Définition de l’intersexuation selon l’ONU
« Les personnes intersexes sont nées avec des caractères sexuels (génitaux, gonadiques ou chromosomiques) qui ne correspondent pas aux définitions binaires types des corps masculins ou féminins. »
NB : Les personnes non intersexes sont dites « dyadiques ».
Pourquoi parler de l’intersexuation dans l’Éducation nationale ?
Les variations intersexes sont découvertes en général lors de la minorité des personnes : dès la naissance, lors de l’enfance, ou à l’adolescence. Quoi qu’il en soit, il s’agit de périodes où l’enfant va passer ou passe la majeure partie de son temps social dans des établissements scolaires. La réaction sociale et médicale varie en fonction de l’âge de l’enfant, de la réaction des parents, et, bien sûr, de la nature de la variation.
L’intersexuation est en effet un terme parapluie qui recouvre des variations très nombreuses et très différentes. Si l’OMS range toujours les situations d’intersexuation dans la catégorie des « troubles du développement sexuel », alimentant le sentiment de légitimité à intervenir sur des corps intersexes, l’Organisation internationale intersexe Europe rappelle pourtant sur son site InterVisibility : « Nos corps et nos caractéristiques sexuelles sont des variations saines et naturelles des sexes humains. » Cela signifie qu’il ne s’agit pas de pathologies. Les personnes intersexes ne sont pas malades, leur situation ne requiert donc pas d’intervention médicale.
Parce que les réalités intersexes sont diverses, les grandes lignes décrites dans ce matériel ne sont aucunement exhaustives et se veulent des idées générales à avoir en tête lorsque, en tant que personnel éducatif, on cherche à tenir compte de cette question.
Les enfants, les adolescent-e-s intersexes existent. Selon toute probabilité, vous en avez dans votre établissement. On estime à 2 % la proportion de personnes intersexes dans la population globale : faites le calcul. N’oubliez pas : vous ne serez probablement pas en mesure d’identifier un-e élève intersexe par vous-même. C’est à vous de construire un espace et un discours qui fasse qu’il/elle se sente en sécurité et respecté-e.
Il est aussi essentiel de réaliser que participer à l’invisibilisation des personnes intersexes, c’est valider leur stigmatisation, construire les discriminations dont illes* sont et seront victimes de la part de celles et ceux qui sont aujourd’hui vos élèves. Pour peu que certain-e-s deviennent médecins, vous aurez contribué à légitimer les mutilations qu’illes infligeront peut-être à leurs futur-e-s patient-e-s. La même remarque vaut, et de façon bien plus massive, pour celles et ceux qui deviendront parents. Les personnels éducatifs ont la responsabilité aussi de protéger, ici et maintenant, les enfants – les élèves – intersexes, des violences qu’illes subissent. En voici une liste... indicative.
Violences familiales et médicales
C’est d’abord avec l’accord des parents – parfois extorqué sous la pression par les médecins – parfois à leur demande, que les enfants et adolescent-e-s intersexes sont le plus souvent mutilé-e-s, opéré-e-s et soumis-es à des « traitements » hormonaux lourds.
Les opérations et mutilations ne sont pas une intervention ponctuelle, à la naissance, comme on le croit souvent. Elles sont parfois répétées, multipliées, durant toute l’enfance et l’adolescence – certain-e-s enfants sont opéré-e-s plusieurs dizaines de fois. Les opérations comme les traitements hormonaux peuvent également générer des problèmes de santé autres, entraînant en chaîne d’autres absences pour maladie ou hospitalisation.
On sait que la famille n’est pas le sanctuaire qu’elle prétend être ; la plupart des violences sur enfants (psychologiques, physiques, sexuelles) ont lieu en son sein (plus de 80 % selon la Haute Autorité de Santé, « Maltraitance chez l’enfant », 2014). Pour les jeunes intersexes, cela se vit très concrètement : ce sont en dernier lieu les parents qui décideront de la poursuite ou non des actes médicaux ; mais ce sont aussi les parents qui tiendront, souvent, des discours stigmatisants, effrayés ou dégoûtés, sur le corps de leur enfant. Ce sont aussi les proches qui pourront se livrer à des violences physiques ou sexuelles, avec cette facilité supplémentaire apportée par le fait qu’on ait inculqué à leurs victimes que leur droit à l’intégrité physique, le respect de leur consentement, ne compte pas. En effet, les actes médicaux non consentis, intrusifs et appliqués à des parties génitales, peuvent donner très tôt à un-e enfant un sentiment d’aliénation de son propre corps : les autres peuvent le toucher sans son accord… Ces adultes diront d’ailleurs, toujours, que c’est pour son bien et que ce n’est pas grave. En d’autres termes, les violences médicales déroulent le tapis rouge pour les violences d’autres natures.
