L’écologie, un enjeu pour l’enseignement supérieur et la Recherche

SUD éducation porte des revendications sur la justice sociale et environnementale dans le secteur de l’Éducation nationale et de l'enseignement supérieur et la recherche. Zoom sur les enjeux écologiques dans l'enseignement supérieur et la recherche.

Conformément à notre double besogne syndicale, nos objectifs dans l'enseignement supérieur sont les suivants : faire diminuer drastiquement l'empreinte écologique de nos activités et s'adapter aux bouleversements déjà en cours, mais aussi contribuer à une transformation en profondeur de la société.

 

Certaines problématiques, comme le bâti, la restauration ou le transport, sont communes avec l’enseignement dans le premier et le second degré.

- À l'université, les repas collectifs sont un important levier de transformation écologique : SUD éducation revendique donc la diminution des produits de l'élevage dans les restaurants universitaires et les cantines (avec notamment une option végétalienne par jour, et deux repas totalement végétariens par semaine), la formation des personnels à la végétalisation des menus, un choix de fournisseurs qui tienne compte de la préservation de la biodiversité et des conditions de travail, avec le renforcement des filières locales et biologiques, sans hausse du coût pour les étudiant·es et agent·es, et la confection des repas sur site plutôt que dans des cuisines centrales. (Pour en savoir plus sur les revendications sur la restauration scolaire, cliquez ICI

- Un plan d'urgence de rénovation du bâti universitaire (isolation, toits et campus végétalisés, ventilation naturelle, récupération des eaux pluviales, développement des basses technologies) et la systématisation des diagnostics énergétiques sont nécessaires pour réduire les consommations en énergie et en eau potable, ainsi que les inégalités entre territoires. Outre la réduction de l'empreinte écologique de ces bâtiments, l'objectif est aussi de les adapter au dérèglement climatique afin de résister aux fortes chaleurs notamment. (Pour en savoir plus sur les revendications sur le bâti scolaire et universitaire, cliquez ICI).

- SUD éducation revendique le développement des transports en commun permettant de se rendre sur les lieux d'étude et d'enseignement, notamment en zones périurbaines et rurales, et l'encouragement du recours aux mobilités douces, par exemple avec l'augmentation du montant du forfait mobilité durable. (Pour en savoir plus sur les revendications sur les transports, cliquez ICI).

 

Par ailleurs, dans son plan Climat Biodiversité et Transition Écologique de 2023 [1], le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR) affirme vouloir "mettre en place une démarche nationale de maîtrise de l’empreinte environnementale liée aux activités de la recherche et de la formation". Il préconise une méthode commune d’évaluation des émissions de GES (Gaz à Effets de Serre) et une réduction d’au moins 2% par an (si possible 5% par an) de ces émissions par chaque acteur du MESR. Les établissements devraient mettre en œuvre une politique en cohérence avec ces objectifs. On note cependant que ce plan reste dans la perspective d'un capitalisme repeint en vert, où l'économie se contenterait de devenir "bas carbone". Il présente des solutions surtout techniques, sans remettre en cause notre organisation économique et sociale, et encourage le développement du numérique, dont l'impact écologique est pourtant désastreux.

 

- Afin de faire face aux catastrophes écologiques sur le long terme, il est essentiel de repenser les formations assurées dans l'enseignement supérieur. Le MESR affirme vouloir introduire au moins 30 heures de cours sur les enjeux écologiques dans les cursus de premier cycle (licences, BTS, DUT...) Mais quelles seront la forme et le contenu de ces cours ? Il est nécessaire d'intégrer les enjeux écologiques dans toutes les disciplines en les articulant à d'autres thématiques, sans les limiter à un cours dédié. De plus, le MESR reste dans l'optique d'une formation au "développement durable", restant axée sur notre paradigme économique actuel, pourtant contradictoire avec la préservation de la biodiversité.

