SUD éducation et SUD Recherche étaient reçus ce jeudi 7 novembre par le nouveau ministre de l’ESR Patrick Hetzel. L’occasion pour nos organisations de porter nos analyses et revendications et de porter la voix des personnels de l’ESR.
Budget
Le budget de l’ESR est le plus faible dans la part de l’Etat depuis 20 ans et baisse de 550M€ par rapport à celui de 2024. Concernant le budget “recherche”, la trajectoire de la LPR (que SUD éducation et SUD Recherche avait combattu et rejetée) déjà insuffisante ne sera pas tenue. Face à ce budget austéritaire qui s’annonce et qui va avoir des conséquences sur nos conditions de travail, d’étude, de recherche et de formation, nous avons défendu devant le ministre d’autres pistes d’économies budgétaires.
Tout d’abord en récupérant les 7,8Md€ du Crédit Impôt Recherche (CIR) : un cadeau fiscal, dont l’utilité même en termes de Recherche & Développement est questionnée à chaque rapport de la Cour des Comptes.
Sur le CIR le ministre, libéral convaincu, a convenu que nous ne tomberions pas d’accord, que celui-ci est bien maintenu par le gouvernement dont il est pleinement solidaire. D’autre part, le ministre maintient son soutien à la recherche par projet et à l’ANR. Il souhaite débattre de la place de l'innovation et du contrôle des entreprises qui touchent le CIR et verseraient trop de dividendes.
Le ministre convient que le PLF25 ne respecte pas la marche de la LPR, car contraint par la situation budgétaire. Pour le ministre, les mesures du protocole “carrières et rémunérations” (que SUD n’a pas signé) doivent être “consolidées” (sans explications supplémentaires). Le ministre nous a confié avoir des discussions (“tendues”) avec Bercy qui souhaite avoir accès à 1Md€ des 2,5Md€ de fonds de roulement des opérateurs publics. En ce qui concerne l’immobilier, 1,2Md€ de la MIRES seront fléchés vers la rénovation du bâti pour faire face aux enjeux climatiques et budgétaires des établissements (c’est 7Md€ qu’il faudrait pour l’ensemble des établissements).
Circulaire liberté pédagogique / Palestine
Nous sommes bien évidemment revenu sur la circulaire envoyée par le ministre dès la rentrée. Nous avons rappelé au ministre qu’en invoquant sa vision des principes de laïcité et de neutralité, celui-ci tentait de restreindre la liberté d’expression légitime des étudiant·e·s et personnels sur des sujets de justice et de solidarité internationale. Pour SUD éducation et SUD Recherche, cette tentative de museler la solidarité avec le peuple palestinien est inacceptable et la liberté académique inclut la possibilité de s’engager sur des questions politiques et sociales.
De plus, sa prise de position pour l’exclusion des 4 étudiants de Sciences Po Paris dans un média d’extrême-droite alors que le conseil de discipline ne s’est toujours pas tenu constitue une atteinte au droit à la défense et une ingérence participant à la criminalisation des mobilisations étudiantes.
Nous avons donc demandé au ministre s’il comptait indiquer aux établissements d'appliquer le droit international et donc les décisions de la cour de justice internationale ; ce qui implique la remise en cause de la coopération avec les universités israéliennes dans la mesure où celles-ci contribuent aux violations des normes internationales relevées par la Cour. Le problème qui se pose aux universités et aux institutions françaises est de se conformer à une obligation légale, émanant de la plus haute autorité possible, et sous la forme la plus contraignante possible, s’imposant à tous les Etats sans aucune exception, et donc à tous leurs organes, dont les universités publiques. Rappelons que la primauté du droit international vis-à-vis de la loi nationale est garantie par la constitution. Même si nous dénonçons la teneur de l’avis du collège de déontologie, ce dernier indique que le cadre des accords de coopération doit être "défini par les pouvoirs publics". C'est donc bien au ministre de faire cesser ces accords de coopération...
Sur ce sujet le ministre, comme sa prédécesseure, nous a confirmé qu’il ne comptait pas remettre en cause les libertés académiques, mais qu’il condamnait “les atteintes aux biens et personnes dans les campus”. Nous avons constaté un désaccord profond avec le ministre sur la question du Boycott des institutions académiques israéliennes qui participent directement aux efforts de guerre et au complexe militaro-industriel israélien.
Mensualisation des vacataires
Nous avons consacré une large part de notre entretien bilatéral à la précarité des vacataires, des contractuels et de toute une série de personnels de l’ESR.
Sur les vacataires, nous avons rappelé au ministre que nous avions fait annuler au Conseil d’Etat une note de la DGRH qui permettait aux établissements de se soustraire à la mensualisation effective des heures de vacations. Ce sujet est central pour des dizaines de milliers de collègues dont ce travail constitue leur seule source de revenu et qui ne touchent leur paye que plusieurs mois après leurs enseignements. Nous avons donc demandé au ministre d’adresser dans les meilleurs délais une nouvelle note administrative aux établissements afin de faire respecter la loi. Pour nos organisations, cela peut prendre la forme d’un décret ou directement via une note de la DGRH (le code de l’éducation le permettant) afin de mettre en place d'un paiement forfaitaire stable (avec régulation si besoin) pour sortir du paiement après service fait.
