Depuis 2020, le ministère de l’Education nationale prépare une vaste réforme de la formation des enseignant-e-s ainsi que des concours. Les deux objectifs affichés sont de rendre cette formation plus professionnalisante pour mieux préparer les aspirant-e-s enseignant-e-s à leur futur métier mais aussi de renforcer l’attractivité de cette profession.
Force est de constater que ce qui est prévu risque de manquer ces deux cibles tout en dégradant fortement les conditions de la formation par la contractualisation et la diminution drastique des rémunérations. Le véritable but recherché semble au contraire de faire des économies.
Alors que :
→ l’ensemble des organisations syndicales, tous personnels confondus, ont fait part de leur opposition à cette réforme lors des réunions de comité de suivi avec le ministère, dans des publications locales ou nationales,
→ les collègues des Inspé se sont mobilisé-es au sein des universités, dans la presse, ou encore lors d’une journée de grève nationale le 11 mars dernier
→ le ministère n’a eu de cesse d’avancer toujours plus vite dans le calendrier de cette réforme pour qu’elle soit appliquée dès la rentrée 2021.
Le ministère affiche une mise en scène de dialogue alors qu’il se montre sourd à toutes les revendications des organisations syndicales. Aujourd’hui, de nombreuses zones d’ombres subsistent quant à l’application de cette réforme et promettent une rentrée 2021 des plus chaotiques.
SUD éducation vous explique les points phares de cette réforme et pourquoi elle doit être combattue.
Session de concours 2021
Si vous passez un concours du 2d degré
- Vous serez fonctionnaire stagiaire en 2021-2022
- Procédures d’affectations inchangées, à retrouver dans la circulaire ici: https://www.education.gouv.fr/affectation-des-laureats-des-concours-du-second-degre-sial-9743
- Titulaires d’un M1, vous devrez vous inscrire en M2 (Meef ou non)
- Titulaire d’un M2, vous bénéficierez d’un parcours de formation dit “adapté” mis en place dans les Inspé (parcours différents selon les Inspé)
Si vous passez un concours du 1er degré:
- Vous serez fonctionnaire stagiaire en 2021-2022
- Les procédures d’affectation restent inchangées: après la proclamation des résultats du CRPE, et selon les départements, vous serez contacté-e par les services des DSDEN pour émettre des voeux sur les postes réservés aux stagiaires dans le département
- Titulaire d’un M1, vous devrez vous inscrire en M2 (Meef ou non)
- Titulaire d’un M2, vous bénéficierez d’un parcours de formation dit “adapté” mis en place dans les Inspé (parcours différents selon les Inspé)
Si vous avez passé le concours en 2021 mais que vous n’êtes pas lauréat-e:
- Il vous faudra valider votre Master (Meef ou non)
- Si vous êtes étudiant-e en master 2 Meef, on pourra vous proposer un contrat d’alternance (voir plus loin 2b) et passer le nouveau concours de la session 2022 (voir plus loin 2a)
Analyse de SUD éducation:
La concomitance de l’ancienne formation (déjà composée de deux parcours) et de la nouvelle à la rentrée 2021, ajoutée au manque d’anticipation du ministère quant aux contenus des formations risque de rendre la rentrée très compliquée notamment dans les Inspé.
- Ce qui change à compter de 2022
Concours en fin de M2 (Meef ou non)
À compter de 2022, les concours externes d'enseignement ne seront accessibles qu’aux étudiant-e-s inscrit-e-s en M2 (Meef ou non) ou aux personnes déjà titulaires d’un M2.
Les épreuves du concours vont également changer avec une évolution majeure : l’introduction dans tous les concours d’un entretien de motivation destiné à vérifier la capacité du candidat à “s’approprier les valeurs de la République [et] à faire connaître et faire partager ces valeurs”. Cet entretien reprend l’idée de l’épreuve introduite durant le quinquennat Sarkozy Agir en fonctionnaire de l’État, éthique et responsable.
Analyse de SUD éducation:
Le ministère de l’Education nationale invoque un meilleur “étalement” du processus de formation et d’entrée dans le métier pour les futur-es enseignant-es en séparant la préparation du concours et diplôme (en M2) de la formation initiale et titularisation (après le M2).
