des Etats-Unis, en Pologne et menacé en Hongrie, en Argentine et dans d'autres pays comme l’Italie. En janvier 2025, la France célébrera le cinquantenaire de la loi dépénalisant l’avortement. Pourtant, si l’IVG est légale, c’est un droit en partie entravé et menacé. 

En France, près d’une personne sur trois a recours à l’avortement au cours de sa vie.  242 997 interruptions volontaires de grossesse (IVG) y ont été enregistrées en 2022 (soit un avortement toutes les deux minutes). Chaque année, sur 1 000 jeunes de 12 à 14 ans enceintes, 770 ont recours à une IVG. Malgré tout, chaque année 5 000 personnes sont contraintes d’aller avorter à l’étranger. Le droit à l’avortement est un droit légitime et nécessaire pour l’égalité. Ce droit est pourtant remis en cause en France, car si la loi permet théoriquement d'avorter, dans les faits les obstacles restent nombreux : les fermetures de centres IVG, le maintien de la clause de conscience, la transphobie ou encore les pénuries de pilules abortives entraînent des inégalités fortes en termes d'accès à l'IVG.

En France, la loi du 2 mars 2022 a allongé de deux semaines le délai légal pour avorter : il est désormais de 14 semaines. Cependant, dans d’autres pays, ce délai est bien plus long : 22 semaines en Islande et 24 semaines au Royaume-Uni et au Pays-Bas. Il n'y a pas de délai maximal au Canada.

Cette année, la loi du 8 mars 2024 a inscrit dans la constitution la “liberté garantie à la femme de recourir à l'interruption volontaire de grossesse”. Si cette loi marque une reconnaissance de la liberté des femmes à disposer de leur corps, elle ne fait pas avancer l’accès concret à l’avortement en France. En effet, la loi ne garantit pas le “droit” mais la “liberté”. Par conséquent, elle ne contraint pas l’Etat à lutter contre les freins à l’accès à l’IVG. De même, le terme de “femme” ne permet pas à toutes les personnes ayant un utérus d’avorter. Elle exclut donc les hommes trans et les personnes non-binaires. Si cette loi est une semi-victoire des luttes féministes, elle illustre aussi le manque de volonté politique de véritablement agir en faveur des droits et de l’égalité. Le parlement européen a également proposé d’inscrire le droit à l’avortement dans la charte des droits fondamentaux de l'UE en juillet 2022. Cependant de nombreux États membres sont ouvertement anti-IVG et affichent une politique de recul des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+.

Un droit malmené 

Le droit effectif à l’avortement est fragilisé  en France depuis des décennies, à cause de la baisse des moyens alloués par les pouvoirs publics. Le Planning Familial estime que 130 centres IVG ont été fermés ces quinze dernières années. Ces fermetures créent de grandes inégalités dans l’accès à l’IVG en fonction de son lieu de résidence mais également  de son niveau social. Une personne sur quatre ne peut pas avorter dans son propre département et doit se déplacer. Ceci constitue un frein économique, alors même que les personnes pauvres sont plus susceptibles de 40% d’avoir recours à une IVG.

Les pénuries répétées de pilules abortives participent également à limiter l’accès à l’IVG. En France, un seul laboratoire produit ces pilules : les associations féministes demandent depuis longtemps de revenir sur ce monopole et/ou de nationaliser la production de ces pilules, qui constitue un enjeu majeur de santé publique.

Contre la clause de conscience spécifique sur l'avortement

De nombreux⸱ses professionnel⸱les de santé invoquent la clause de conscience spécifique pour refuser de pratiquer des avortements. Elle a été instaurée par la loi de 1975 : l'Article L2212-8 du Code de la Santé Publique prévoit  qu’« un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse, mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention ». Rappelons que cette clause fut le résultat d'un compromis pour faire accepter, en 1975, la loi sur l’avortement, farouchement combattue par les réactionnaires. 

L'IVG ne constituant pas un acte médical à part, la clause de conscience spécifique n'a pas lieu d'être (une clause de conscience générale, l’article R4127-47 du Code de la Santé Publique, existe déjà). Elle représente une discrimination dans l’accès aux actes médicaux et une stigmatisation par le corps médical : elle est, de fait, une entrave à la liberté d’avorter. 

La clause de conscience spécifique à l’IVG peut être invoquée dans 23 pays européens dont la France mais elle n’existe pas en Suède, Finlande et Lituanie. Sa suppression était prévue dans le texte initial de la loi du 2 mars 2022 mais n’a pas été retenue. 

Discours anti-IVG : une menace croissante portée par l’extrême droite 

Par ailleurs, les mouvements anti-IVG avec l'extrême droite en première ligne menacent partout le droit fondamental de décider d’enfanter ou pas, et de choisir quand et avec qui.

