Ce rapport publié en septembre 2024 s’intéresse à la situation des élèves en situation de handicap (ESH) dans le système éducatif français, en particulier à la lumière des récentes évolutions législatives et des pratiques de scolarisation. Le public cible de ce travail est principalement constitué des élèves handicapé·es, et non des élèves à besoin éducatif particulier. Ce rapport interroge les frontières souvent floues entre handicap et difficultés scolaires, un enjeu particulièrement sensible pour ces élèves, dont les besoins sont parfois mal identifiés ou insuffisamment pris en charge.
SUD éducation dénonce le fait que la parole donnée aux personnes concernées ne soit pas plus visible dans le rapport, ce qui constitue un écueil significatif dans la méthodologie présentée et témoigne du validisme systémique qui perdure dans la société.
I. Un constat inquiétant auquel SUD Éducation souscrit
La loi de 2005 a certes marqué un tournant dans l’inclusion des élèves handicapé·es, en facilitant leur accès à l’école et en permettant une meilleure définition de leurs besoins. Selon les données disponibles, 3,3 % des élèves sont en situation de handicap, une proportion qui est plus élevée dans le secondaire que dans le primaire. De plus, cette proportion varie considérablement selon les origines sociales et le genre, les garçons sont par exemple surreprésentés. Certain·es élèves sont également notifié·es pour des raisons de précarité, ce qui montre une complexité dans la reconnaissance et l’accompagnement de ces élèves.
I.1. L’école à bout de souffle
Manque de clarté des objectifs, manque de données
L’un des principaux problèmes identifiés dans le rapport est le manque de clarté des objectifs de la politique inclusive. Cette politique souffre d'une instabilité chronique en matière de directives et d’une multiplication des dispositifs qui manquent de cohérence. Les données disponibles sur la scolarisation des ESH sont lacunaires, et l'absence de critères de performance concrets des mesures mises en place rend difficile toute évaluation de leur efficacité. Le rapport indique clairement que le ministère de l’Éducation nationale n'est pas en mesure de suivre la trajectoire de ces élèves de manière satisfaisante, ni de mesurer leurs résultats ou leur bien-être.
Hétérogénéité des territoires
Le rapport met également en lumière une inégalité géographique frappante dans la prise en charge des élèves en situation de handicap. Par exemple, dans certains départements comme celui de Créteil, 21 % des demandes d’aides humaines sont en attente de décision, soulignant l’ampleur du manque de moyens et de cohérence dans l’action publique. De plus, la décision de scolariser un élève en milieu ordinaire ou dans un établissement spécialisé dépend souvent de l’offre disponible dans le territoire, et non des besoins réels de l’élève, ce qui peut conduire à des pratiques discriminantes.
Le parcours scolaire des ESH : un parcours de combattant·e
Le parcours scolaire des élèves en situation de handicap (ESH) reste un véritable parcours de combattant·e, marqué par une mise en œuvre insuffisante des prescriptions de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Le plan personnalisé de scolarisation (PPS), censé définir les aménagements nécessaires, est rarement communiqué de manière systématique, et les écarts de calendrier entre l'Éducation nationale et la MDPH compliquent encore davantage l'accompagnement. Ce parcours semé d'embûches, notamment au moment de la transition entre le primaire et le collège, puis du collège vers le lycée, expose les élèves à de réelles ruptures scolaires. En conséquence, le nombre d'enfants non scolarisé·es ne cesse d'augmenter. Les performances scolaires des ESH varient également en fonction du type de handicap, les déficient·es visuel·les obtenant des résultats supérieurs à ceux des élèves atteint·es de troubles moteurs ou de déficience et troubles associés. Toutefois, ces différences de performance sont directement liées à la qualité de l'accompagnement médico-social, qui reste insuffisant dans de nombreux cas, malgré l’alternative entre scolarisation ordinaire et spécialisée.
