Des programmes au service des élèves, vraiment ?
Le 5 décembre 2023, jour des résultats des évaluations PISA, Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, faisait des annonces à grand renfort de communication sur ce qu’il appelle alors le « Choc des savoirs », présenté comme le seul outil pour « relever le niveau des élèves ». Pour le premier degré, ces annonces concernaient une modification en profondeur des programmes de français et de mathématiques. Elles témoignent une nouvelle fois de la volonté ministérielle de tout axer sur les seuls « fondamentaux », jugés comme la pierre angulaire de tous les apprentissages. Après un semblant de concertation, le Conseil Supérieur des Programmes a produit des contenus pour le cycle 1 et 2 en lien avec la feuille de route du ministère, mais pas avec l’ensemble des travaux de la recherche. Ces programmes beaucoup plus détaillés et donc beaucoup plus contraignants sont parus malgré un vote quasiment unanime en contre du Conseil Supérieur de l’Éducation. Selon nous, ils déroulent une conception mécaniste des apprentissages avec des objectifs à atteindre fixés à chaque âge, comme si tous les enfants apprenaient à parler, à lire, à écrire, à compter ou à résoudre des problèmes au même moment. La diversité des rythmes d’apprentissage des enfants est niée, ainsi que les recherches en la matière.
Ces programmes partent du principe que ce qui est enseigné est immédiatement compris, appris et retenu par les élèves. Or, l’enseignement est bien plus complexe. Maitriser des compétences demande du temps et des méthodes diverses et adaptées selon les élèves. Un grand nombre d’enfants, notamment les plus fragiles, se retrouveront en difficulté dès le plus jeune âge car ils ne correspondent pas à l’élève type théorique pris comme norme universelle. Alors que l’inclusion scolaire et la prise en compte des élèves à besoins particuliers font partie des enjeux de l’École d’aujourd’hui, ces programmes les ignorent complètement.
Un ministère qui n’écoute pas les personnels
Anne Genetet a poursuivi cette politique avec l’acte 2 du « Choc des savoirs » qui, sous prétexte de réduire les inégalités, n’en produira que davantage. Les programmes de cycle 3 sont à l’écriture et entreront également en vigueur en septembre 2025. Au vu des premiers échanges avec la Dgesco, force est de constater qu’ils s’inscrivent dans la même logique. Une logique à l’opposé des programmes de 2015 qui avaient été conçus avec la coopération des enseignantes et enseignants au
travers d’une réelle concertation, mais également avec l’ensemble de la recherche en sciences de l’éducation et en didactique. Des programmes ambitieux, fondés sur un consensus académique avec des repères de progressivité au sein de chaque cycle, à la main des équipes pédagogiques. Il est plus que dommageable qu’ils aient été remis en cause dès 2017 par le ministre Jean-Michel Blanquer car l’École, pour se transformer, a besoin d’un temps long qui n’est pas celui du politique. Alors que l’École traverse une crise structurelle et fait face à un effondrement du recrutement, ces changements incessants de programmes ne répondent pas aux enjeux et sont source
d’épuisement pour les professionnel·les qui se retrouvent déstabilisé·es par des ordres et des contre ordres qui font perdre le sens du métier.
Les évaluations des différentes mesures mises en œuvre depuis 2017 montrent clairement leur inefficacité comme vient de le montrer la DEPP. Ces programmes sont de la même veine et ne vont en rien permettre la réussite des élèves.
Une professionnalité niée
En visant principalement l’objectif d’améliorer les « scores » des jeunes élèves lors des évaluations nationales et internationales, les nouveaux programmes brident à la fois les choix didactiques et pédagogiques des équipes enseignantes, nient leur expertise et transforment les professeurs des écoles en de simples exécutant·es de programmes livrés « clés en main ». Les équipes de formateurs et formatrices se retrouvent dans l’obligation de les mettre en œuvre, tout comme les professeur·es des écoles, alors qu’elles savent que ces programmes ne tiennent pas compte du réel et sont impossibles à mettre en œuvre sans exclure une majorité d’élèves.
Actuellement dans les départements, les plans de formations engagés depuis la rentrée sont modifiés et adaptés (une nouvelle fois en urgence) en fonction de l’agenda ministériel.
Tout, sur le fond comme la forme, semble réuni par le ministère pour que l’adhésion de la profession soit la plus faible possible. Or ce qui est certain, c’est qu’une politique éducative qui n’est pas approuvée par le terrain a peu de chance d’avoir des effets bénéfiques pour l’amélioration globale d’un système éducatif qui reste profondément marqué par les inégalités scolaires. A l’opposé de ce qui est proposé actuellement, une formation initiale repensée s’inscrivant dans la réalité des classes et des élèves est nécessaire.
Pour tâcher de résorber les inégalités, l’École n’a pas besoin de nouveaux programmes, mais d’une diminution du nombre d’élèves par classe, ce qui passe par un recrutement de professeur·es des écoles, à rebours des suppressions de postes annoncées pour la rentrée 2025.
Tribune signée par : FSU-SNUipp – SE Unsa – CFDT EFRP – CGT Éduc’Action – SUD Éducation – AGEEM – ANCP&AF – AFEF – APMEP - ICEM – GFEN