Quels outils et stratégies pour un syndicalisme de lutte et son articulation avec les nouvelles formes de la contestation sociale ?
Dans ces temps où la défiance et la méfiance à l’égard de tout ce qui est politique mais aussi syndical est à son comble, où des mesures liberticides ont été prises suite aux attentats de l’année 2015 pour s’en prendre à toute forme d’expression, de revendications et de luttes sociales, il nous semble essentiel de rappeler ce qu’est le syndicalisme de lutte et ses liens avec les luttes émergentes. Ces dernières décennies, les mouvements sociaux ont été « défensifs » ; l’enjeu est donc de reprendre l’offensive face à l’ordre capitaliste.
Le syndicalisme de lutte aujourd’hui
Qu’est-ce que le syndicalisme de lutte ?
Le syndicalisme de lutte que nous revendiquons s’inscrit dans le courant syndicaliste révolutionnaire et poursuit un double objectif : d’une part défendre les intérêts immédiats des travailleurs-euses par l’action directe, en toute indépendance des organisations politiques, aux moyens notamment de la grève, du blocage ou de la désobéissance, de l’occupation ; d’autre part construire une autre société, débarrassée des rapports de domination, basée sur l’autogestion, la réappropriation des moyens de production et des services publics et la démocratie directe.
Dans cette perspective, l’organisation des travailleurs-euses repose à la fois sur des syndicats professionnels et sur des unions locales.
Le syndicalisme de lutte que nous défendons s’oppose à la fois à un syndicalisme lié aux organisations politiques et au syndicalisme de service, cogestionnaire, qui accompagne des mesures antisociales au nom d’un réalisme qui accepte les règles du capitalisme.
Le syndicalisme de lutte à l’épreuve de l’évolution du monde du travail
Le syndicalisme révolutionnaire reposait sur des ouvrier-e‑s professionnel-le‑s qualifié-e‑s, très organisé-es et ayant une maîtrise de leur outil de travail. Dans les années 60 – 70, les ouvrier-e‑s spécialisé-e‑s sont entré-e‑s sur le devant de la scène et ont participé à des grèves massives dans les usines.
Aujourd’hui, la désindustrialisation, la sous-traitance, l’émiettement des collectifs de travail, la précarisation et l’ubérisation sont à l’origine de profondes modifications des conditions de travail et donc des conditions de lutte. Tout en s’inscrivant dans une convergence d’actions et de revendications des secteurs privés et publics, notre syndicalisme doit aussi contribuer à la défense et au développement de services publics, particulièrement malmenés depuis quelques années, qui puissent réellement répondre aux besoins de la population et notamment en terme de solidarités. Ainsi, que ce soit au niveau de l’État, des collectivités territoriales et du secteur hospitalier, la situation actuelle de l’emploi est plus que préoccupante (suppressions de postes, recrutements insuffisants, précarisation, sous-traitance, recours à des contrats de droits privés…). L’action syndicale et la construction de luttes pour la création de postes statutaires, pour la titularisation des précaires, pour l’auto-organisation des services publics, ne peuvent être considérées comme corporatistes ou catégorielles, il s’agit bien de lutter contre le projet libéral-capitaliste d’une société sans services publics dignes de ce nom.
Les difficultés du syndicalisme de lutte
C’est peu dire aujourd’hui que le syndicalisme que nous pratiquons rencontre des écueils. Le « There is no alternative » de l’ère Thatcher a fait des ravages. La droitisation globale des sociétés, amorcée dans les années 80, a fait reculer le sens et le goût de l’action collective. Les défaites aussi n’ont pas aidé ; nous les alignons, que ce soit dans l’éducation, comme au plan interprofessionnel. Il faut remonter loin pour trouver une victoire syndicale d’ampleur, 2006 avec le retrait du CPE si l’on inclut parmi les victoires une défense victorieuse contre une mesure de régression sociale. Si l’on ne considère comme des victoires que des avancées sociales réelles arrachées par la lutte syndicale, il faut sans doute remonter aux années 1970…
L’éclatement des lieux de travail et des bastions salariés, l’augmentation de la précarité et du chômage, la répression syndicale accrue rendent, c’est vrai, plus difficile l’implantation syndicale. De ce fait, nous sommes sur la défensive. Nous défendons les retraites, la sécu, le statut… mais peinons à incarner un syndicalisme d’alternative que nous voulons construire. Pour autant, le salariat n’est pas totalement atomisé, mais là encore lorsque nous arrivons à ancrer la grève, l’auto-organisation n’est pas souvent au rendez-vous.
Nouvelles conditions de lutte, nouvelles formes de lutte.
2003, CPE, 2010, loi Travail
Les mouvements sociaux depuis les années 2000, même s’ils ont permis d’expérimenter de nouvelles formes de lutte, n’ont pas été capables d’imposer le recul du gouvernement.
En 2003 avec l’Éducation nationale ou en 2010 avec les transports et les raffineries, certains secteurs ont été à la pointe mais la mobilisation n’a pas réussi à s’élargir. A contrario, en 2016, la mobilisation contre la « loi travail » n’a pas pu s’appuyer sur un secteur professionnel. Dans tous les cas, un mouvement social ne peut gagner que par une mobilisation d’ensemble des exploité-e‑s.
Le mouvement contre le CPE en 2006 montre que l’instauration d’un
« climat d’agitation politique » participe à faire reculer le gouvernement : les journées de mobilisations interprofessionnelles se sont articulées avec des actions de blocages économiques, des occupations, des manifestations sauvages…
Lors du mouvement contre la loi travail, malgré des reconductions dans plusieurs secteurs stratégiques (transports, raffineries), parfois en lien avec des blocages, la grève ne s’est pas généralisée. Le mouvement a été plutôt marqué par des journées de mobilisation moins suivies qu’en 2010 en marge desquelles se sont développées des assemblées occupant des places. On a également assisté, à un débordement concerté des cortèges syndicaux par des manifestant-e‑s résolu-e‑s à bouleverser la mise en scène traditionnelle des manifestations syndicales. Quoi qu’on pense de la pertinence tactique et stratégique de ces cortèges de tête (pratiquant l’action directe en manifestation et n’excluant pas la violence), ils pointent la nécessité de redonner des couleurs aux manifestations et de proposer aux grévistes de mener des actions lors des journées de mobilisation.
Les luttes en dehors du monde du travail
Des luttes continuent parallèlement à celles du monde du travail : migrant-e‑s, logement, précarité, violences policières et répressions, restructuration urbaine, droits des femmes et des LGBTQI… Ces luttes s’organisent à travers des collectifs ou des assemblées, en dehors des structures traditionnelles qui peinent aujourd’hui à mobiliser (DAL, AC !, CSP…).