Au sujet de la situation des contractuel-les, si nous revendiquons leur titularisation, il n’en reste pas moins qu’en attendant, il est indispensable que ces collègues soient traité-es de manière équivalente aux titulaires.
Nous avons donc rappelé au ministre l'arrêt Arostegui de la cour de justice de l'Union européenne qui stipule que deux personnes d’un même niveau effectuant les mêmes métiers doivent être payées de manière identique et que le fait d'être non permanent ne doit pas faire obstacle à ce principe. Cela implique des barèmes communs entre les établissements qui soient alignés sur les rémunérations des titulaires, primes comprises. Il est important que le ministère s'impose sur le sujet car on assiste à des situations très inégalitaires voire à des phénomènes de dumping (on va choisir l’établissement qui paie le moins cher pour porter son contrat afin de garder le ou la contractuel-les plus longtemps). Un barème commun pourrait être un élément de simplification certain !
Autre inégalité patente, là encore contraire à la décision de la cour de justice européenne et donc à corriger : mettre en place l'équivalence TD/TP pour tout·es les contractuel·les et les vacataires. Enfin, une dernière demande que nous réitérons est de faire émarger au décret 86-93 les contrats LRU (L954-3 du code de l’éducation) et L431-2-1 du code de la recherche, afin que les règles de droit commun puissent leur être appliquées (sous le prétexte que ces contrats ne sont pas cités dans ce décret qui définit les droits communs des contractuel-les, certains établissements refusent parfois de leur verser la compensation de la protection sociale complémentaire, ou les indemnités de fin de contrat, alors qu’ils et elles devraient y avoir droit).
Enfin, nous sommes revenus sur la nécessité de rouvrir des travaux sur le sujet de la pénibilité ainsi que sur celui des sujétions et astreintes au sein du Ministère. Il est indispensable que le ministre prenne de toute urgence des arrêts et décrets afin de faire bénéficier de la catégorie active de nombreux collègues qui travaillent de nuit (MNHN, Crous, Observatoires…), il en va de leurs droits à une retraite anticipée pour pénibilité.
Le sujet des sujétions et astreintes qui avait été ouvert en 2017 au moment de la mise en place du Rifseep doit être ré-ouvert afin que tous les agents et les agentes quel que soit leur statut puissent bénéficier des compensations qui leur sont dues.
Sur tous ces sujets, le ministre n’a pas pu nous contredire et nous a demandé de lui faire remonter les alertes et demandes que nous avions faîtes à la ministre Sylvie Retailleau. Sur ces sujets, le ministre peut en quelques paraphes améliorer la vie quotidienne de dizaine de milliers de collègues en accédant à des revendications pourtant élémentaires: être payé mensuellement, être payé de la même manière que des collègues si l’on fait le même travail, se voir reconnaître la pénibilité de travailler de nuit et en extérieur…
Réforme de la Formation des enseignant·es (FDE)
Cette année encore, ce sujet reste central tant l’attractivité du métier d’enseignant·e est en berne depuis des années. Les vrais raisons sont les faibles salaires, des conditions de travail dégradées, mais aussi une formation qui ne répond pas aux besoins et aux réalités des stagiaires. Il est donc pour nous urgent de construire une réforme de la FDE, mais celle de l’année dernière a été un échec. Nous avons rappelé au ministre que nos organisations défendaient un concours bac +3 avec 2 années de formation rémunérées sous statut en M1 et M2, avec une entrée progressive en M2 devant les élèves (⅓ du temps).
Le texte proposé l’an dernier aux organisations comportait de nombreux problèmes : le statut des M1, l’obligation de service, le contenu des concours, la dispense d’écrit pour les titulaires de la LPPE, les stagiaires de M2 utilisé·es comme moyens d’enseignements, une crainte sur le maintien de l’emplois BIATSS dans les Inspe… À ces problèmes de fond se sont aussi ajoutés des problèmes de forme : réforme ficelée en amont, pilotée par le MEN (voire Matignon), un MESR absent, le réseau des Inspe non consulté et surtout, un montage budgétaire opaque. Opaque puisque c’est bien en raison d’un manque de budget que la réforme a été suspendue.
Nous avons donc demandé au ministre où en était cette réforme et si le MESR et les collègues des Inspe allaient être associé·es à sa construction. Le ministre nous a fait savoir qu’il avait effectivement demandé que ce dossier soit revu et que le MESR soit remis dans la boucle des échanges. Le projet tel que prévu est en bien stoppé au vu de la contrainte budgétaire actuelle. Pour le ministre, s’il faut rester dans le cadre universitaire, il est normal que l’employeur Éducation nationale indique ses attentes en termes de formation et donc être dans la co-construction EN-ESR. Les directions générales de l’EN et de l’ESR ont selon le ministre commencé à échanger. Pour nos organisations, il est plus que temps, à la mi-novembre, pour engager des discussions entre les acteurs.trices de la formation et les 2 ministères. La situation dans les Inspe pour les étudiant·es et les personnels l’exige.