Pour SUD éducation, s’il s’agit effectivement d’un étalement, il n’en reste pas moins que la dernière année du master MEEF n’est pas allégée pour autant : l’année de M2 sera particulièrement éprouvante pour toutes et tous : alternance en responsabilité de classe, validation du master Meef, obtention du concours… alors, toujours attractif ce master MEEF?
Nous percevons également le désengagement de l’État quant à la formation de ses futur-e-s agent-e-s. Le coût du master Meef revient dans sa totalité aux inscrit-es qui devront continuer à se payer leur sécu, leur logement, les frais universitaires… La belle économie!
Par ailleurs, concernant le contenu des épreuves, le nouvel oral de motivation pourrait ressembler à un entretien d’embauche visant à contrôler la future loyauté des enseignant-e-s envers l’institution. Cela signifie que l’une des épreuves contrôlant la maîtrise de contenus disciplinaires et pédagogiques disparaîtra au profit de cette nouvelle épreuve. Le ministère fait donc d’une pierre deux coups: prévenir toute velléité de résistance aux injonctions de l’institution et affaiblir l’aspect disciplinaire des concours.
Réforme du master Meef
Le contenu du master Meef a été revu depuis l’arrêté modificatif du 24 juillet 2020.
Demeurent au programme:
- Un minimum de 800 heures de formation
- Une alternance de contenus disciplinaires (savoirs dits “fondamentaux” pour le 1er degré), du temps consacré à la “polyvalence”, la pédagogie générale, l’évaluation, la “gestion de classe”...
- Au moins 15% du temps de formation consacré à la recherche
NB de SUD éducation :
Chaque Inspé fixe le contenu de la formation du Master Meef, à partir de ces grands principes généraux.
La nouveauté actée depuis 2020 réside dans la mise en place d’un volet plus "professionnalisant" de la formation.
En effet, 18 semaines de stage dits “SOPA”, (stages d’observation et de pratique accompagnée) dans les établissements scolaires, et ce dès l’année de M1.
Ces 18 semaines de stage ne seront pas réalisées si vous avez accès à un contrat d’alternant-e (voir ci-après).
Analyse de SUD éducation:
Malgré les alertes lancées depuis des mois par les enseignant-e-s des Inspé en charge du master Meef, le ministère s’entête sur une organisation qui fait toujours débat au sein des équipes universitaires :
- 800 heures de formation avec un cadrage qui reste flou en termes de contenus
- 33% des enseignant-es du master MEEF seront des enseignant-es exerçant par ailleurs en établissements scolaires
- Mise en place d’outils d’évaluation qui mettront en concurrence les INSPE
- Reprise en main par le ministère concernant la nomination des directeurs-trices d’INSPE au détriment de l’université
Le parcours d’alternant-e en master Meef
Autre nouveauté : l’alternance (qui n’est pas obligatoire).
Vous serez étudiant-e, en CDD d’1 an payé 722€ net/mois, employé-e par le rectorat en tiers temps, (6h à 12h/semaine dans le 1er degré, 6h à 9h/semaine dans le 2d degré).
Vous prendrez complètement en charge une/des classes (1 dans le 1er degré, 2 ou 3 dans le 2nd degré) et votre service sera :
1- soit en continu pendant une année scolaire en M1 ou M2
2- soit en différentes périodes étalées sur plusieurs semestres du M1 et M2 (S2-S3 ou S3-S4)
3- soit vous commencez en périodes et terminez en continu.
Un-e tuteur-trice Inspé et un-e tuteur-trice de terrain évalueront votre stage en alternance.
Si vous démissionnez → vous ferez un stage ou signerez un nouveau CDD d’alternance jusqu’à atteindre les 18 semaines d’expérience professionnelle nécessaires à la validation du master Meef.
Analyse de SUD éducation:
Les étudiant-e-s alternant-e-s auront des années de master très chargées en devant jongler entre la formation Inspé, la préparation au concours, leur travail avec les classes, tout cela avec une rémunération bien moindre que celle des fonctionnaires stagiaires actuel-le-s ! Ils et elles seront en responsabilité devant des classes sans avoir passé de concours, parfois après seulement 6 mois de formation !