SUD éducation doit travailler à la convergence de ces luttes aujourd’hui éparses pour construire un rapport de force à la hauteur des enjeux et espérer gagner.
Notre outil syndical doit, en particulier par le biais de Solidaires, faire en sorte :
• d’impliquer ses militant-e‑s dans la construction de ces luttes ;
• de relayer et soutenir leur existence,
• de les alimenter de nos points de vue et analyses,
• de produire du matériel spécifique,
• d’y consacrer des moyens de formation (stage, …) ;
Les autres luttes : ZAD et occupations des territoires
Le début des années 2000 a vu refleurir des luttes contre des projets d’aménagement du territoire. S’opposer aux politiques d’aménagement du territoire c’est non seulement empêcher la réalisation du projet mais aussi se réapproprier nos lieux de vie et lutter contre les logiques capitalistes et sécuritaires. Il est donc logique que des militant-e‑s syndicaux-les s’y investissent et mettent les outils syndicaux au service de ces luttes. C’est le cas à Notre-Dame-des-Landes où le collectif syndical contre l’aéroport a montré que les intérêts des travailleurs-ses rejoignaient ceux des habitant-e‑s, mais aussi dans le Val Susa où les travailleurs-ses de la vallée ont fait plusieurs fois grève contre le projet.
Ces luttes permettent d’expérimenter une organisation de vie commune en dehors et contre l’État mais aussi de construire des solidarités nouvelles entre habitant-e‑s et militant-e‑s. Comment faire vivre ces luttes dans nos syndicats ?
Perspectives : quelle stratégie syndicale ?
Notre action syndicale doit viser l’auto-organisation et la défense collective des salarié-e‑s, des précaires, des chômeur-se‑s de l’éducation, de la maternelle à l’université, ainsi que la défense individuelle de toutes celles et tous ceux qui sont victimes de l’injustice, de l’arbitraire, de l’autoritarisme.
Redonner du sens à la grève
La grève est notre meilleure arme pour militer dans le cadre de l’affrontement de classe avec les capitalistes, celle qui permet de frapper directement le patronat au portefeuille. Pour autant, elle semble difficile sur les lieux de travail « isolés ». Une grève massive apparaît aujourd’hui pour la plupart des salarié-e‑s de plus en plus difficile hors fonction publique ou gros employeurs, elle reste pourtant l’outil central de tout mouvement social. Dans la Fonction publique, de nombreux-euses collègues hésitent à faire grève pour diverses raisons : précarité, souci de maintenir la continuité du service public (en particulier au profit des plus démuni-e‑s) ou les bonnes relations avec les usager-e‑s, sentiment d’inutilité de la grève, discours antigrévistes dans les médias, résignation.
Il faudra donc échanger avec les collègues et les usager-e‑s le plus régulièrement possible tout en sachant que c’est un travail de longue haleine. Dans l’Éducation nationale, les parents ont ainsi un vrai rôle à jouer dans les luttes.
Une grève aura d’autant plus d’impact si elle permet d’articuler manifestation et construction de cadres d’auto-organisation : formes collectives, vigilance sur les récupérations politiques et prises de pouvoir, ouverture aux « non-initié-e‑s », permettre l’organisation/préparation d’actions plus « radicales ».
La grève permet de se confronter à notre hiérarchie (dénonciation de l’arbitraire, remise en cause de l’organisation pyramidale du travail) et au capital (par le blocage économique que constitue l’arrêt de la production de biens et de services). Ces blocages sont devenus un mode d’action à part entière. Ils ne remplacent pas la grève, mais tout comme d’autres actions symboliques, ils permettent de rendre visible la radicalité de nos luttes. Ne nous en privons pas !
Le temps libéré par la grève peut aussi être mis à profit pour organiser des « piquets volants ou tournants », interpellant les salarié-e‑s et les invitant à rejoindre le combat. Cela peut s’articuler avec des opérations de péages ouverts ou blocages des transports, de flux de marchandises, de l’accès à certains lieux de travail.
Renforcer les solidarités collectives
Développer notre formation pour s’ancrer sur le terrain
Notre syndicalisme doit donner aux travailleur-se‑s les outils nécessaires à leur auto-organisation. Pour cela, les syndicats de la fédération s’engagent, dès maintenant, à participer et développer la commission « formation » en charge de l’organisation de stages de base en lien avec les autres Groupes de Travail (Précarité, Juridique, Et voilà le Travail…) permettant à tou-te‑s les adhérent-e‑s de Sud éducation de maîtriser les principaux outils d’animation d’un syndicat , de connaissances juridiques dans l’accompagnement et la défense collective et individuelle des collègues.
Créer des solidarités locales et appuyer les luttes locales avec l’outil syndical
Les unions locales et départementales de Solidaires sont déjà très investies par les militant-e‑s de Sud éducation. Ces structures doivent permettre d’une part de faire vivre au quotidien notre projet de transformation sociale en favorisant la solidarité entre tou-te‑s les travailleur-euse‑s, avec ou sans emploi, et d’autre part d’être force de propositions lors des mobilisations interprofessionnelles. La construction de l’outil interprofessionnel à tous les échelons de Solidaires est une priorité de notre fédération. SUD éducation porte dans Solidaires la construction de campagnes régulières pour populariser nos mots d’ordre et notre projet de société. La construction de cet outil n’est pas une fin en soi et nous devons nous investir, via Solidaires, dans les luttes qui portent notre projet de transformation sociale émancipatrice en favorisant la solidarité entre tout-e‑s les travailleur-euse‑s, avec ou sans emploi. Là où les équipes militantes le jugent pertinent, SUD éducation s’engage dans les campagnes locales de défense des services publics de la Convergence des Services Publics ou d’autres collectifs unitaires. Ces campagnes peuvent permettre de (re)construire des liens solidaires entre usager-e‑s et salarié-e‑s des services publics, et de redonner du sens aux services publics (contre toutes les privatisations) en lien avec le statut des fonctionnaires (contre la casse engagée).
Les UL et UD de Solidaires doivent pouvoir impulser des cadres d’auto-organisation pour tou-te‑s, y compris les chômeur-euse‑s et les plus précaires par le biais de commission de chômeur-euse‑s ou de syndicats ad hoc.
Dans les collectifs de luttes locaux qui réunissent des individus syndiqué-e‑s ou non-syndiqué-e‑s comme dans les collectifs nationaux qui réunissent des organisations associatives, syndicales.… SUD éducation défend un fonctionnement horizontal (de l’heure d’information syndicale à l’AG) en lien avec les travailleurs-ses qui sont en lutte, en s’opposant à l’autoritarisme et à toutes les tentatives de récupération.
Développer les syndicats et la fédération SUD éducation
Porter nos revendications nécessite de développer notre syndicat et d’accroître notre nombre d’adhérent-e‑s.