La ségrégation scolaire se manifeste par un maintien des élèves en milieu ordinaire ou leur orientation vers des dispositifs comme l'Ulis ou la Segpa, et à la fin du cycle 3, de plus en plus d’élèves sont orienté·es vers des structures médico-sociales. Ainsi, près de 38,2 % des élèves sont orienté·es vers des structures spécialisées à la fin de leur scolarité ordinaire. Au collège, les résultats au brevet restent inférieurs à la moyenne, malgré les aménagements mis en place, avec un écart de 1,2 points entre les élèves ayant des aménagements et ceux n’en bénéficiant pas. La situation se complique encore dans le secondaire, où la surreprésentation des ESH en lycée professionnel (passant de 3 % en 2017 à 4,9 % en 2021) témoigne de l’absence de dispositifs adaptés dans les lycées généraux et technologiques. Une tendance similaire se retrouve en apprentissage, avec une augmentation de 21 % du nombre d’apprenti·es en situation de handicap entre 2021 et 2022.
Bien que la loi du 5 septembre 2018 et la loi pour le plein emploi du 18 décembre 2023 prévoient des adaptations pour favoriser l’insertion professionnelle des personnes handicapées, notamment par la présence d'aides humaines en apprentissage, la réalité est souvent bien différente. Ces mesures sont peu appliquées et le nombre d'élèves n'obtenant pas leur diplôme (CAP ou Bac Pro) reste élevé. En 2022, seulement 38 % des personnes handicapées étaient en emploi, contre 68 % pour la population générale, avec un taux de chômage deux fois plus élevé (12 % contre 7 %). La situation de l’enseignement supérieur reste également complexe, avec des évolutions positives, mais des difficultés persistantes, notamment dans les filières sélectives, montrant que l’inclusion scolaire et professionnelle des élèves en situation de handicap reste encore largement insuffisante.
Accessibilité matérielle
L’accès des ESH à des équipements pédagogiques adaptés reste insuffisant, avec une faible proportion d’élèves bénéficiant de matériel spécialisé. Par ailleurs, l’accessibilité physique des établissements scolaires, notamment en matière de bâtis scolaires et de transports, varie considérablement d’un département à l’autre, entraînant de grandes disparités dans la prise en charge des élèves handicapé·es.
Conditions de travail des enseignant·es
Le rapport montre que les enseignant·es se retrouvent souvent démuni·es face aux défis posés par la prise en charge des élèves en situation de handicap, principalement en raison d’un manque de formation spécifique. Cette carence de préparation et d’accompagnement met en lumière un enjeu crucial : la nécessité de prévenir les risques psycho-sociaux importants auxquels ces enseignant·es sont exposé·es. Les enseignant·es référent·es, déjà surchargé·es de travail, peinent à répondre à la demande croissante, ce qui accentue leur épuisement professionnel.
De plus, la valorisation des enseignant·es spécialisé·es reste insuffisante, tant au niveau de la reconnaissance que de la rémunération, alors que le recrutement dans ces spécialités se révèle de plus en plus difficile, en raison de la formation exigeante qui, de surcroît, est désormais dispensée en alternance avec le service « classique » des enseignant·es. Par ailleurs, le réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) souffre d'une organisation territoriale trop vaste, rendant l'accompagnement de plus en plus difficile à mettre en place efficacement. Bien qu'il n'y ait pas de mention officielle de leur suppression, les postes sont de moins en moins nombreux, parfois « gelés ». La pérennité de ce dispositif semble incertaine, avec des conséquences potentiellement dramatiques pour l'accompagnement des élèves en difficulté. Ces lacunes dans la formation, le soutien et la reconnaissance des enseignant·es spécialisé·es contribuent à un environnement de plus en plus difficile, tant pour les professionnel·les que pour les élèves.
Accessibilité pédagogique
Le système scolaire peine à offrir une véritable inclusion des élèves en situation de handicap, notamment en raison de pratiques pédagogiques hétérogènes. Les élèves en situation de handicap arrivent au collège avec des acquis bien inférieurs à ceux de leurs camarades de classe, et leurs conditions de scolarisation, particulièrement au primaire, ne permettent pas toujours de les amener au même niveau de compétences que leurs pairs. En outre, un climat scolaire dégradé, marqué par des incidents de harcèlement, touche plus particulièrement ces élèves.