Or, alors que pour d’autres cas de violences, comme les mariages forcés ou l’excision, il existe des consignes de surveillance données au personnel éducatif, il semble que la protection des enfants et adolescent-es intersexes soit toujours hors des radars. Pourtant des signes peuvent alerter : des absences fréquentes, des problèmes de santé dont on ne donne pas les détails – indice qu’il peut y avoir un lien avec les organes génitaux –, des hospitalisations, des dispenses d’activité sportive (liées à la terreur du harcèlement dans les vestiaires vécue par les enfants ou anticipée par les parents, ou à des situations post-opératoires nécessitant une convalescence physique), des enfants qui se replient sur eux/elles mêmes ou font preuve de violence envers eux/elles-mêmes (voir plus bas) ou les autres, des parents sur la défensive, isolant leur enfant…
Violences des pairs
En plus des violences subies dans la famille, les jeunes intersexes doivent souvent faire face à un harcèlement de la part de leurs pairs – les autres élèves –, en particulier à l’adolescence.
Une puberté précoce, l’absence de puberté ou une puberté atypique font l’objet de violences, psychologiques et verbales, mais aussi parfois physiques, voire sexuelles. Le degré de violences subies par les élèves de la part de leurs pairs en milieu scolaire est largement sous-estimé par la plupart des personnels éducatifs. La prévalence du suicide chez les adolescent-e-s non conformes à leur genre (LGBTIQ+), de 2 à 7 fois supérieur à celui de leurs condisciples selon les études, devrait pourtant inciter à davantage de volontarisme.
L’adolescence, et en particulier le collège, est une période critique pour les intersexes. Qu’illes soient déjà informé-e-s de leur condition ou qu’illes la découvrent à cette occasion, c’est une période d’accélération des violences médicales et sociales. Les adolescent-e-s sont en effet obsédé-e-s – et encouragé-e-s socialement à cette obsession – par la transformation de leur corps et leur conformité au normes de genre. La performativité du genre – c’est-à-dire le fait d’adopter de manière répétée des attitudes, des comportements, un langage, des marqueurs physiques et d’habillement, qui correspondent à un genre social donné – tourne à la caricature et trace des lignes entre les groupes, déterminant des critères de stigmatisation. Les intersexes ne peuvent que dans de rares cas « passer » pour dyadiques, alors que leur apparence, leur vécu s’éloignent de plus en plus et de façon de plus en plus claire de ceux de leurs pairs. Des personnes assignées filles qui n’ont pas de seins, pas leurs règles, une pilosité importante, des personnes assignées garçons qui ne développent pas de pilosité, dont le sexe ne correspond pas aux critères de masculinité…seront harcelées par les autres élèves, soucieux/ses de se conformer aux modèles normés de féminité ou de masculinité et voulant se démarquer de ces « déviant-e-s », « anormales/aux », « faux… », les insultes homophobes, les plus courantes au collège, s’abattant au passage.
Par ailleurs, les jeunes intersexes, ressentant souvent vivement leur non-conformité au genre qui leur a été assigné, peuvent être également transgenres. Il semble bien qu’il y ait une proportion de personnes trans plus importante chez les intersexes que dans la population globale. C’est donc aussi de comportements et propos transphobes que des jeunes intersexes peuvent être victimes.
Ces violences conduisent à l’isolement social des jeunes intersexes, qui ne peuvent en général pas partager leur réalité et, volontairement ou non, s’enfoncent dans le silence et la solitude.
La violence contre soi-même
Toutes ces violences, familiales et sociales, alimentent des comportements à risques, addictifs, des risques de développement de dépressions voire de pathologies
psychologiques graves.