Nous devons également réfléchir aux objectifs des formations dans leur ensemble : à quels métiers mènent-elles, et pour construire quel avenir ? On projette actuellement de former plus d’ingénieur·es et de technicien·nes dans le nucléaire, les OGMs… Est-ce adéquat compte tenu des enjeux écologiques et sociaux d'aujourd'hui ? Nous devons débattre collectivement de nos besoins essentiels en tant que société et de la manière de les satisfaire sans dégrader encore plus les conditions de la vie sur Terre, ce qui suppose de sortir d'une logique de croissance. Il s'agit ensuite d'orienter les cursus universitaires vers les secteurs, méthodes et compétences compatibles avec la société qu’on souhaite construire. Développons donc des alternatives aux secteurs polluants, destructeurs ou énergivores (énergies renouvelables, low-tech, travail social, construction écologique, méthodes agricoles respectueuses du vivant) ainsi que les disciplines favorisant la connaissance et la réflexion sur notre rapport au monde et au reste du vivant (recherche fondamentale, sciences sociales, philosophie des sciences et techniques...). Ces connaissances et cette réflexion permettent, de plus, une émancipation nécessaire pour développer des pratiques autogestionnaires dans l'économie et la société. Tout cela suppose de former les enseignant·es et ingénieur·es pédagogiques, et d'augmenter les moyens humains et financiers pour transformer ces cursus.

Nous dénonçons, par ailleurs, le financement de certaines formations par des entreprises capitalistes et polluantes qui orientent les formations dans leur propre intérêt, au détriment des enjeux écologiques et sociaux (Ex : Total finance une partie du cursus de Hautes Etudes Commerciales (HEC)).

 

- L'écologie, un enjeu pour la recherche ? Celle-ci devrait nous donner les moyens de construire une société plus juste et plus écologique (par exemple, en développant les agricultures paysannes, des solutions pour diminuer nos consommations d'énergie ou l'impact des transports). Cependant, une partie importante des financements provient de grosses entreprises polluantes, qui influencent ainsi les orientations et les objectifs de la recherche.

Ainsi, TotalEnergies finance une part significative de la recherche publique ; selon une enquête de Greenpeace portant sur 103 structures de recherches (universités, organismes comme le CNRS), plus de la moitié entretiennent des relations avec TotalEnergies : financement, collaboration ou co-direction d’une structure ! Les recherches ainsi financées portent principalement sur les énergies fossiles ainsi que sur des techniques, pas au point à ce jour, censées permettre la capture du carbone et justifiant donc de poursuivre les émissions. L’entreprise impose donc une vision qui ne remet pas en cause son modèle économique, ni nos modes de production et de consommation.

À titre d'exemple, TotalEnergies est présente dans 85 % des laboratoires de recherche sur le climat à Paris-Saclay, et son PDG Patrick Pouyanné y est même membre du conseil d’administration de Polytechnique ! Par ailleurs, entre 20% et 30% des ressources propres de l’université de Pau proviennent de cette multinationale ; 41 % des laboratoires de l’université lui sont liés, dont 3 laboratoires très importants qui travaillent en partenariat avec elle, notamment un qui est codirigé par TotalEnergies et qui inclut des salarié·es de la multinationale, aux côtés des chercheurs et chercheuses académiques. [2]

Au lieu de fonctionner avec des aides sur projet, attribuées par des entreprises en fonction de leurs intérêts et de critères d'utilité à l'économie capitaliste, la recherche devrait être libre ; elle devrait pouvoir choisir ses sujets et disposer de financements pérennes, sans être soumise à des impératifs de compétitivité.

- En effet, les injonctions à l'excellence et à la production scientifique intensive empêchent non seulement la transformation de la société, mais aussi la réduction des consommations d'énergie et de l'impact matériel de la recherche.

La fréquence et l’ampleur du développement de grandes infrastructures de recherche énergivores et gourmandes en matériaux (satellites, synchrotrons, super-calculateurs), ainsi que l’achat et la maintenance du matériel scientifique, doivent être questionnées à l’aune de leur impact pour atteindre des activités de recherches compatibles avec les limites planétaires.

De plus, selon un article paru  en 2015 dans la revue Nature, les laboratoires de biosciences consommeraient jusqu’à 1,8 % de la production mondiale de plastique[3].

De nombreuses recherches contribuent à des activités ayant des conséquences destructrices sur les populations et la biodiversité : chimie lourde, agriculture industrielle, technologies de guerre... Nous devons changer de paradigme !