I.2. La cour des comptes dubitative sur les nouvelles mesures annoncées
Suite à la conférence du handicap de 2023, il n'y a pas eu de prévision budgétaire spécifique pour accompagner les annonces faites, ce qui soulève des inquiétudes quant à la concrétisation des mesures proposées. Parmi les propositions, la généralisation du Livret Parcours Inclusion (LPI) d'ici 2025 a été avancée, sans remettre en question le principe de cet outil, bien qu'il interroge sur son efficacité à grande échelle.
Par ailleurs, un autre dispositif, l'application de gestion des ESH (AGESH), est en cours de déploiement, ce qui suscite des interrogations sur la nécessité de maintenir deux outils distincts pour gérer les mêmes besoins.
La création d'un poste d'enseignant·e référent·e handicap, distinct de l'enseignant·e référent·e classique, est envisagée pour apporter un soutien aux équipes éducatives. Toutefois, cette nouvelle fonction soulève des préoccupations sur la multiplication des interlocuteurs et interlocutrices , avec le risque d'alourdir davantage l'organisation sans apporter de solution claire.
La mise en place des PIAL (pôles inclusifs d'accompagnement localisés) est également critiquée, car elle entraîne une dégradation des modalités d'accompagnement, notamment avec les AESH réparti·es entre plusieurs établissements, sans que le rôle des différent·es acteur·rices (coordinateur·rice, pilote) soit clairement défini. De plus, la prise en compte des besoins d'accompagnement des élèves hors temps scolaire reste difficile, un domaine qui nécessite une réflexion approfondie. Parmi les solutions proposées, plusieurs modalités de gestion des accompagnant·es sont évoquées, telles que la mise à disposition par l'État ou le recrutement direct par les collectivités. La solution retenue par la loi du 28 mai 2024, qui permet de recourir aux AESH pendant le temps méridien, ne prend toutefois pas position sur la modalité la plus appropriée, laissant ouverte la question de l'efficacité de ce choix.
II. Un manque d'ambition dans les préconisations
II.1. Pas de remise en question de l'école méritocratique
Le rapport de la Cour des comptes soulève des questions fondamentales sur les conditions d’évaluation et d'accès aux diplômes des élèves en situation de handicap. Bien que le rapport reconnaisse la nécessité de sensibiliser et de former les acteur·rices éducatif·ves à l'inclusion, il aborde de manière timide et indirecte les contradictions inhérentes à un système scolaire qui, tout en se réclamant de la méritocratie, peine à concilier cette idéologie avec les besoins spécifiques des élèves handicapé·es.
Pour illustrer, une étude statistique de 2023 témoigne du décalage persistant entre la perception des enseignant·es de l'école inclusive et ses principes, ses objectifs. En effet, elle montre que seuls 25% des répondant·es ont une conception de l’école inclusive correspondant à ses principes et à sa philosophie tandis 52% des personnes interrogées sont restées dans la logique de l'intégration.
Cette étude montre également que les personnels favorables à l'inclusion scolaire sont davantage des enseignant·es du 2nd degré et qui croient en leurs compétences professionnelles.
A l'inverse, les personnels les moins favorables à l'inclusion scolaire sont celles et ceux qui croient en la méritocratie et conservent des croyances stéréotypées sur les élèves handicapé·es.
Une des observations centrales du rapport est le fait que, bien que des aménagements aux examens soient généralement jugés justes par les acteur·ices du système éducatif, une majorité d’entre eux et elles ne conçoivent pas ces aménagements comme une évaluation des mêmes compétences. Ils sont perçus comme une mesure compensatoire permettant de « rattraper » un handicap, mais non comme un ajustement légitime d’une évaluation censée refléter une réalité plus équitable. Cela soulève la question fondamentale : les élèves en situation de handicap sont-ils et elles évalué·es dans des conditions comparables à celles de leurs pairs non handicapé·es ? Le sentiment d'injustice provient de l’écart entre la finalité d’un diplôme, perçu comme un gage de mérite, et les conditions inégales dans lesquelles ces élèves parviennent à l’obtenir.
II.2. AESH, second emploi du ministère, mais toujours pas de statut
Le rapport de la Cour des comptes souligne que les AESH (accompagnant·es des élèves en situation de handicap) sont devenus un « second emploi » au sein de l'Éducation nationale, mais il n'avance aucune proposition concrète pour la création d'un nouveau corps dédié à ces professionnelles.