Perçu-e-s et traité-e-s comme des monstres, perdant toute souveraineté sur leur corps, les enfants et adolescent-e-s intersexes peuvent retourner cette violence
contre eux/elles-mêmes. Troubles alimentaires, drogues, alcool, automutilation, tentatives de suicide…
S’il n’existe pas encore d’études sur les comportements des jeunes intersexes, on peut considérer qu’ils correspondent aux comportements d’autres enfants et adolescent-e-s victimes de violences. Par exemple, chez les jeunes enfants, l’incontinence est un symptôme fréquent.
Il est important de ne pas confondre le symptôme et la cause réelle. Ainsi, les comportements addictifs ne sont pas nécessairement le problème premier, mais bien plutôt une indication d’un problème plus profond.
On ne saurait trop rappeler que même s’ils sont acceptés socialement, les actes médicaux non consentis librement demeurent une violence : physique, et ici, sexuelle. Il convient donc d’avoir à l’esprit que les comportements des enfants et des adolescent-e-s intersexes peuvent se rapprocher de ceux de victimes de violences de ce type – y compris dans l’autodestruction et dans l’exposition à de nouveaux dangers (voir Muriel Salmona, « Mécanismes », site de l’association Mémoire traumatique et victimologie).
La violence des programmes et des ressources
En tant que personnel éducatif, il est donc extrêmement important de créer un espace où les jeunes intersexes peuvent s’exprimer sans crainte – et notamment poser des questions, par exemple via des urnes libres. Pour cela, créer un climat de confiance passe par remettre en question les programmes et les ressources sur lesquels nous nous appuyons (voir la liste de ressources sur l’intersexuation recommandée par le Collectif intersexes et allié-e-s sur son site).
Les documents, qu’ils soient inclus dans des manuels, comme en SVT, ou dans des documentaires d’accès libre (Dico des ados/des filles/des garçons..., ouvrages divers sur la puberté disponibles dans les CDI et médiathèques), ont comme points communs :
1. L’invisibilisation des variations intersexes : les sexes sont présentés comme binaires et bien délimités, complémentaires et en miroir. Des tableaux et des courbes montrant des « développements normaux » (alors qu’il s’agit de moyennes) d’une violence extrême pour les personnes qui ne rentrent pas dans les statistiques – intersexes ou non.
2. La pathologisation et la stigmatisation des variations, indiquées, quand elles le sont, comme des « syndromes », des « malformations », des « dysfonctionnements », renforçant la silenciation des personnes concernées.
3. L’incapacité à tenir compte de ces variations comme étant durables et comme des réalités avec lesquelles les enfants et adolescent-e-s – concerné-e-s ou non – doivent vivre. Cela prend la forme d’un discours selon lequel « tout va rentrer dans l’ordre bientôt », « les problèmes sont transitoires », etc. Il est utile de préciser que la binarité et la normativité passent par les représentations normées des organes génitaux, mais pas seulement : il s’agit aussi de toutes les caractérisations des caractères sexuels secondaires (pilosité, poitrine, voix…), de l’évocation de normes concernant d’autres effets corporels : par exemple les règles, leur existence, leur durée, leur régularité, etc. Enfin, alors que la plupart des intersexes sont stériles, l’injonction à la reproduction comme « finalité naturelle », comme un « but de la nature », comme un désir universel, peut être extrêmement dure à vivre.
Encore une fois toute cette pathologisation légitime, renforce et construit les discriminations et les violences dont sont et seront victimes les enfants et adolescent-e-s intersexes. Pour finir, laissons la parole aux intersexes eux et ellesmêmes
(extraits issus des comptes rendus de la délégation aux droits des femmes, table ronde « Les enfants à identité sexuelle indéterminée » 12 mai 2016).
Quelques ressources générales sur l’intersexuation
– « À qui appartiennent nos corps ? Féminisme et luttes intersexes », Nouvelles
Questions Féministes, vol. 27, 2008/1.
– Le site de l’Organisation internationale des intersexes (OII).
– Le site du Collectif intersexes et allié-e-s (OII).
– Le film Intersexion (en anglais) de Grant Lahood, 2012, 1h08. Entretiens avec des
personnes intersexes.
– Le blog Témoignages et savoirs intersexes.