Regagner notre représentativité
Pour la regagner lors des élections professionnelles de 2018, la fédération cherchera à présenter le plus grand nombre possible de listes.
Ce travail syndical est nécessaire pour donner confiance aux personnels en montrant que nous sommes capables de les représenter face à notre employeur
Développer le travail fédéral
Notre développement ne peut pas être seulement électoral. La fédération et ses syndicats doivent se donner les moyens d’être lus, et donc lisibles, par les militant-e‑s, les adhérent-e‑s et les personnels.
Nous pouvons nous améliorer, notamment en menant des campagnes fédérales, de leur construction jusqu’au retour sur leur réalisation. Ce travail « ferait fédération » et permettrait le déploiement de matériel commun utile au travail syndical quotidien.
Quelles convergences des luttes ?
Face au pouvoir capitaliste, seule une action collective forte permettra de changer la société. Il nous appartient de construire une réelle convergence des luttes : la convergence ne peut émerger de la juxtaposition ou de l’addition de revendications corporatistes : il s’agit de mettre en évidence ce qui est commun aux différents secteurs du privé comme du public ; une action unitaire ne se construit pas d’en haut, par un accord entre des directions syndicales contraintes de s’aligner sur les positions les plus molles ; c’est à la base, dans nos assemblées générales, que nous pourrons prendre notre avenir en main et que nous pourrons « déborder les partenaires sociaux responsables »
SUD éducation aux côtés des personnels pour une École ouverte à tou-te‑s les élèves
L’idée que tous les enfants puissent aller à l’école est rarement remise en cause mais la chose devient plus complexe lorsqu’on envisage de scolariser tou-te‑s les enfants dans les mêmes établissements. Les dispositions actuelles pour « une école inclusive » interrogent les personnels, leurs pratiques, leur formation, leurs joies, leurs peines. Les orientations et les principes de notre syndicat nous conduisent à tenir une double réflexion : que signifie un droit réel à l’école pour toutes et tous, et comment aider les enseignant-e‑s – qui pour l’immense majorité, souscrivent aux principes de la loi de 2005- à ne pas porter seul-e‑s des situations parfois extrêmement complexes ?
Quand l’école était normale mais pas pour tout le monde
Dès sa généralisation à la fin du XIXéme siècle, l’Ecole Publique n’a pas été une école pour tous les enfants. Dans les villes, elle était plus qu’ailleurs une école pour « les enfants normaux-ales ». « L’enfant arriéré‑e » était cantonné·e au lieu de l’arriération, l’asile et par conséquent soustrait à l’obligation scolaire. Dans les campagnes, le modèle de la classe unique ou de l’école à deux classes (une pour les filles, une pour les garçons) dominait et des élèves fort différent-e‑s pouvaient être accueilli-e‑s. Là, l’hétérogénéité des classes était une évidence. L’exclusion était moindre même si la stigmatisation était bien réelle.
En 1910, l’administration crée des « classes de perfectionnement » pour lesquelles elle trouvera des élèves. L’existence de ces classes est une demande qui vient de la psychologie naissante et pas du tout du milieu enseignant. Elles vont se maintenir pendant 70 ans pour traiter la grande difficulté scolaire.
Des établissements spécialisés avec des écoles séparées
La Loi de 1975 va pour la première fois généraliser l’éducation des enfants handicapé-e‑s. La généralisation de la scolarisation viendra bien plus tard, à partir des structures IME/IMPro qui se multiplient dans les années 70. Dans ces établissements, le but est de préparer à la vie professionnelle en Centre d’Aide par le Travail (CAT), structures mises en place au départ grâce à l’activité des associations de parents. Pour les familles, la loi de 1975 constitue une reconnaissance de 25 années d’activités des associations de parents d’enfants handicapé-e‑s. L’invention du CAT va dicter les contenus d’une « éducation spécialisée » et ce qui doit être enseigné à ces élèves particulier-e‑s quand on juge pertinent d’en « faire des élèves ». De ce système qui ne mettait pas la scolarisation au centre du processus éducatif sont nées des expériences d’intégration scolaire en milieu ordinaire. Grâce, surtout à l’activisme des associations de parents, des écoles puis des collèges vont s’ouvrir à des élèves qui doivent faire individuellement la démonstration de leur capacité à être présent-e‑s dans ces lieux ordinaires. On parlera alors d’intégration. Les SEGPA, nées en 1996 à la suite des CES et SES, sont aujourd’hui profondément modifiées par La Circulaire n°2015 – 176 du 28 octobre. Dans de nombreux établissements spécialisés, on reste encore aujourd’hui sur ces mêmes logiques où le monde ordinaire est appréhendé comme un danger.
Les CLIS et la logique d’intégration
En 1992, les Classes d’Intégration Scolaire vont remplacer les classes de perfectionnement. On va sortir les élèves des classes de perfectionnement pour les mettre le plus souvent dans les classes ordinaires et on va faire entrer dans l’école des enfants qui étaient jusqu’alors scolarisé-e‑s en établissement. Par glissements successifs on va scolariser en établissement des enfants jusqu’alors non scolarisé-e‑s qui étaient accueilli-e‑s en hôpital psychiatrique. Les enseignant-e‑s des écoles vont plutôt adhérer à cette transformation même si les choses ne se déroulent pas partout de la même manière… Cette logique va s’étendre également aux collèges et dans certains lycées professionnels. Ce processus d’intégration va faire débat dans les établissements spécialisés et chez les professionnel-le‑s concerné-e‑s (éducateurs-trices spécialisé-e‑s, chef-fe‑s de service, enseignant-e‑s spécialisé-e‑s, psychologues, psychiatres). Les établissements spécialisés vont ainsi participer de manières différenciées à un processus qui inquiète autant qu’il n’interroge les identités professionnelles.
Dans les écoles et les collèges, les enseignant-e‑s spécialisé-e‑s de ces classes vont avoir pour charge de faire exister des processus d’intégration scolaire (des enfants à un moment de la journée dans des classes ordinaires, des projets entre des classes de l’école ou du collège et tout ou partie de la CLIS etc.). Des enseignant-e‑s du secondaire vont également s’impliquer dans ces montages pédagogiques. Les réalités vont être très différentes d’une école à une autre, d’un département à un autre suivant le dynamisme institutionnel, professionnel, syndical et associatif.
Entre 1998 et 2004 l’intégration individuelle dans le premier degré passe de 27 900 à 58 812, elle passe à 70 100 à la rentrée 2007. Dans le secondaire, de 24 588 élèves intégré·e·s à la rentrée 2004, on passe à 40 700 à la rentrée 2007. De 200 élèves en UPI (collège) à la rentrée 1998 on passait à 5 988 à la rentrée 2004 montrant ainsi que la question de la scolarisation en milieu ordinaire se pose aussi dans l’enseignement secondaire.
La loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées va accélérer le processus de scolarisation des élèves porteur-euse‑s de handicap en milieu scolaire ordinaire même si cela est souvent une scolarisation en classe spécialisée à l’intérieur d’un établissement ordinaire et si la notion de handicap s’est élargie. Cette scolarisation a augmenté de 80% en neuf ans. Dans le second degré, les effectifs ont été multipliés par 2,7. A la rentrée 2015, 350 300 enfants ou adolescent-e‑s en situation de handicap étaient scolarisé-e‑s et 80 % d’entre eux et elles l’étaient en milieu ordinaire, dans une école, un collège ou un lycée.
Vers l’école inclusive
Aujourd’hui le ministère nous parle d’école inclusive et les CLIS sont devenues des Unités Localisées d’Inclusion Scolaire (ULIS). L’école inclusive est une école qui s’adapte aux élèves dont les besoins éducatifs sont particuliers. Dit comme cela c’est un changement de paradigme. Nous sortirions de la catégorie générale de « normalisation » et de ses multiples variations (adaptation, réadaptation, rééducation, redressement, réintégration, réparation, intégration) qui valident la différence pour entrer dans un processus pratique qui relève de l’égalité. L’école inclusive concernerait ainsi des publics scolaires plus larges que les seul-e‑s élèves porteur-eus-es de handicap. On reconnaît d’abord l’humanité et donc l’égalité et c’est ensuite aux institutions de considérer pour elles-mêmes l’adaptation aux besoins particuliers. Les bénéfices d’une telle école se feraient sentir aussi bien aux élèves concerné-e‑s qu’à la classe entière qui pourrait développer ainsi des pratiques ‑d’entraide et de coopération‑, des relations ‑sortant des cadres de la logique de la performance : production et compétition‑, des questionnements enrichissants ‑sur l’idée de norme tout particulièrement-. Le travail des enseignant-e‑s devrait donc logiquement s’en trouver amélioré et enrichi. Cette visée humaniste peut être considérée comme un pas important vers une revendication fondamentale de SUD éducation : l’école pour tou-te‑s.
Il reste que les en seignant-e‑s pointent d’importantes difficultés portant sur ces catégories d’élèves « pas ordinaires ». Nombre de ces élèves ont des besoins qui ne sont pas seulement scolaires et, de ce fait, le travail pluridisciplinaire et l’appui des dispositifs spécialisés est plus que nécessaire. Aujourd’hui, la solitude génère une souffrance qui incite certain-e‑s collègues à envisager la scolarisation de certain-e‑s enfants comme une dégradation supplémentaire de leurs conditions de travail. De même, les conditions actuelles d’inclusion génèrent parfois de la souffrance pour les élèves.
Pour nous, il n’est pas question de condamner cette conception inclusive de l’école pour surfer syndicalement ‑comme d’autres l’ont fait- sur les difficultés réelles de nombre de personnels. Il n’est pas question de prétendre que ces élèves, pas faciles à prendre en charge seraient mieux à « leur place » en établissement spécialisé, tout simplement parce que nous ne le pensons pas et que pour la plupart de ces enfants ce n’est pas vrai. Reste la situation particulière des élèves dangereux-euses pour elles/eux ou pour les autres.
Bien au-delà du handicap, l’école inclusive est le moyen de repenser l’école dans le sens d’une école démocratique c’est-à-dire une école de l’égalité des droits, une école où personne n’a à faire la preuve de sa capacité à être là. Pendant longtemps, ces élèves différent·e·s ont été scolarisé-e‑s entre eux et elles dans des structures différentes sans que personne ne puisse jamais faire la démonstration que c’était mieux pour eux et elles. On considérait surtout que c’était mieux pour les autres de ne pas être perturbés par ces « trop mal apprenant-e‑s ». Ceci étant, si la question du handicap est très consensuelle politiquement, celle de la scolarisation des « sauvageon-ne‑s » voire des « fou-lle‑s » l’est beaucoup moins.
L’école inclusive n’est pas la négation du handicap, elle est plutôt la reconnaissance d’une communauté de tou-te‑s les élèves malgré le handicap. Et elle ne signifie pas non plus la fermeture des établissements spécialisés et des différents dispositifs mis en place dans les écoles, les collèges et les lycées. Au contraire, nous voulons affirmer ici que tous les dispositifs spécialisés et leurs personnels doivent être mis au service d’une école capable de prendre en charge le maximum d’élèves dans leur diversité.
Un paradigme sans moyens, la précarité comme seule nouveauté
Si cette nouvelle réalité témoigne de jolies réussites, aussi bien pour ces élèves à besoins éducatifs particuliers que pour les autres élèves qui ne vivent peut être plus les premier-e‑s comme des « monstres cachés », il reste que la réalité du travail dans ces différents dispositifs n’est pas sans problème, faute d’avoir développé des moyens adéquats. L’éducation nationale prône la mise en place d’une politique et comme souvent c’est elle qui entrave sa mise en place dans des conditions correctes. Ainsi on voit par exemple les effectifs d’élèves augmenter en ULIS année après année dans de nombreux départements.
Dans les inspections académiques, les rectorats, au ministère on se félicite à bon compte des chiffres qui montrent une scolarisation massive des enfants porteur-se‑s de handicap en milieu ordinaire. Cependant cette « révolution culturelle » ne s’accompagne d’aucune remise en cause du reste de la structure éducative et les enseignant-e‑s concerné-e‑s par ces scolarisations ont le devoir de supporter, le plus souvent seul-e‑s, toutes les contradictions du système.
A elles et à eux de réaliser ce que l’on attend d’eux et d’elles sans jamais le leur avoir expliqué : 900 000 heures de formation continue ont été consacrées à une réforme des collèges que les personnels refusaient majoritairement. Pour le prétendu nouveau paradigme de l’école inclusive : rien.
Pour multiplier les intégrations individuelles et mettre sur cela l’étiquette d’une école inclusive, l’éducation nationale a créé de « nouveaux métiers », les assistant-e‑s de vie scolaire. Devenus AESH (Aide aux Elèves en Situation de Handicap), ils et elles restent des salarié-e‑s précaires, avec peu de formation et sans perspective d’emploi stable et avec un salaire indigne. La loi de 1975 avait multiplié les créations d’emplois d’éducateur-trice‑s spécialisé-e‑s, la loi de 2005 multiplie les emplois précaires pour une évolution du système éducatif jugée par ailleurs fondamentale. Dix ans plus tard 5 000 AVS seulement sur plus de 82 000 ont obtenu un CDI et pour l’énorme majorité d’entre eux et d’elles ce contrat est à temps partiel. Au fil des transformations de cet emploi le nombre d’élèves à accompagner a augmenté, ce qui dégrade le suivi et les conditions de travail. Enfin, beaucoup d’élèves risquent de se retrouver sans accompagnement car les délais pour déposer les dossiers MDPH ont été revus à la baisse alors qu’on sait que certain-e‑s élèves sont repéré-e‑s en cours d’année, et cela s’accentue encore avec les 20 000 suppressions de contrats aidés qui touchent forcément certains postes d’AVS.