Cette position est d’autant plus contradictoire que, d’une part, le rapport met l’accent sur l’importance des moyens, mais, d’autre part, il dénonce ces mêmes moyens, notamment en ce qui concerne les conditions de travail des AESH.
Si le recours massif aux AESH est mis en lumière, le rapport critique de manière limitée les conditions de travail de ces professionnelles : manque de formation qualitative, précarité de l’emploi, augmentations salariales insuffisantes, temps incomplet, manque de temps de concertation, ainsi que la différence de rôle entre le premier et le second degré.
Bien que le rapport évoque la nécessité de reconnaissance pour les AESH, il omet de suggérer la création d’un statut de fonctionnaire ou la mise en place d’un temps de travail complet de 24 heures, se limitant à préconiser un cadre de gestion renforcé.
En insistant sur le coût budgétaire de l'accompagnement humain, le rapport le présente comme un « puits sans fond », mais sans évaluer les effets discutables de cette approche. Il précise qu'une évaluation rigoureuse aurait permis de mettre en évidence que le recours excessif aux AESH pourrait nuire à l’accessibilité pédagogique, qu'il devrait y avoir d'autres actions au-delà de l’accompagnement humain. Les AESH seraient un frein à l’autonomie comme l’aurait montrée la conférence sur le handicap de 2023.
Le rapport fait preuve une nouvelle fois de contradictions en admettant l'absence d’évaluation des pratiques tout en mettant en avant les coûts croissants liés à l’accompagnement humain.
Bien qu'il soit indéniable que l'école se repose largement sur les AESH, une conclusion plus pertinente pourrait être de souligner que ces professionnelles sont empêchées d'exercer leurs missions de manière optimale et efficiente.
La Cour des comptes fait état d’une augmentation de 90 % des équivalents temps plein (ETP) d’aides humaines entre 2013 et 2022, due à la hausse des effectifs d’élèves en situation de handicap (ESH) et à une plus grande prescription des MDPH.
Dans le premier degré 60% des élèves handicapé·es bénéficient d’une aide humaine contre 43% dans le second degré.
Enfin, bien que la Cour des comptes approuve la mutualisation des AESH pour des raisons budgétaires, elle se contente de pointer l’absence d’un référentiel de gestion commun, sans dénoncer les effets pervers de cette mutualisation sur la qualité de l’accompagnement individualisé des élèves.
II.3. Coexistence de deux secteurs médico-social et scolaire et manque de fluidité
Le rapport met en lumière la coexistence de deux secteurs, le médico-social et le scolaire, et souligne le manque de fluidité entre ces deux domaines, ce qui constitue une difficulté majeure pour l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap.
Le secteur du médico-social s’est engagé dans une transformation allant tout comme l’institution scolaire dans le sens d’une plus grande inclusion : limiter les solutions d’hébergement à temps plein, accompagner et intervenir en milieu ordinaire, créer des pôles de gestion et de ressources mieux structurés...
Le rapport indique la coexistence d’un double secteur propre à beaucoup de pays. Le curseur se déplace selon les États en fonction d’une approche très médicale du handicap et l’affirmation de l’éducabilité de tout individu.
Quelques exemples sont donnés :
- Élèves scolarisé·es en quasi-totalité en école ordinaire : Suède, Norvège, Islande ; Italie, Espagne, Portugal
- Prévalence des écoles : Belgique, Allemagne, Pays-Bas, République tchèque, Hongrie
- Scolarisation dans des classes spécialisées : Danemark, Grèce
- Systèmes intermédiaires avec coexistence de différents dispositifs : France, Royaume Uni, Pologne
Il est noté que la principale problématique du système français réside dans le cloisonnement rigide entre ces deux secteurs (école et médicosocial), ce qui rend difficile l’élaboration d’un fonctionnement optimal. L’enjeu majeur soulevé par le rapport est de trouver un modèle qui permette une meilleure articulation entre les secteurs médico-social et scolaire, afin d’assurer une prise en charge plus cohérente des élèves handicapé·es.
Il est clairement souligné la nécessité de décloisonner ces deux secteurs pour favoriser une approche plus intégrée. Toutefois, le rapport note qu’aucun élément, ni aucune donnée, ne permet de comparer de manière précise les effets d’une scolarisation en classe ordinaire avec celle en établissements spécialisés.