En France, Jean-Marie Le Pen qualifiait l’IVG de « génocide anti-français » (une formule reprise en 2018 par la future députée Rassemblement National Caroline Parmentier), et Marion Maréchal proposait encore en 2017 de le dérembourser. En 2022, le RN s’est opposé à l’allongement des délais pour avorter, et n’a pas fait mystère de sa position conservatrice sur la clause de conscience. Au parlement, il a également largement participé à vider le projet de loi portant sur la constitutionnalisation du droit à l’IVG en tenant des positions fémonationalistes*. 

Plus récemment, l’extrême droite française s’est illustrée en 2023 avec une violente campagne contre le Planning Familial, qui avait édité une affiche sur les droits reproductifs des hommes trans, ou encore avec des sorties xénophobes et natalistes glaçantes pendant la réforme des retraites (le député RN Sébastien Chenu indiquait en février à France Inter : « Moi, je préfère qu'on fabrique des travailleurs français plutôt qu'on les importe. »). En Europe, en 2020, puis en 2021, la grande majorité des députés européens RN a voté contre deux résolutions condamnant l’interdiction presque totale du recours à l’avortement en Pologne. La conservatrice maltaise Roberta Metsola, présidente du Parlement européen depuis janvier 2022, assume également sa position contre l’IVG.

Mais les discours natalistes et réactionnaires s’illustrent aussi dans les propos de Gérard Larcher (LR) qui s’opposait à l’inscription de l’IVG dans la constitution ou encore dans l’appel d’Emmanuel Macron (Renaissance)  à un “réarmement démographique”. 

Les mouvements anti-IVG militent également hors de la sphère politique. La semaine de l’inscription de la loi portant sur la liberté à recourir à l’IVG, de nombreuses antennes du Planning Familial ont été taguées et dégradées par des militant·es d’extrême droite. Sur les réseaux sociaux, les campagnes anti-IVG diffusent une propagande réactionnaire et sexiste, notamment à destination des mineurs. Dans la rue, les militantes fémonationalistes* se mobilisent au travers de campagnes d’affichage. 

Il faut donc rester très vigilant⋅es et contrer ces manœuvres qui visent à cantonner les femmes à une fonction procréatrice et au service de leur famille.

L’éducation aux sexualités 

Pour ce faire, il faudrait, entre autres, que l’éducation aux sexualités soit effective dans le système scolaire. L'information ainsi que l’accès réel à la contraception, à la contraception d’urgence et à l’IVG sont nécessaires pour permettre à chacun et chacune de disposer de son corps

Pour le droit à l’avortement, réaffirmons que :

  • L’avortement est un choix et un droit qui doit être constitutionnalisé pour toustes ;
  • Les délais légaux pour avorter doivent être harmonisés sur ceux des pays les plus progressistes en Europe, et les personnes qui désirent avorter doivent être prises en charge sans délai ;
  • La clause de conscience spécifique des professionnel·les de santé doit être supprimée;
  • Des moyens financiers doivent être donnés pour que les centres pratiquant l’avortement et les centres de planification soient accessibles sur tous les territoires ;
  • La production des pilules abortives doit être garantie afin d’empêcher toute pénurie,
  • Des campagnes d’information tous publics sont nécessaires pour pouvoir en parler librement sans tabou ni jugement ;
  • Tous les moyens contraceptifs doivent faire l'objet d'un remboursement intégral, pour que toutes et tous puissent choisir celui qui leur convient ;
  • Une éducation aux sexualités doit être prodiguée à toutes et à tous ;
  • La formation aux techniques d’avortement et à l’accompagnement doit faire partie intégrante de la formation initiale des professionnel·les de santé de l'éducation nationale.
  • Au plan international, l’avortement doit être légalisé dans tous les pays.

SUD éducation appelle à se mobiliser massivement à l'occasion de la Journée internationale pour le droit à l'avortement, le samedi 28 septembre, et souhaite construire une mobilisation dunitaire dans ce but.

TOUTES ET TOUS DANS LA RUE LE 28 SEPTEMBRE 2024 JOURNÉE INTERNATIONALE POUR LE DROIT À L’AVORTEMENT

* concept inventé par la chercheuse états-unienne Sara R. Ferris en 2010. Il désigne l’instrumentalisation d’un discours féministe à des fins électorales racistes et islamophobes.

Quelques Ressources pédagogiques sur le droit à  l’IVG 

Histoire et Français

Ressources pour l’EMC

Ressources en anglais sur l’IVG aux Etats-Unis

Collège

Lycée

Pourquoi il faut décriminaliser l’IVG (Center for Reproductive Rights, vidéo, décembre 2023) : 

L’avortement, un enjeu des élections de novembre 2024

Bonus : le travail de Teen Vogue sur le sujet est intéressant, avec des angles originaux, par exemple ce témoignage d’une accompagnante ou cet article “people” sur Karlie Kloss, pro-IVG