Précarité, concurrence, soumission : pour SUD, la LPPR c’est toujours non !
Malgré la contestation très large de la LPPR par les agent-e-s du service public d’enseignement supérieur et de la recherche à l’hiver et au printemps dernier, le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) a soumis le texte de la LPPR dans un calendrier resserré aux instances de représentation du personnel (CNESER, CTMESR, CTU) en début d’été, avant un passage en conseil des Ministres en juillet. En cette rentrée, la LPPR arrive devant l’Assemblée nationale, où le gouvernement a choisi une procédure accélérée pour raccourcir les temps de débat. En prévision des débats dans les commissions et dans l’hémicycle, les organisations syndicales sont auditionnées par les député-e-s rapportant sur le texte.
Déclaration de SUD éducation et SUD Recherche EPST devant les député-e-s rapportant sur la LPPR pour la Commission des Affaires sociales et culturelles de l’Assemblée nationale le 1er septembre 2020
Mesdames et messieurs les député-e-s,
À son arrivée à l’Assemblée nationale, la LPPR a désormais l’avantage de se présenter sous un intitulé qui la décrit mieux : « Projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur ». En effet, la LPPR n’est pas qu’une loi de programmation budgétaire insuffisante et trompeuse. Il s’agit aussi, peut-être surtout, d’une loi poursuivant la destruction du service public d’enseignement supérieur et de recherche.
Emplois: une logique de précarisation
La première dynamique poursuivie par la LPPR, dans son titre II, est celle de la précarisation des travailleurs et travailleuses du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans un secteur déjà parmi les plus précarisés de la Fonction publique - plus d'un tiers des personnels sont déjà précaires. L’article 3 de la LPPR crée une voie parallèle d’accès aux grades les plus élevés dans les établissements, en organisant le recrutement sur statut précaire de jeunes chercheurs et chercheuses trié-e-s sur le volet, voué-e-s à une période de 3 à 6 ans de précarité – sans les droits, protections et garanties d’indépendance dont bénéficient les titulaires – avant un éventuel accès privilégié aux postes de directeur/directrice de recherche ou professeur-e des universités. Si c’est un passage par la précarité qui est promis aux « excellent-e-s », probablement afin de leur inculquer la docilité à l’égard de la hiérarchie et le caractère toujours précaire de leur position dans l’institution, c’est la précarité sans fin qui est promise aux autres.
L'article 6 crée en effet des CDI « dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération », mais qui « peut être également rompu lorsque le projet ou l’opération pour lequel ce contrat a été conclu ne peut pas se réaliser ». Il est particulièrement ironique que ce nouveau type de contrat précaire, qui place les chercheurs et les chercheuses dans une relation de dépendance à des financements temporaires et les soumet aux aléas de la réalisation des projets, soit affiché parmi les dispositifs d’un titre II de la LPPR intitulé « Améliorer l’attractivité des métiers scientifiques », alors qu’il constitue une dégradation sans précédent du cadre juridique de l’emploi dans le service public. Ce que la LPPR contribue ainsi à détruire, c’est ce qui faisait et fait encore la force de la recherche française : des emplois titulaires permettant la conduite d’une recherche indépendante et son inscription dans la durée. Au lieu de cette précarisation accrue et prolongée, ce que SUD revendique ce sont des recrutements plus tôt dans la carrière, sur des postes d'agent-e-s de la fonction publique d'État.
Recherche: court-termisme et marchandisation
Alors que les établissements, les laboratoires de recherche et les formations souffrent de moyens insuffisants pour mener leurs missions et s’épuisent dans une vaine course aux financements sur projet, la LPPR propose de poursuivre et même d’accroître la mise en concurrence. Ainsi, l’article 2 annonce une augmentation significative du budget de l’Agence nationale de la recherche (ANR), qualifiée dans le rapport annexe d’ « outil majeur » visant à « insuffler une dynamique nouvelle à la recherche française ».
On sait pourtant ce que la logique des appels à projet fait à la recherche, transformée en recherche du « buzz » scientifique et véritable incitation à la fraude, au détriment de la diversité thématique, de la coopération et de la fiabilité des résultats. L’augmentation du poids budgétaire de l’ANR ne peut qu’entraîner l’impossibilité de mener une politique scientifique à long-terme, que transformer les structures en simples hôtels à projets captant le préciput de ceux-ci (article 12), hébergeant des équipes en concurrence entre elles, sans synergie, sans visibilité, dans un temps politique et médiatique qui n’a rien à voir avec le temps scientifique.
Au prétexte de "diffuser la recherche dans l'économie et la société", le titre IV organise une porosité accrue entre le service public et le secteur marchand. L'article 13 du titre IV incite les fonctionnaires du service public d'enseignement supérieur et de recherche à se muer en dirigeant-e-s de start-up, commercialisant non seulement leurs propres travaux de recherche, mais même ceux "non nécessairement réalisés par les intéressés dans l’exercice de leurs fonctions", cependant que l'article 14 met ces mêmes personnels du service public à la disposition du privé et ouvre la porte au versement de sur-salaires. Cette porosité de plus en plus grande entre la recherche publique et le privé est organisée par ailleurs sans contrôle déontologique, puisque la commission de déontologie a été supprimée par la loi Pacte, que ce projet de loi prolonge. Faire reposer la responsabilité du contrôle déontologique sur les employeurs, qui par ailleurs voient les moyens de leurs établissements calculés sur la base d'indicateurs comme la création de start-ups ou le nombre de chercheur-e-s détaché-e-s dans le privé, présente un problème de conflit d'intérêt et fait peser une véritable menace sur l'indépendance de la recherche.