Il est constaté que le système éducatif français a des dispositifs trop cloisonnés et que ceux centrés exclusivement sur le médico-social gagneraient à être plus flexibles et adaptés aux besoins spécifiques des élèves, tout en organisant des passerelles entre les deux secteurs : l'école et le médico-social. Le rapport critique également le manque de ressources médico-sociales dans l’Éducation nationale, soulignant que peu d’établissements scolaires disposent de dispositifs permettant une scolarité partagée avec des établissements médico-sociaux (ESMS).
Il est évoqué la nécessité de recourir aux professionnel·les médico-sociaux·les du secteur libéral pour combler cette lacune, mais le rapport ne s’attarde pas sur la question du financement de ces interventions externes.
Cette situation est souvent interprétée comme un « surcoût », ce qui pousse à une réflexion sur la nécessité de calculer les coûts par élève des dispositifs d’inclusion pour pouvoir les comparer avec ceux du secteur médico-social, ou entre les établissements publics et privés sous contrat.
Selon notre analyse, il serait davantage utile de relativiser les coûts en prenant en compte les économies réalisées grâce à une meilleure inscription des élèves en situation de handicap dans la société, ce qui pourrait réduire les dépenses à long terme.
Le rapport indique que la proportion d'élèves handicapé·es scolarisé·es en milieu ordinaire par rapport à ceux-celles en milieu médico-social oscille entre 24 % et 32 %, ce qui témoigne d’un faible changement dans les orientations, suggérant que la répartition entre ces deux types de scolarisation demeure stable.
Selon le rapport, certains départements privilégient l'orientation vers le secteur médico-social ou adoptent des approches mixtes, tandis que d'autres optent plutôt pour une scolarisation en milieu ordinaire, une différence qui semble largement déterminée par l’offre disponible dans chaque territoire.Il est souligné que les pathologies et les déficiences des élèves jouent un rôle prépondérant également dans les décisions d'orientation.
Une observation intéressante du rapport est que les filles sont moins souvent orientées vers une solution de scolarisation, quel que soit le type de milieu, ce qui pourrait refléter des inégalités de traitement ou des biais dans les décisions d’orientation.
Concernant la scolarisation pour certaines formes complexes de handicap, celle-ci reste insatisfaisante notamment pour les élèves présentant des troubles sensoriels, en raison d’un manque de formation spécifique des professionnel·les éducatif·ves et d’un manque de moyens adaptés.
Des difficultés importantes sont également identifiées pour les élèves atteint·es de polyhandicap ou de troubles mentaux et psychiques, et la Cour des comptes évoque une « hausse notable des situations de troubles intellectuels et cognitifs », soulevant ainsi la question de la frontière entre le médical, le social et l’éducatif dans l’accompagnement de ces élèves.
Parmi les causes de cette insatisfaction, le rapport cite l'absence de places suffisantes dans le secteur médico-social, les choix de certaines familles, mais aussi l'insuffisance des interventions de personnels médico-sociaux dans les écoles et établissements scolaires.
Le rapport met en évidence la capacité limitée du système scolaire à accueillir des élèves ayant certains types de troubles, ce qui pose la question de la limite de la politique inclusive.
Il est reconnu dans le rapport la difficulté pour certains acteurs scolaires de se positionner face à des situations complexes, notamment lorsqu'il s’agit de gérer le comportement de certains élèves en situation de handicap, ce qui crée souvent une certaine confusion dans les réponses apportées.
Bien que la Cour des comptes ne prenne pas de position tranchée sur cette question, elle préconise une plus grande collaboration avec le secteur médico-social, afin de mieux répondre aux besoins spécifiques de ces élèves et de renforcer l'efficacité de l'inclusion scolaire.
II.4. Remise en question des prérogatives de la MDPH
Le rapport reconnaît des progrès avec la création des MDPH (maisons départementales des personnes handicapées), mais la Cour des comptes relève un statut ambigu de ces institutions, qu'elle considère comme des entités territoriales manquant d’un outil de pilotage national cohérent.