Il est également impensable de ne pas revoir dans un premier temps les effectifs dans les classes ordinaires qui accueillent ces élèves. La dégradation continue des conditions de travail et ce, depuis des années, fait que la « goutte d’eau » qui fait déborder les collègues, c’est souvent l’élève de plus, l’élève en difficulté, l’élève agité‑e et non la véritable cause, à savoir la pression accrue des injonctions intenables. La circulaire SEGPA du 28 octobre 2015, mise en place en 6ème sans aucun cadrage national ni départemental, génère une grande souffrance au travail des élèves, des PE-ASH et des PLC non formé-e‑s, face à une différenciation rendue impossible par les effectifs et le manque de moyens horaires. Elle entraîne aussi un accroissement du temps de travail par les concertations sans aucune contrepartie horaire au motif qu’elles font partie des nouvelles missions. Or, que l’administration compte sur le seul don de soi et la culpabilisation des enseignant-e‑s, c’est dégueulasse.
Bien au-delà du handicap, l’école inclusive est un moyen de repenser l’école pour qu’elle devienne réellement démocratique et égalitaire. Cela passe par des conditions qui sont pour SUD éducation autant de revendications :
• Pour que l’École Publique se dote de structures adaptées (locaux, personnels et fonctionnement) pour l’accueil et le suivi de tou-te‑s les élèves.
• Pour que l’éducation nationale recrute des personnels spécialisés (éducateur-trice‑s, psychologues, médecins, infirmier-ère‑s, assistant-e‑s sociaux-ales, psychiatres, orthophonistes, personnels accompagnants…).
• Pour que les enseignantes et enseignants spécialisé-e‑s soient plus nombreux-ses, permettant, entre autres, le redéploiement de RASED complets partout en nombre suffisant.
• Pour l’arrêt des recrutements de salariés précaires et la titularisation en qualité de fonctionnaire et la formation des personnels déjà employés sur des emplois d’éducateur-trice‑s spécialisé-e‑s avec un statut de fonctionnaire d’Etat.
• Pour la titularisation immédiate sans condition de concours et de nationalité de tou-te‑s les travailleur-e‑s précaires et l’arrêt des recrutements en contrat précaire.
• Pour la réduction des effectifs d’élèves dans toutes les classes avec la prise en compte des élèves d’ULIS scolarisé-e‑s en classe ordinaire et le maintien d’un équilibre entre élèves en situation de handicap et les autres pour éviter les classes spécialisées.
• Pour la reconstruction d’une véritable formation continue sur le temps de service prenant en compte la spécificité des élèves à besoins particuliers.
• Pour des moments réguliers d’analyse des pratiques dans un cadre pluridisciplinaire.
• Pour la prise en compte dans le service du temps supplémentaire consacré au suivi des élèves, notamment celles/ceux à besoins particuliers.
• Pour la formation dès l’ESPE des futur-e‑s enseignant-e‑s aux pratiques pédagogiques favorables à l’école inclusive.
• Pour un temps de concertation entre professionnel-le‑s concerné-e‑s intégré au temps de service.
• Pour la gratuité aux familles de tous les soins liés à une situation de handicap, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école.
Conditions de travail : comment agir à partir de notre réalité syndicale ?
Notre travail militant quotidien montre que la dégradation des conditions de travail et la question de la santé au travail sont une réalité à prendre en charge syndicalement. Cette prise en charge s’inscrit donc dans une histoire récente dans laquelle l’Union syndicale Solidaires et la fédération ont pris toute leur place.
Bilan de nos orientations et constats
Agir sur les conditions de travail des personnels est une orientation constante de la fédération depuis le congrès de 2009. Notre politique de formation permet aux équipes militantes de s’approprier des pratiques et outils pour la défense et l’amélioration des conditions de travail. Les questions de conditions de travail, de rapport au travail et de santé au travail doivent être mises au centre des débats par nos actions et revendications par tous les syndicats. Dans un contexte défavorable au progrès social, cela doit permettre aux syndicats d’établir un rapport de force face à l’employeur.
Sur le terrain, nous constatons deux écueils : un refus fréquent de la part des employeurs à appliquer les textes de loi favorables aux personnels. Et surtout, les récentes réformes législatives tant dans le public que le privé ont tendance à réduire les protections envers les salarié-e‑s. Cependant, en quelques années les personnels formés ont pris conscience de leurs droits et se sont emparés de nos moyens d’actions. L’employeur ne peut plus balayer d’un revers de main un certain nombre de leurs demandes mais persiste à tout mettre en œuvre pour éviter de se conformer à ses obligations.
La mise en lumière des manquements de l’employeur a provoqué un durcissement de sa posture et des entraves multiples. A cela peuvent s’ajouter, selon les situations locales, le refus des autres organisations syndicales d’entrer en conflit avec l’administration. Notre faible présence en CHSCT ne nous permet pas d’y introduire notre vision de ces CHSCT comme terrain de lutte. Sur ces sujets, peu de combats intersyndicaux existent. Et si en certains endroits nous parvenons à engager ce rapport de force et à remporter des luttes, le résultat aux prochaines élections professionnelles sera déterminant pour généraliser cette lutte.
Dans le champ des risques professionnels, qu’ils soient matériels, environnementaux ou organisationnels (psychosociaux en novlangue managériale), l’employeur tente de se délier de sa responsabilité à divers degrés : la prévention des risques organisationnels, liés au radon ou à l’amiante en sont de bonnes illustrations. Il demeure compliqué de contraindre l’employeur à assumer sa responsabilité et son obligation de résultat. Cet obstacle est renforcé par nos difficultés à coordonner et mutualiser nos actions et mener des campagnes massives impliquant les personnels et les usager-e‑s.
Plus encore, face à notre détermination et au défaut d’implication de l’intersyndicale, l’employeur intensifie la répression à l’encontre de nos militant-e‑s : écrits à charge dans les registres, pressions sur les postes et affectations, manquements répétés au droit des personnels et au droit syndical… Autant d’exemples qui nous imposent une vigilance constante et une riposte collective coordonnée au niveau fédéral, afin de mutualiser nos ressources et d’éviter l’épuisement militant local.
Quels moyens de lutte et de mobilisation pour la défense et l’amélioration des conditions de travail ?