- L'impact des déplacements aériens est lui aussi non négligeable : les voyages sur le terrain sont en général courts, mais fréquents, car on obtient plus facilement des subventions pour des déplacements d'une durée limitée. Dans le souci de réduire notre empreinte écologique, nous devrions encourager des séjours moins fréquents, mais beaucoup plus longs ; cela serait d'ailleurs beaucoup plus productif. La réduction des voyages lointains peut aussi passer par la relocalisation des lieux de recherche et par le développement de vraies relations de collaboration avec nos collègues étrangèr·es. Par ailleurs, afin de limiter l'impact de grands congrès internationaux, on peut imaginer des solutions hybrides : les participant·es se réuniraient dans des lieux relativement proches de leur lieu de résidence, plutôt que de se déplacer systématiquement dans un pays éloigné. Cela permettrait de limiter la consommation d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre nécessaires au voyage, tout en conservant la convivialité de la rencontre en présentiel. Et lorsque le déplacement est nécessaire, l'établissement devrait privilégier autant que possible le train, plutôt que l'avion, pour les trajets de son personnel. Cela suppose certes une politique de transports (incluant des mesures tarifaires) favorisant les lignes de train, y compris nocturnes, par rapport à l'avion.

Ainsi, l'écologie devrait en effet être considérée comme un enjeu majeur de la recherche : celle-ci doit s'émanciper des entreprises écocidaires et se tourner vers des solutions qui ne soient pas purement techniques, rompant avec le paradigme de la croissance et le système capitaliste.

Pour réduire l'impact environnemental des métiers de la recherche, ce sont aussi les critères de recrutement eux-mêmes qu'il faut repenser. Aujourd'hui, l'injonction à l'internationalisation conduit les chercheurs et chercheuses à se rendre dans des congrès internationaux, mais également à effectuer des missions longues à l'étranger (post-docs, résidences...) qui les éloignent de leurs proches et les conduisent à des déplacements fréquents. La plus-value de cette forme d'internationalisation (par rapport à la simple lecture et à la discussion des productions scientifiques d'autres pays) n'est pas démontrée. Or, elle dégrade les conditions de travail comme l'environnement. L'énorme pénurie de postes de titulaires, par ailleurs, conduit les candidat·es à accepter des postes éloignés géographiquement, avec les mêmes conséquences de voyages fréquents, voire d'enseignant·es-chercheur·euses qui vivent loin de leur lieu de travail. Cette réalité aussi est nocive pour l'environnement comme pour les conditions de vie des agent·es.

 

- L'empreinte écologique des campus. Dans le contexte d'une compétition effrénée et dans l'espoir de figurer en bonne place dans le classement de Shanghaï, les fusions d'établissements et le développement de "super universités" tels que l'Université Paris-Saclay, les universités de Strasbourg et Lille... tendent à mettre fin aux universités de proximité. Cela entraîne des déplacements plus longs pour les étudiant·es et le personnel, ainsi que des aller-retours fréquents vers leur région d'origine, et donc une augmentation de la consommation d'énergie et des émissions de gaz à effet de serre liées à ces trajets. En outre, sur le plateau de Saclay, des terres agricoles fertiles ont été sacrifiées et les personnes qui les cultivaient, expropriées pour construire ce complexe universitaire.

 

- L'administration et les bibliothèques. Les établissements d'enseignement supérieur ont l'obligation de lancer régulièrement des appels d'offre pour déterminer les prestataires qui leur fourniront toutes sortes de biens et services : fournitures, matériel informatique, formations, ressources pour la bibliothèque... La quantité de ces achats fait du choix des fournisseurs un levier important pour réduire l'empreinte écologique de l'établissement. Il faudrait donc intégrer davantage de clauses écologiques à ces appels d'offre. Cela permettrait d'éviter des situations comme celle de l'université de Nantes : alors que la bibliothèque se fournissait chez des librairies locales qui livraient rapidement et à vélo les documents demandés, ces librairies ont perdu le marché public au profit du leader national Decitre. Le code des marchés publics empêche en effet les collectivités d’exiger dans un appel d'offre un critère géographique, au prétexte qu’il serait discriminant. Dans le contexte écologique actuel, il est nécessaire que ces règles évoluent.

Les critères retenus doivent en outre permettre de choisir des fournisseurs de denrées ou d'objets durables, réparables, produits dans les meilleures conditions possibles sur les plans écologique et social. L'achat en gros et en vrac, en évitant au maximum le plastique, devrait être privilégié (crayons à papier, stylos en bambou pour les fournitures de bureau).