Elle préconise de revoir les procédures d’affectation des élèves en amont, soulignant que les décisions des MDPH, bien qu’imposées à l’Éducation nationale, ne tiennent pas suffisamment compte des situations complexes nécessitant une scolarisation en établissement spécialisé, notamment en raison du manque de places ou des choix des familles.
Le rapport propose que l’Éducation nationale devienne un acteur plus impliqué dans la détermination des meilleurs moyens de compensation pour les élèves en situation de handicap, et non que ce rôle soit exclusivement confié aux MDPH. Selon cette logique, la reconnaissance du handicap relèverait de la MDPH, tandis que l’accessibilité pédagogique serait de la responsabilité de l’Éducation nationale.
Le rapport suggère également que les pôles d'appui à la scolarité (PAS) jouent un rôle en amont des notifications des MDPH, permettant ainsi à l’Éducation nationale de diriger les élèves vers des établissements spécialisés lorsque cela s'avère nécessaire.
Cette approche est très contestable puisqu'elle présuppose que la scolarisation en établissement spécialisé serait toujours préférable pour l'enfant et que ces établissements fonctionnent de manière optimale. Ce point constitue d'ailleurs une lacune importante du rapport, qui ne propose aucune analyse approfondie des réalités de la scolarisation en établissement spécialisé.
Une question centrale reste de savoir si l’Éducation nationale a réellement la compétence nécessaire pour décider des meilleurs moyens de compensation pour les élèves en situation de handicap, un sujet qui n’est pas suffisamment exploré dans le rapport.
Bien qu'il mentionne que la question du changement du système concerne un nombre relativement restreint d’enfants, il plaide néanmoins pour une réforme systématique qui affecterait l'ensemble du système, sans véritable justification quant à l'impact sur l'ensemble des élèves.
Le Gevasco (document d’évaluation des besoins) permet déjà de fournir des informations scolaires et un avis sur l’orientation des élèves en situation de handicap, ce qui amène à se demander pourquoi il serait nécessaire de donner davantage de pouvoir à l’Éducation nationale dans ce processus de décision.
Enfin, le rapport évoque une piste complémentaire visant à développer une approche plus souple des modalités d’accueil en école ordinaire, en encourageant une complémentarité entre le secteur médico-social et l’Éducation nationale. Cependant, cette piste n'est pas mise en avant comme une solution prioritaire à court-terme.
III. Synthèse des préconisations du rapport
Faciliter le parcours des élèves et de leurs familles
Pour faciliter le parcours des élèves en situation de handicap et garantir une égalité de suivi, il est recommandé de s'assurer que le projet personnalisé de scolarisation soit systématiquement rédigé, transmis à la famille et au ou à la chef·fe d’établissement, impliquant les caisses nationales de solidarité pour l'autonomie et les départements. Par ailleurs, il est crucial de déployer pleinement le livret parcours inclusif sur l'ensemble du territoire, en garantissant son accessibilité et son interopérabilité avec les données des MDPH, afin qu’il soit opérationnel d'ici la rentrée scolaire 2025, avec un accès facilité pour les professionnel·les et les familles.
Améliorer la conduite, le suivi et l’évaluation de la politique publique
- Développer les coopérations entre le milieu scolaire, le secteur médico-social et les acteur·ices libéraux·ales, en favorisant une « culture commune de travail », un cadre juridique adéquat, ainsi que des formations croisées pour les professionnel·les impliqué·es, en collaboration avec les ministères de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, ainsi que du Travail, de la Santé et des Solidarités.
- Mettre en place un référentiel harmonisé pour les prescriptions des MDPH, en particulier concernant l'accompagnement humain des élèves, qu’il soit individualisé ou mutualisé. Cette mesure nécessite la collaboration des départements, de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et du ministère de l’Éducation nationale.
- Créer une base de données exhaustive à des fins statistiques, intégrant les données médico-sociales via l’identifiant national élève, afin de suivre la scolarisation et l’insertion professionnelle des élèves en situation de handicap, avec l'implication des ministères de l’Éducation nationale, du Travail, de la Santé et des Solidarités.
Améliorer l’usage des outils d’accessibilité et de compensation
- Améliorer les procédures d’acquisition de matériels pédagogiques et de supports d’enseignement adaptés pour les élèves en situation de handicap, en veillant à la formation des professionnel·les. Cette action implique la collaboration du ministère de l’Éducation nationale, ainsi que des communes, départements et régions.