La multiplicité des attaques de l’employeur impose de penser et repenser nos pratiques syndicales internes et envers les personnels. Engager systématiquement le passage de l’individuel au collectif à travers la communication, les pratiques d’enquête-action, l’investissement dans Solidaires (formations, commissions…), la formation locale et fédérale, s’impose à nous, tout comme définir des actions concertées et des campagnes fédérales. Cela doit permettre de remobiliser les personnels autour des conditions de travail pour les amener progressivement vers la grève construite à partir de leur réalité de terrain.
Les pratiques d’enquête-action
Nous nous fixons l’objectif de développer l’autogestion dans le champ des conditions de travail. Pour ce faire, (re)créer des espaces collectifs de discussion permet aux personnels de construire les luttes. Ils et elles doivent être en mesure, avec l’action du syndicat, d’analyser leurs conditions de travail pour se mettre en action. Expert-e‑s de leur travail, ce sont les plus à même d’en pointer les dysfonctionnements. L’action syndicale doit alors être repensée pour permettre aux personnels de s’emparer de leur pouvoir d’agir. L’enjeu consiste à interroger le travail avec les personnels, à le mettre en mots sans plaquer d’analyse pré-établie, tout en construisant les luttes avec les personnels en partageant avec eux nos orientations. Les équipes peuvent s’appuyer sur l’expérience de Solidaires pour développer ces pratiques d’enquête-action qui permettent aux personnels de s’émanciper, de s’engager dans l’action collective et de tendre vers leur propre autogestion des luttes.
Former les travailleurs-euses et développer le militantisme
Dans un contexte de désyndicalisation massive sur nos lieux de travail, la formation de militant-e‑s de terrain au fait des débats, enjeux et outils, est plus que jamais nécessaire pour permettre une diffusion de nos orientations et engager les luttes. Notre formation militante doit se nourrir des formations Solidaires et fédérales autant que des formations locales où le terrain aide à repenser constamment nos pratiques.
La formation locale à destination des personnels leur permet de s’emparer de leur pouvoir d’agir, de connaître leurs droits et de partager nos orientations et analyses. Elle vise une réappropriation des espaces collectifs où mettre le travail et les conditions de travail en débat. Cette formation locale peut être ouverte ou interne afin de favoriser l’investissement collectif. Ces stages doivent nous faire réfléchir sur notre « conscience professionnelle » qui empêche souvent les collègues de faire grève ou de prendre des autorisations d’absence pour ne pas nuire à leur « mission » de service public. Ils doivent aussi aider à refuser ce que l’institution souhaite nous imposer.
Les formations fédérales et Solidaires à destination des équipes militantes permettent d’acquérir le bagage théorique, politique et technique nécessaire pour mettre en œuvre des pratiques militantes.
L’investissement dans les journées d’étude « Et voilà le travail !” et les formations de formateurs-trices de Solidaires permettent d’être au fait des débats constants et des recherches les plus récentes sur ces sujets pour déployer les formations précédentes.
Le travail en intersyndicale et ses limites
Nos équipes butent fréquemment sur la difficulté à mettre en œuvre des stratégies intersyndicales. Les positionnements et publications d’autres organisations syndicales vont jusqu’à ignorer l’état du droit ou reprennent à leur compte les analyses de l’employeur. Ces expressions rendent nos analyses détonantes et sont de nature à dissuader les personnels d’utiliser les outils à leur disposition, ce qui contient leur portée.
Échanger constamment avec les personnels pour rendre visibles leurs attentes et leurs revendications sur le plan individuel et collectif est un moyen d’amener les autres organisations à s’impliquer davantage. Lorsque les autres organisations syndicales refusent a minima la stricte application du droit par exemple, il nous appartient de prendre nos responsabilités. Questionner l’intersyndicale, rompre avec celle-ci si besoin, et agir seul-e‑s s’avère alors nécessaire. Maintenir l’échange avec les personnels, décider collectivement en Assemblée Générale de personnels des revendications à porter auprès de l’employeur et à communiquer publiquement sont alors des leviers primordiaux. Tout cela mettra en évidence les contradictions d’autres organisations syndicales et servira de levier pour les amener à agir en soutien des personnels, sans quoi elles s’exposent à se discréditer.
Consolider les droits des travailleurs-euses et en conquérir de nouveaux
SUD éducation ne peut transiger sur la stricte application des droits existants qui garantissent une protection minimale aux personnels. La fédération doit se donner tous les moyens d’y parvenir, y compris par l’action juridique. Pensés dans un cadre collectif, le contentieux ou la menace de contentieux sont des outils pour contraindre l’employeur à respecter ses obligations et appliquer le droit. Cette construction jurisprudentielle permet de résorber l’écart qui sépare la fonction publique du secteur privé en matière de droits favorables aux personnels. S’appuyer sur les jurisprudences locales et nationales et en obtenir de nouvelles est dans ce cas, primordial. Mener des campagnes fédérales et des actions concertées permet d’étendre ces jurisprudences obtenues localement. Communiquer largement sur l’ensemble des actions entreprises est nécessaire.
Mutualiser nos actions et agir de façon concertée
L’action collective et solidaire est notre force. Coordonnons nos actions de lutte et de défense concernant les conditions de travail des personnels et la répression exercée contre les militant-e‑s : grèves et luttes locales sur des thèmes similaires, campagnes fédérales, actions communes à l’échelle nationale…
Dans le champ juridique, diffusons les jurisprudences auprès des syndicats de la fédération et de Solidaires. Mutualisons entre les syndicats SUD éducation, entre les fédérations de Solidaires Fonction publique, les modèles de recours au contentieux, les contacts de militant-e‑s syndicaux-ales ressources au sein de SUD éducation et Solidaires et de juristes spécialistes du droit public.
Communiquer pour faire-savoir
L’employeur ne peut pas toujours conserver sa posture interne sur la place publique. Il en va de même avec les intersyndicales. Ce sont autant de raisons de diffuser nos luttes et nos revendications via le recours et l’instrumentalisation de la communication publique et à destination des personnels (tracts, communiqués, journaux, listes de diffusion sur les messageries professionnelles, sites, publications…). La fédération doit se donner les moyens de former ses militant-e‑s à l’utilisation de ces outils.
Travaillons avec Solidaires pour faciliter le relais médiatique. À l’instar des risques environnementaux, la mise sur la place publique permet d’infléchir le rapport de force en faveur des salarié-e‑s.
Construire le rapport de force, construire la grève
L’utilisation des outils militants, institutionnels, juridiques et médiatiques ne suffit pas toujours, même à l’échelle locale. Nous devons sans cesse rappeler que pour faire respecter nos droits, en conquérir de nouveaux, améliorer nos conditions de travail, il est nécessaire de créer le rapport de force par nos mobilisations et que la grève reste notre instrument principal de lutte. Les différents moyens d’action ne s’opposent pas, ils se renforcent au contraire les uns les autres en créant du collectif.
