Des nouveaux programmes indigestes et normatifs

Le Conseil supérieur des programmes (CSP), saisi en mars 2024 par Nicole Belloubet pour poursuivre la réécriture des programmes de français et de mathématiques dans le cadre du « choc des savoirs », a adopté des projets pour le cycle 3 qui s’inscrivent dans la continuité des nouveaux programmes de cycle 1 et de cycle 2 : beaucoup plus longs, beaucoup plus détaillés et beaucoup plus normatifs.

On passe ainsi de 23 à 53 pages pour le français et de 9 à… 112 pages pour les mathématiques.

Cette prolixité, qui caractérisait déjà les nouveaux programmes de cycles 1 et 2, donne de nouveau l’impression que le CSP a plutôt voulu écrire un guide d’application voire un manuel scolaire. Comme SUD éducation l’avait dénoncé, cela trahit à la fois une défiance vis-à-vis du travail des professeur·es des écoles (dont la liberté pédagogique se trouve remise en cause par des dizaines de pages prescriptives) et une volonté de cadrer très fermement les rythmes d’apprentissage.

Au-delà des reformulations parfois assez pompeuses des précédents programmes (« savourer le goût des mots » en poésie, « se masquer, jouer, déjouer : ruses en action » pour le théâtre), on peut constater que le CSP remet au goût du jour la terminologie classique des mathématiques (« pensée algébrique », « arithmétique ») et choisit l’expression surannée de « gammes d’écriture » pour parler de la pratique régulière de l’écrit court.

Mais le véritable changement est à chercher dans la multiplication des commentaires introductifs (les « points de vigilance ») et des tableaux injonctifs qui précèdent la décomposition par niveau des objectifs d’apprentissage pour chaque domaine d’enseignement. Ce faisant, le CSP abandonne la logique de cycle et cherche à imposer une organisation des enseignements dans l’année, dans la semaine et dans la journée. Les objectifs très détaillés ainsi que les nombreux exemples-types de situations d’apprentissage balaient l’expertise des enseignant·es et constituent une remise en cause de notre liberté pédagogique. Ce choix d'uniformisation et d’encadrement des pratiques enseignantes, au-delà de sa pertinence très discutable, tend à rendre les pratiques enseignantes responsables des résultats décevants des élèves aux évaluations internationale, en dissimulant les causes réelles des dysfonctionnement de l'école : les effectifs encore trop élevés dans les classes, la formation initiale inadaptée, le manque criant d’enseignant·es spécialisé·es pour les élèves en difficulté, l’inadéquation entre les besoins des enseignant·es et l’offre de formation continue.

Ces nouveaux programmes s’inscrivent dans la même logique que l’ensemble des mesures du « choc des savoirs » : formater les pratiques pédagogiques, fixer des normes d’apprentissage et écarter, de fait, les élèves qui ne peuvent pas s’y conformer. Avec un tel volume d’injonctions pédagogiques, comment aménager des possibilités d’adaptation au rythme des élèves ? Comment prendre en compte les élèves en difficulté ? Comment aménager les activités scolaires pour les élèves à besoins particuliers ?

SUD éducation a déjà eu l’occasion de le signaler au ministère : alors que l’inclusion est considérée comme une priorité pour la politique éducative, les programmes tels qu’ils sont rédigés évacuent totalement les enjeux d’adaptation.

SUD éducation exprime de nouveau son inquiétude face à des programmes qui, dans la continuité de ceux déjà adoptés pour les cycles 1 et 2, entravent la liberté pédagogique des enseignant·es et délaissent la réflexion sur les rythmes d’apprentissage des élèves, au risque de nourrir le décrochage scolaire.