Reféodalisation : mettre au pas la recherche, soumettre les individus
Cette marchandisation de la recherche publique, de ses acteurs/actrices et des savoirs qu'elle produit, vont de pair avec sa mise au pas, le rapport annexe vantant une recherche transformée en « bras armé de l’État » au service de politiques publiques (4.c.ii). De fait, le renforcement de la contractualisation des acteurs/actrices, c’est la soumission de la politique scientifique aux souhaits de l’appareil politique. Et c’est clairement dit dans ce rapport qui est tout sauf annexe, puisqu’il vous est proposé de l’approuver à l’article 1er du projet de loi : « renforcer l’engagement des établissements dans les orientations et les politiques de l’ESRI », « accroître la mobilisation des établissements sur les priorités de la relance ». Les contrats d’objectifs et de moyens seront là pour faire pression sur les organismes et établissements, « en leur attribuant des crédits non pérennes (dans le cadre des contrats, avec une visibilité pluriannuelle) ». C’est là tout le contraire de ce dont les établissements ont besoin, et même plus, puisque non content d’augmenter le financement par projet, le projet de LPPR rend même le financement des infrastructures non pérenne.
Le parallèle de la soumission des institutions à la commande politique, c'est la soumission accrue des personnels, et la soumission de l'ensemble des catégories de personnel, aux directions des établissements à travers l'attribution des primes ou la création de dispositifs d'intéressement spécifiques telle que prévue à l'article 15 de la LPPR, qui ne sauraient remplacer une revalorisation salariale en berne après 16 années de gel du point d'indice. De tels dispositifs de primes, qui mettent en concurrence les personnels pour obtenir les faveurs des directions des établissements, sont avilissants pour les individus, destructeurs pour les collectifs de travail et corrupteurs pour les missions de service public.
Budget de la recherche : le grand enfumage
La nécessité d'une augmentation conséquente du budget de l'ESR est un constat largement partagé par la communauté de l'enseignement supérieur et la recherche. Ce que celle-ci attend, ce sont des moyens permettant de créer de l'emploi statutaire pour résorber la précarité et des moyens pour les laboratoires, sous la forme de crédits de bases récurrents. Force est de constater que ce n'est pas la réponse apportée par ce projet de loi. La trajectoire budgétaire du projet de loi est loin d'être à la hauteur de l'ambition affichée des 3% de PIB pour la recherche, dont 1% pour la recherche publique. Le rapport annexé au projet de loi en fait d'ailleurs lui- même le constat : en fait, avec une trajectoire telle que proposée et en estimant une évolution du PIB basée sur une tendance défavorable, il faudra attendre 2062 pour atteindre les 1%....
Concernant la trajectoire d'emploi indiquée dans le rapport annexé et sur la base des données de l'analyse d'impact, il est annoncé une augmentation de 3% de l'emploi sous-plafond (les emplois de chaque Ministère et de chaque opérateur étant, depuis la mise en œuvre de la LOLF, limités par un plafond révisé de manière annuelle). Et il ne s'agirait même pas forcément d’emploi de fonctionnaires, puisque par exemple les tenure tracks seraient comptabilisés dans l'emploi sous-plafond. C'est en revanche une augmentation de 22% de l'emploi hors-plafond, donc contractuel, qui est prévu: ce n'est pas acceptable, mais hélas cohérent avec la volonté d'augmenter les moyens de l'ANR et de développer encore plus le financement sur projet.
Dès lors, pour ce qui est de "l'attractivité", si, comme le souligne le rapport d'impact, le nombre de candidat-e-s au postes de chercheur-e-s diminue, c'est en grande partie lié à la diminution dans les mêmes proportions du nombre de postes mis au concours (la pression de sélection reste quasi identique). Ce qu'attendent les collègues c'est avant tout un emploi stable, des conditions de travail et des moyens corrects, bien plus que des primes de plus en plus individualisées qui sont quasiment la seule réponse qu'apporte le projet de loi à cette question.
Enfin, le rapport annexé annonce une augmentation de la dépense fiscale du crédit d'impôt recherche (CIR) mais aucun chiffrage n'est donné. Aujourd'hui, ce sont déjà 6,5 milliards d'euros qui sont dépensés sans contrôle et qui constituent un véritable détournement de l'argent public. Cette somme représente l'équivalent de 60 000 emplois de titulaires environnés (c'est-à-dire avec les locaux et moyens pour travailler); des emplois qui manquent cruellement à l'heure actuelle au service public de recherche et d’enseignement supérieur.
Pour SUD éducation et SUD Recherche EPST, la LPPR c’est toujours non ! Ce projet de loi condamne à la précarité sans fin les générations actuelles et futures de jeunes chercheurs et jeunes chercheuses. Il constitue une attaque contre le service public d’enseignement supérieur et de la recherche, contre les droits des personnels et contre l’indépendance de la recherche.