– Janik Bastien Charlebois, De la lourdeur d’écrire un article universitaire sur les enjeux intersexes quand on est soi-même intersexe, Observatoire des transidentités, 2, septembre 2016
Les réalités des enfants et ados intersexes
« J’ai été déclaré garçon par défaut. Dès l’âge de six ans, j’ai subi des interventions chirurgicales sans jamais que l’on me dise ou que l’on dise à mes parents ce que l’on me faisait. Je ne connaîtrai donc jamais la réalité de ma situation car je n’ai obtenu qu’une toute petite partie de mon dossier médical. Selon cette partie de mon dossier, je n’aurais subi que trois opérations alors que j’ai dix cicatrices au bas-ventre. Pendant les rendez-vous trimestriels à l’hôpital, j’étais traité comme un monstre de foire et les médecins examinaient toujours mes organes génitaux, prenaient des photos et me montraient nu aux étudiants. Très jeune, j’ai eu des injections de testostérone que je ne supportais pas. Les médecins m’ont retiré ce qui ne leur convenait pas et ont tenté de fabriquer ce dont ils avaient envie.
À seize ans, j’ai refusé tout traitement. Depuis l’âge de dix-huit ans, je suis souvent sous anxiolytiques, antidépresseurs, alors qu’avant d’être mutilé, j’étais un enfant en bonne santé. Comment se construire sereinement quand on n’a pas le droit de dire ce qu’on ne nous a pas dit que nous étions ? Aujourd’hui, j’ai cinquante-et-un ans et toujours des douleurs : je souffre d’infections urinaires, j’ai des lésions neurologiques liées aux chirurgies, qui me font souffrir en permanence et m’obligent à marcher avec une canne. Ne pensez pas que le terme de torture pour ce que j’ai subi soit disproportionné. J’ai été torturé, et mes tortionnaires – avec la complicité de l’État – s’en félicitent. »
(Vincent Guillot)
« Déclarée fille à la naissance, j’ai grandi sans avoir conscience d’être intersexe malgré des difficultés de comportement. J’étais traitée de « garçon manqué » et je rejetais les filles. À l’adolescence, je n’ai pas eu de puberté. En 1988, à l’âge de dix-sept ans, j’ai décidé de consulter une gynécologue pour débloquer ma puberté, mais je n’avais pas conscience d’avoir un problème d’hermaphrodisme. Ce médecin m’a prescrit un examen de sang pour un dosage hormonal. […] Après cet examen, on m’a proposé un examen coelioscopique des ovaires, à l’aide d’une caméra et sous anesthésie générale. […] On m’a demandé ensuite de revenir à la clinique pour une exploration des ovaires. Lors de cette deuxième hospitalisation, le chirurgien m’a reçue la veille de l’intervention, un dimanche soir, alors que le service des consultations était fermé, pour me faire signer une autorisation lui permettant de retirer tout ce qui devait l’être pour raison médicale. J’ai signé ce document alors même que j’étais mineure à l’époque, et sans accord parental ! Une nouvelle fois, j’ai été anesthésiée puis hospitalisée pendant plusieurs jours […]. On m’a seulement demandé d’aller voir mon médecin traitant, dix jours plus tard, pour retirer les fils. Après ce délai, je me suis rendue en toute confiance chez mon médecin de famille qui a été profondément choqué lors de la découverte de la nouvelle par courrier. C’est lui qui m’a expliqué que l’on m’avait retiré les ovaires pour m’éviter un cancer. Lors de cette consultation, j’étais dans un tel état de choc que je n’ai pas tout retenu de ses explications, mais quelques mots m’ont marquée comme « dysgénésie gonadique XY », « pseudohermaphrodisme », « rarissime », « monstrueux ». Je suis sortie de cette consultation complètement anéantie, avec pour seule identité le fait que j’étais un monstre qui ne devait pas se révéler aux autres. Je suis entrée dans la vie adulte sous cette identité. »
(Nadine Coquet)
SUD éducation revendique
la fin des mutilations, stérilisations, traitements hormonaux non consentis sur des personnes intersexes quel que soit leur âge
le droit à l’autodétermination des personnes intersexes :
¤ respect du prénom et des pronoms d’usage des élèves dans l’Education nationale
¤ possibilité de changement d’état civil libre et gratuit par simple déclaration devant
un officier d’état civil en mairie, sans intervention des pouvoirs médicaux et judiciaires
la formation des personnels éducatifs sur les questions intersexes
une prise en compte non pathologisante des variations intersexes dans les supports
pédagogiques