L’administration et les bibliothèques universitaires utilisent beaucoup de matériel informatique, notamment depuis la pandémie de coronavirus et le développement du télétravail. Si cette pratique réduit le nombre de trajets hebdomadaires, et donc les émissions de GES, le gain est moins important que ce qu'on pourrait attendre en raison de plusieurs effets rebonds. Entre autres, l'explosion du nombre de communications en visioconférence augmente l'énergie nécessaire pour faire fonctionner les serveurs et les data center [4]. De plus, c'est sans compter l'impact écologique de la multiplication des objets électroniques (ordinateurs portables supplémentaires, casques avec micro), dont la fabrication nécessite beaucoup d'énergie et de matériaux rares extraits du sol. Leur réparabilité étant, de plus, souvent faible, ces objets deviendront bientôt des déchets toxiques et très peu recyclés. Il convient donc d'avoir une vigilance accrue sur les questions liées aux déchets numériques et à l’obsolescence programmée. Promouvons le recours aux systèmes à longue durée de vie et aux logiciels libres, organisons la collecte et le tri des déchets numériques, sortons du tout numérique pour un usage raisonné et réfléchi de l’outil informatique [insérer un lien vers la fiche sur le numérique].

- Impact et rôle pédagogique des bibliothèques universitaires. Des réflexions devraient êtres menées sur l'impact du désherbage (consistant à retirer des collections des ouvrages périmés, abîmés ou finalement jugés non pertinents), des matières utilisées pour la reliure et les couvertures, et des puces RFID (qui permettent de prêter et d'antivoler les documents). Des moyens devraient, de plus, être trouvés pour minimiser la consommation d’énergie nécessaire à la régulation de la température dans les espaces publics et dans les magasins de conservation des documents. Par ailleurs, la bibliothèque peut être le moyen de mettre en valeur des ouvrages aidant à comprendre les enjeux écologiques ou proposant des alternatives ; une place particulière pourrait, par exemple, être accordée à ces thématiques dans le classement, permettant de regrouper des ouvrages de différentes disciplines sur le sujet. Un·e chargé-e de collections pourrait également mener une veille spécifique sur les publications liées à l’écologie, afin d'enrichir la documentation dans ce domaine.

Enfin, prenons conscience du potentiel écologique des bibliothèques universitaires, qui pratiquent une forme d'économie circulaire par le prêt : elles doivent donc bénéficier des moyens nécessaires pour mener à bien leur mission.

 

- Événements scientifiques. Les établissements d'enseignement supérieur et de recherche accueillent fréquemment des séminaires, colloques ou autres événements culturels occasionnant de nombreux déchets : bouteilles en plastique pour les intervenant-es, verres et couverts jetables lors des buffets et cocktails, thermos à usage unique pour les boissons chaudes servies pendant la pause… Il est donc urgent de réduire à la source et d'améliorer la gestion des déchets dans notre secteur.

 

Nous revendiquons :

- la sortie de la course à la « production scientifique », la réorientation des formations et de la recherche dans la perspective d'une transformation écologique et socialement juste de la société, en rupture avec la logique productiviste, et les moyens humains et financiers pour la mener à bien ;

- l'arrêt du développement des campus géants et le maintien d'un enseignement supérieur de proximité et de qualité ;

- la fin du pouvoir accordé, dans la formation et la recherche, à des entreprises ayant des intérêts contraires à la transformation écologique et à la justice sociale ;

- le développement de pratiques permettant de limiter les déplacements nécessaires à la recherche ;

- le développement de pratiques permettant de limiter l'impact du numérique ainsi que la production de déchets ;

- l'introduction de clauses écologiques supplémentaires dans les réglementations concernant les marchés publics.

 

    

Notes

[1]  https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2023-06/plan-climat-biodiversit-et-transition-cologique-de-l-enseignement-sup-rieur-et-de-la-recherche-2022-28244.pdf

[2] : https://www.greenpeace.fr/comment-totalenergies-influence-la-science/

[3] : https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-2023-2-page-71.htm#re16no16

[4] https://presse.ademe.fr/wp-content/uploads/2020/09/ADEME_InfographieTT.pdf

    

   Autre source

    https://www.sud-recherche.org/SPIPprod/spip.php?article4157