De plus, la pression est énorme, car la validation de ces stages est nécessaire pour valider le master et ne pas perdre le bénéfice du concours (obligation d’avoir un master pour être stagiaire). Les étudiant-e-s ayant validé/obtenu le concours ou master ou le stage mais pas le reste seront naturellement encouragé-es à devenir contratuel-le-s.
SUD éducation dénonce cette nouvelle forme d’alternance comprise dans la réforme de la formation et du recrutement des futur-e-s enseignant-e-s.
Année de fonctionnaire stagiaire post-M2
L’année scolaire 2021-2022 sera la dernière année constituée d’enseignant-es fonctionnaires stagiaires ET étudiant-es avec la formule mi-temps en classe, mi-temps en formation (M2 Meef ou parcours adaptés pour celles-ceux qui ont déjà validé un M2).
A compter de la rentrée 2022-2023, l’année de fonctionnaires stagiaires sera donc réservée aux titulaires d’un M2 (Meef ou non) ET lauréat-es d’un concours d’enseignement.
Le ministère considère désormais que la formation initiale sera “adaptée et personnalisée” durant cette année-là:
- Titulaires d’un Master Meef avec contrat d’étudiant-e alternant-e, vous serez à temps-plein en responsabilité de classe, avec un “tutorat adapté”
- Titulaires d’un Master Meef sans contrat d’étudiant-e alternant-e, vous serez également à temps-plein en classe, mais avec des décharges de service pour suivre des formations (quotité non précisée à ce jour)
- Titulaires d’un autre Master, vous serez à mi-temps en classe et à mi-temps en formation
Le ministère précise que les temps de formation seront pilotés et organisés par les Inspé.
Analyse de SUD éducation:
A ce jour, de nombreuses zones d’ombres demeurent sur cette année “post-M2 et concours” :
- Quelle gratification indemnitaire pour les fonctionnaires stagiaires qui auront été étudiant-es alternant-es en Master ?
- Comment seront valorisés les parcours antérieurs: PPPE, Pré-pro AED ?
- Quel et qui organisera le suivi des fonctionnaires stagiaires?
- Quelles seront les conditions de titularisation?
La précipitation du ministère qui refuse d’écouter les revendications et les alertes remontées par les organisations syndicales, le milieu universitaire, les enseignant-es des Inspé risque, une fois de plus de mettre à mal cette énième réforme de la formation des enseignant-es!
Désorganisation et précarisation de l’entrée dans le métier sont devenus les maîtres mots de ce qui se prépare aujourd’hui pour nos futur-es collègues de demain...
Autres parcours
- Nouveauté 2021: Le PPPE
Un dispositif sera créé dès la rentrée 2021 pour pré-professionnaliser les étudiant-e-s et les préparer à devenir professeurs des écoles : le PPPE (Parcours Préparatoire au Professorat des Écoles).
Il s'agira d'une classe préparatoire d'une durée de 3 ans dans laquelle les étudiant-e-s alterneront cours au lycée et à l'université. Le PPPE sera adossé à une licence (ex : mathématiques, lettres, sciences de l’éducation…)
Les étudiant-e-s suivront surtout des cours de disciplines scolaires au lycée et des cours d’approfondissement et d’initiation à la recherche dans la matière de leur licence à l’université. Ils et elles effectueront aussi quelques stages en école.
Analyse de SUD éducation:
Le ministère lance ce parcours dans le but d’améliorer l’attractivité du métier de professeur des écoles et d’amener un public modeste à se préparer de façon exigeante au CRPE. Cependant, le PPPE ne concernera que 1000 étudiant-e-s (24 classes de 30 à 40 élèves sur toute la France) à la rentrée 2021, quelques centaines de plus pour les rentrées suivantes, ce qui représentera au maximum 15% des lauréat-e-s chaque année au concours du CRPE. On voit ainsi mal comment le PPPE parviendrait, seul, à inciter massivement des jeunes à se tourner vers l’enseignement. En outre, on peut se demander s’il n’était pas possible de créer un parcours similaire à l’université dans le cadre d’une licence pluridisciplinaire.