ESAS
En ce qui concerne les personnels enseignant·es du 2nd degré affecté·es dans le supérieur (ESAS), principalement nos collègues PRAG et PRCE, nous avons rappelé au ministre le poids et l’importance qu’avaient ces personnes pour le bon fonctionnement de la formation dans de nombreuses composantes.
SUD éducation et SUD Recherche sont opposés aux régimes indemnitaires et revendiquent l’intégration des primes au salaires. Nous nous sommes aussi opposés à la mise en place du RIPEC adossé à la LPR que nous avons combattu. Cependant, dans le cadre actuel, nous revendiquons une égale répartition des primes entre tous les personnels de l’université, et, à défaut une équité de traitement entre personnels exerçant les mêmes missions. Ainsi, les ESAS doivent accéder à la part C1 du RIPEC.
Le ministre nous a confié avoir conscience du rôle important des ESAS, mais bien confirmé qu’il n’y aurait pas d’alignement de la PES sur la part C1 du RIPEC. Le ministre envisage de discuter de la question de la gestion des carrières et du volume d’enseignement ainsi que “possiblement regarder le décret Lang”.
Formations privées
Le ministère constate comme nous qu’il y a un sujet sur l’offre de formation. Mais pour nos organisations, pour permettre aux plus de 150 000 étudiant·es sans facs ou dans des formations trop éloignées de leurs voeux, d’accéder aux formations qu’ils et elles souhaitent, il faut investir massivement pour retrouver le taux d'encadrement de 2010 à savoir : ouvrir plus de 10 000 postes d’enseignant·es chercheur·ses et 10 000 postes de BIATSS titulaires et construire 10 universités de proximité notamment pour permettre un réel maillage territorial et des possibilités de poursuite d’étude.
De son côté, le MESR constate qu’il y a 130 000 places vacantes à l’issue des campagnes Parcoursup’ (30 000 dans le privé, 100 000 dans le public). Le ministre nous a indiqué qu’il ouvrirait une réflexion sur l’offre de régulation du secteur privé : la labellisation prévue par S. Retailleau permet de contrôler 80% des formations privées mais selon le ministre, 20% des formations privées sont bel et bien à retirer de l’offre de Parcoursup’.
Nous avons rappelé au ministre nos revendications à savoir la fin de toute subvention publique pour les établissements privés de l’Enseignement Supérieur, notamment par le biais de l’apprentissage ainsi que la non reconnaissance des formations privées dans les plateformes Parcoursup’ ou MonMaster si ces formations sont dispensées dans le public.
Enfin, nous avons questionné rapidement le ministre sur toute une série de sujets sur lesquels nous n’avons pas eu de réponses claires.
- sur le plan national d’action égalité professionnelle femme/homme, nous lui avons demandé quels moyens seront donnés aux établissements pour mettre en oeuvre réellement ce plan et quel contrôle le MESR pensait exercer. Le ministre nous a indiqué que ce sujet n’avait pas encore été traité. L’égalité professionnelle attendra…
- lors des mandats précédents, les choix en termes de politique agricole ont fait fi des travaux de recherche et les connaissances scientifiques, notamment sur l’impact des pesticides ont été mises au placard afin de préserver la production agricole et les rendements économiques. Nous avons donc demandé au ministre s’il comptait défendre les travaux de recherche des équipes de son ministère. Pas de réponses. Nous connaissons le rapport contrarié à la science de notre nouveau ministre…
- nous avons bien évidemment abordé le sujet scandaleux des 3 jours de carence pour les agent·es de la Fonction publique. Pour nos organisations cela constitue une véritable provocation : perdre 10% de son salaire pour respecter les prescriptions médicales n’est pas acceptable. Pour nos organisations, il n’y a pas “d’absentéisme” des personnels de la FP, et si les arrêts augmentent, il faut certainement se pencher vers les conditions de travail, l’intensification, l’individualisation du travail mais aussi le management toxique… Le ministre n’a pas contredit son collègue Kasbarian sur ce sujet.
Pour conclure : le ministre se situe bien dans la droite ligne -voire encore plus droite - des gouvernements précédents et des orientations stratégiques pour l’ESR. En terme de “dialogue social”, le calendrier des instances reste une fois de plus famélique cette année, et le ministre semble plus pressé de rencontrer les organisations étudiantes d’extrême-droite que les syndicats de personnel. Cependant, à budget contraint et certainement délais contraints, il nous semble que le ministre ne pourra pas engager de grands travaux dans l’ESR cette année, alors que l’urgence dans les établissements, pour les personnels et les étudiant·es le nécessite. Pour nos organisations, ce gouvernement illégitime, qui ne tient que par l’extrême-droite et dont les porosités idéologiques se manifestent de plus en plus (et notre ministre en est l’illustration) doit être combattu.
Le 19 novembre, l’intersyndicale de l’ESR appelle tous les personnels à se rassembler en AG pour préparer les prochaines mobilisations nécessaires. Dans la Fonction publique, les organisations syndicales appellent à une grève le 05/12.