- Réaliser un état des lieux des besoins en matière d’accessibilité des bâtiments et espaces scolaires, ainsi que d’adaptation de l’environnement éducatif. Il est également nécessaire de mettre en place une programmation d’adaptations, en concertation avec les collectivités territoriales (communes, départements, régions), sous la coordination du ministère de l’Éducation nationale.
Renforcer la gestion des moyens humains consacrés à l’inclusion scolaire
- Renforcer les dispositifs de formation initiale et continue pour le personnel éducatif, ainsi que les modules de formations inter-métiers, notamment entre accompagnant·es et enseignant·es. Cette initiative devrait être coordonnée par le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.
- Améliorer l’attractivité de la certification des enseignant·es spécialisé·es (Cappei) afin de mieux répondre aux besoins en matière d’affectation des enseignant·es spécialisé·es. Cette mesure doit également être mise en œuvre par le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.
- Mettre en place un cadre renforcé de gestion des ressources humaines pour le personnel AESH, en tirant les conséquences de leur intégration budgétaire dans les effectifs du ministère.
Analyse critique de SUD éducation
Le rapport de la Cour des comptes de septembre 2024 est un document intéressant dans ce qu'il dit de certaines réalités de notre système scolaire actuel.
4 questions ont prévalu à ce rapport :
- Le système scolaire s’est-il transformé afin de répondre à l’objectif d’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap ?
- La politique nationale d’inclusion scolaire permet-elle de couvrir l’ensemble des besoins des élèves de manière efficace et équitable ?
- La politique nationale d’inclusion scolaire permet-elle la réussite scolaire et l’insertion sociale et professionnelle des élèves en situation de handicap et des autres élèves ?
- Le système d’inclusion scolaire français peut-il être considéré comme efficient et performant ?
Si le rapport concède un aspect positif quantitatif en termes du nombre d'élèves handicapé·es accueilli·es à l'école et qui ne cesse de croître, globalement, il répond majoritairement par la négative à l'ensemble des questions qui sont posées. Certaines analyses sont proches de celles que nous écrivons depuis des années à SUD éducation : les manques de moyens, de formation, les inégalités territoriales, la question du statut des AESH...
Cependant, selon nous, le rapport présente de nombreux écueils tant dans les analyses que dans les préconisations :
- Comment proposer une analyse fine de l'inclusion scolaire aujourd'hui lorsque l'on manque de données sur la scolarisation des élèves SH à l'école, en établissement spécialisé ?
- Comment proposer des préconisations sérieuses dans un contexte de politique éducative validiste qui vante en permanence la compétition entre élèves, les évaluations et les classements, les catégorisations d'élèves, de compétences, d'orientations subies, d'établissements scolaires ?
- Comment peut-on garantir l'accès aux droits pour tou·tes les élèves alors que les inégalités territoriales ne cessent de croître ?
- Comment penser la "fluidité" entre l'école et le médico-social quand on connaît la crise de ces deux secteurs (manque de moyens, crise du recrutement du personnel...) ?
- Comment améliorer la formation de tou·tes aux pratiques éducatives et pédagogiques inclusives quand on maintient des personnels AESH dans une précarité extrême ? Quand on saborde la formation initiale et continue des enseignant·es ?
- Comment penser une école pour tou·tes dans une école actuelle validiste, actrice du tri scolaire et social, qui ne met aucun moyen pour réduire les effectifs par classe, rendre accessible tous les bâtis scolaires ?
SUD éducation revendique :
- des moyens pour accueillir et répondre aux besoins de tou·tes les élèves, qu’importe leur situation scolaires, sociales, administrative, leur origine et/ou leur handicap… sur tout le territoire ;
- la création massive de postes d’AESH, de Rased, de personnels médico-sociaux, d’enseignant·es, de personnels de vie scolaire et d’interprètes,
- la baisse des effectifs par classe ;
- la création d’un vrai statut de la Fonction publique d’éducateur·trice scolaire spécialisé·e pour les AESH ;
- une véritable formation initiale et continue à l’inclusion scolaire ;
- l’adaptation des bâtiments et du matériel scolaire ;
- du temps de concertation hebdomadaire.