Perspectives d’actions à l’échelle de la fédération
La fédération s’engage à :
• relancer la campagne de visites médicales pour dénoncer la carence de moyens dans les services de médecine de prévention en s’appuyant sur la jurisprudence obtenue par SUD éducation Vendée.
• provoquer une multiplication des luttes locales coordonnées sur les risques organisationnels : pointer la responsabilité de l’employeur, outiller les personnels, briser le huis-clos en faisant savoir, user de déclarations communes, de communiqués. Contraignons l’employeur à modifier l’organisation du travail par tous les moyens : enquête-action, droit de retrait et protection fonctionnelle, danger grave et imminent, Registre Santé et Sécurité au Travail, action juridique, et bien sûr la grève.
• imposer la prise en charge réelle des risques environnementaux par l’employeur : obligeons-le à procéder aux mesures et à en informer les personnels et les usager-e‑s. Contraignons l’employeur et les collectivités locales à procéder aux évacuations et aux travaux qui s’imposent, exigeons la production de fiches d’exposition aux risques professionnels et revendiquons la reconnaissance en maladie professionnelle des atteintes à la santé constatées.
• participer pleinement aux campagnes menées sur ces thèmes par Solidaires (exemple : campagne TMS « on en a plein le dos »).
Défendre l’école publique face aux nouvelles offensives libérales et réactionnaires
Durant les gouvernements précédents, l’offensive des capitalistes contre les services publics avait connu un certain nombre de continuités : austérité budgétaire, transferts d’argent vers les entreprises, management, territorialisation. Si elle a connu des inflexions durant le dernier quinquennat, ce n’était que dans l’enrobage : valorisation d’un dialogue social illusoire, d’une participation – verrouillée – des personnels et des usager-e‑s et, dans notre secteur, d’une pédagogie largement fourvoyée. Ces paquets cadeaux ont permis de satisfaire – sinon de berner – une partie des personnels et des organisations syndicales et pédagogiques. Pourtant, nombre de personnels ont largement partagé le constat amer de la désillusion.
Aujourd’hui, avec Macron, on assiste à une recomposition des forces capitalistes : l’alliance des politiques de la social-démocratie et l’héritage ultra-libéral et réactionnaire de la droite. Sa politique éducative en est le reflet. On peut tirer un premier bilan du gouvernement en matière de politique éducative, et poser les axes sur lesquels fonder notre résistance à cette casse généralisée et notre combat pour une autre école, une autre société.
C’est ainsi que nous avons aujourd’hui un Ministère de l’Éducation nationale (MEN) qui est à la fois libéral sans fard et réactionnaire sans complexe. Libéral, car le projet de démantèlement du service public d’éducation se poursuit, à travers au moins deux axes : l’autonomie généralisée des établissements et des territoires, et la poursuite de l’austérité budgétaire. Réactionnaire, car cette offensive capitaliste, à la différence du mandat précédent, ne s’embarrasse pas d’une phraséologie progressiste – elle assume le rejet du « pédagogisme », le retour au B‑A BA, et est adoubée par SOS Éducation1. Petit état des lieux secteur par secteur.
Dans le premier degré :
Les « CP à 12 » sont déjà mis en place depuis septembre 2017 dans les CP de REP+, sans création de postes mais en « redéployant » les maîtres-se‑s sup ou des brigades, dans une logique d’austérité. Imposer arbitrairement une structure allant à l’encontre des décisions souveraines du conseil des maîtres-se‑s témoigne du peu d’intérêt du gouvernement pour les élèves comme pour le travail des enseignant-e‑s mis en place ces dernières années, notamment avec les PDMQDC (« plus de maîtres-se‑s que de classes »). Nos élèves sont déjà soumis-e‑s à une énorme pression de « réussite ». L’objectif « 100 % de réussite en CP » et ces réformes qui en découlent ne font que l’accroître, tout comme le retour du redoublement et les stages de « réussite » (encore ! ) pour les CM2, ainsi que le retour des évaluations nationales en CP. Quant aux rythmes scolaires, le décret du 27 juin 2017 n’abroge pas la réforme de 2014 mais permet des dérogations locales : cette parodie de consensus local, dans laquelle seule l’autorité académique a le dernier mot et les « impératifs financiers » sont déterminants, ne fait que renforcer les inégalités entre les communes et la dynamique de territorialisation à l’œuvre. Les communes sont de fait de plus en plus décisionnaires quant à l’organisation de l’école.
Dans le second degré :
La réforme du collège, que nous avons combattue, a fait l’objet d’un détricotage par l’arrêté du 18 juin 2017, qui n’a pas réduit les effets inégalitaires de la réforme mais a, au contraire, renforcé l’autonomie des établissements : possibilité de mettre en œuvre ou non les EPI en respectant un minimum fixé dans l’arrêté, renforcement des bilangues dans une optique élitiste… La réforme du bac et du lycée est en continuité avec la généralisation de la sélection pour l’accès aux études supérieures, renforçant le tri social. Avec un lycée « à la carte », les élèves seront rendu-e‑s davantage individuellement responsables de leurs parcours. Dans l’organisation actuelle, l’extension du CCF ou du contrôle continu au bac contribue à casser sa valeur nationale. Cela s’inscrit dans le projet de mettre fin aux diplômes, aux qualifications et aux garanties collectives.
Dans les LP :
La voie professionnelle sous statut scolaire risque de connaître une attaque sans précédent. Patronat, gouvernement et régions ne cessent de la remettre en cause tout en promouvant et en finançant l’apprentissage. Le gouvernement entend régionaliser l’enseignement professionnel afin de le placer sous le contrôle des régions et des organisations patronales. Cette régionalisation amputerait ainsi à l’Éducation nationale la voie professionnelle dans laquelle est scolarisé un tiers des lycéen-ne‑s. Les régions s’efforceront ainsi de réduire l’offre de formation dans les lycées professionnels, entraînant de fait une spécialisation des territoires et donc des inégalités territoriales.
Pour les agent-e‑s des collectivités :
Les conditions de travail des agent-e‑s techniques du second degré sont très difficiles et extrêmement variables d’une collectivité à l’autre. Ces différences se sont accrues avec la fusion de certaines régions. Par ailleurs, les politiques de rigueur budgétaire dans les départements et les régions détériorent encore les conditions de travail des agent-e‑s. La précarisation touche évidemment les agent-e‑s en question, et le recours aux CDD et CDI s’est accru, ainsi que le recours aux contrats aidés. Avec le gouvernement Macron, de nombreux postes d’agent-e‑s en CUI sont supprimés. Les perspectives sont assez transparentes : développement du transfert de ces missions de service public vers la sous-traitance privée, comme on le constate déjà dans certains départements et d’autres services publics, comme l’hospitalier.