Nous nous interrogeons par ailleurs sur les moyens qui seront attribués aux lycées mettant en place ces dispositifs PPPE et sur le fait que par ce nouveau “parcours”, certains-es futur-es collègues auront eu moins accès à l’université que les autres.
Si le PPPE s’avère être une formation de qualité, cela engendrera des inégalités avec celles et ceux qui suivront “simplement” une licence à l’université.
- Maintien du dispositif de prépro AED
Depuis la rentrée 2019, il est désormais possible de devenir enseignant-e dès la seconde année de licence et ce jusqu’à la première année de master. Des contrats précaires pour étudiant-e-s mais pour le ministère, une aubaine d’avoir des « enseignant-e-s » sous-payé-es (services de 8h par semaine en école ou en collège) :
- 700€ nets/mois en L2
- 963€ nets/mois en L3
- 980€ nets/mois en M1
(Ces rémunérations peuvent être cumulées avec les montants de la bourse d’étude sur critères sociaux)
Les étudiant-e-s AED en prépo se verront attribuer de plus en plus de tâches :
- En L2: observation interventions ponctuelles, aide aux devoirs
- En L3: participation à l’AP et l’APC ainsi que des interventions plus fréquentes
- En M1: service d’enseignement en responsabilité de 6h ou interventions sur des séquences pédagogiques complètes
Analyse de SUD éducation:
Ces contrats pour étudiant-es sont une aubaine d’avoir des « enseignant-e-s » sous-payé-es (services de 8h par semaine en école ou en collège). Par ailleurs, à compter de la rentrée 2021, les étudiant-es en M1 seront en responsabilité de classe ce qui sous-entend, notamment pour le second degré: une ponction sur les DHG pour permettre la mise en œuvre de ces contrats, une désorganisation pour les équipes enseignantes en place. Pour SUD éducation, les étudiant-es ne doivent pas devenir des enseignant-es sous-payé-e-s et sous-formé-e-s ! Ils et elles ne doivent pas devenir une variable d’ajustement supplémentaire pour pallier les manques de postes statutaires.
Les revendications de SUD éducation
Cette réforme, accompagnée de divers dispositifs de parcours de formation, précarisera encore davantage les étudiant-e-s et ouvrira la porte à une contractualisation massive de la profession. De surcroît, elle n’est pas plus professionnalisante et risque de détourner encore davantage d’étudiant-e-s du métier d’enseignant-e et du Master MEEF, rendu difficile à suivre, en particulier.
C’est pourquoi SUD éducation demande le retrait de cette réforme, problématique sur le fond comme sur la manière de la mettre en place.
SUD éducation revendique, en lieu et place de cette contre-réforme, une véritable formation exigeante et rémunérée permettant la mise en œuvre d’un service public de l’éducation digne de ce nom. Notre jeunesse et la société méritent qu’on y consacre des moyens.
Cela passerait par :
Pour le recrutement :
- Le retour à un concours de recrutement à Bac+3 (niveau licence), suivi de 2 années de formation rémunérées et validées par l’attribution d’un Master pour toutes et tous les professeur-e‑s.
Pour l’année de stage ( à partir de bac + 3) :
- Un allègement de service : pas plus d’un tiers du temps de service devant les classes
- Une formation renforcée sur le temps de service, assurée par des formateurs-trices pour tou-te‑s les stagiaires
- Une formation de qualité avec une décharge de service pour les tuteurs et les tutrices
- Un dispositif particulier pour soutenir ceux/celles qui sont en difficulté
- Une formation aux pédagogies coopératives ou alternatives (Freinet, pédagogie nouvelle, pédagogie institutionnelle, GFEN, etc) pendant la formation initiale
- Une formation sur les thématiques de l’égalité filles-garçons, de lutte contre les LGBTIphobies, de lutte contre le racisme et la xénophobie
- Une réelle formation à l’inclusion des élèves en situation de handicap
- Une harmonisation des procédures de titularisation dans toutes les académies, garantissant l’équité et les droits des stagiaires avec un contrôle paritaire lors des étapes de titularisation.