Dans l’Enseignement supérieur et la recherche (ESR) :
L’enseignement supérieur et la recherche sert de laboratoire de l’école néolibérale : les universités sont déjà « autonomes », c’est-à-dire contraintes de gérer seules leur fonctionnement et leur personnel avec un financement public qui n’a pas varié depuis la mise en place de la loi LRU2 en 2007), ce qui les empêche ne serait-ce que de faire face au simple avancement de carrière des personnels. Face à cela, les solutions proposées par le gouvernement Macron vont dans le sens d’une université toujours plus sélective et élitiste, pendant que la précarité augmente et que les entreprises censées faire de la recherche et développement reçoivent un cadeau de près de six milliards d’euros en déductions fiscales (Crédit d’impôt recherche).
Dans certains départements, la baisse démographique sert de prétexte à fusionner et/ou fermer des écoles et établissements, en ne se basant que sur des moyennes d’effectifs, sans préoccuper des temps de trajets allongés, des mobilités fonctionnelles ou géographiques forcées de personnels. Ainsi, ce sont bien des économies d’échelles qui sont réalisées, bien souvent au profit d’établissements et écoles privés, au détriment du service public de proximité.
Dans tous les degrés, une vision réactionnaire de l’école :
C’est le MEN qui a été stratégiquement choisi par Emmanuel Macron pour satisfaire la frange la plus réactionnaire de ses soutiens : le choix de Jean-Michel Blanquer, chantre de la fondation Espérance banlieue3 et dont la nomination a été louée par SOS Éducation, n’est pas un hasard. Le vocabulaire choisi par Blanquer et les orientations pédagogiques dévoilées dans les projets de réforme des programmes répondent aux diatribes des « réac-publicains »4 : retour du chronologique en histoire (comme s’il avait disparu), mais aussi en français (qui, lui, n’est plus pratiqué depuis 1945 !), retour à l’apprentissage des quatre opérations de base dès le CP et CE1 au motif qu’il faut combattre « cette fausse bienveillance qui consiste à retarder les apprentissages »5…
Les logiques réactionnaires ayant leur cohérence, on peut s’inquiéter des mains tendues à différents groupes réactionnaires (les « humilié-e‑s de la manif pour tous ») en ce qui concerne le sexisme et les lgbtphobies à l’école.
Le président Macron et son gouvernement mènent clairement une politique de régressions sociales au profit de la classe dominante. La fédération SUD éducation doit être en première ligne des mobilisations.
Cela implique plusieurs choses. D’une part, la stratégie, reconduite de congrès en congrès, de construction d’une unité syndicale large autour des revendications des salarié-e‑s, doit être poursuivie. Cela implique de poursuivre le travail commun y compris avec des organisations dont nous ne partageons pas toujours les aspirations en terme de projet d’école ou de société, ou en terme de stratégie au sein du mouvement social. D’autre part, cela implique de poursuivre notre travail de pédagogie et d’explicitation de notre corpus revendicatif – qu’il s’agisse des revendications intermédiaires ou des revendications à long terme, propre à notre projet d’école et de société. En effet, porter un projet d’école égalitaire, émancipateur et autogestionnaire est un véritable défi dans la période actuelle et c’est par nos pratiques syndicales et professionnelles au quotidien que nous pourrons faire avancer nos idées. Enfin, cela implique de renforcer la cohérence et la capacité d’intervention de notre fédération, et donc sa capacité à mener des débats sereins, constructifs, dans le cadre d’instances démocratiques dont le sens et les finalités sont partagés par l’ensemble des syndicats et des adhérent-e‑s.
La fédération SUD Éducation sait que son projet d’école, égalitaire, émancipatrice et autogestionnaire, aura des difficultés à être audible dans un contexte de régression sociale généralisée. En effet, dans la période actuelle, les discours syndicaux les plus audibles auprès des collègues sont de deux ordres : repli sur la défense individuelle d’une part, politique réactionnaire et passéiste d’autre. Face au premier, nous devons nous montrer capables de promouvoir les luttes collectives comme seul rempart efficace face aux attaques contre les droits sociaux et les services publics, tout en assumant nos rôles d’élu-e‑s du personnel qui nous permettent d’aider et de renseigner les collègues. Face à la seconde, nous devons affirmer que nous ne pouvons nous satisfaire de l’école telle qu’elle est, dont le principe est de trier les élèves pour alimenter la division capitaliste du travail. La fédération SUD éducation décide de poursuivre le travail de construction de collectifs pour des alternatives pédagogiques et sociales engagées lors du précédent congrès, dans l’objectif de « promouvoir le rassemblement des forces et militant-e‑s qui portent un projet émancipateur indissociablement social et pédagogique, pour faire entendre le plus largement possible ces voix alternatives, leur donner toute leur place dans le combat idéologique et dans la construction des mobilisations ». Enfin, notre fédération dispose d’un corpus d’analyse original, sérieux et étayé des pressions réactionnaires de toutes sortes qui pèsent sur l’éducation, et qui prennent dorénavant corps : c’est le moment de le mobiliser de toutes nos forces pour montrer qu’avec le rouleau compresseur capitaliste avance une idéologie réactionnaire incompatible avec le progrès social.
Pour mobiliser les personnels et plus largement celles et ceux qui souhaitent défendre le service public laïque d’éducation, la fédération SUD Éducation portera des campagnes sur les thèmes suivants :
• Discours réactionnaire sur l’école vs pédagogies émancipatrices
• Arrêt du financement public des écoles privées
• Autonomie, management
• Baisse du nombre d’élèves par classe
Motions d’actualité
Le huitième congrès de la fédération des syndicats SUD éducation s’est tenu du 26 au 30 mars 2018 à Boulogne-sur-Mer.
Outre les textes d’orientations en débat dans ce congrès, les délégué‑e‑s ont adopté plusieurs motions d’actualités.
Vous trouverez ci-dessous la liste de ces motions, avec des liens pour en prendre connaissance.
- SUD éducation solidaire des peuples du Rojava
- Motion de soutien aux prisonniers politiques sahraouis
- Ni à Bure, ni ailleurs !
- Uni-e‑s contre l’extrême droite !
- Motion sur les Assises de la maternelle
- Construire le rapport de forces dès maintenant
- Communiqué sur la lettre du Ministre aux personnels de l’Éducation Nationale
- Licenciement de Gaël Quirante une attaque politique contre un syndicalisme de lutte
- Universités : SUD éducation condamne la répression, les agressions et les mises sous tutelles