[Brochure n°99] Scolarisation et handicap : l’école pour tou·tes pour une société antivalidiste

Brochure SUD éducation

Dans cette bro­chure « sco­la­ri­sa­tion et han­di­cap : l’école pour touTEs pour une socié­té anti­va­li­diste », SUD édu­ca­tion pro­pose une série d’articles autour des enjeux actuels de la néces­saire trans­for­ma­tion de l’école. 20 ans après la célèbre loi de 2005, il est grand temps de faire un bilan des poli­tiques pas­sées et pré­sentes qui mettent à mal le res­pect des droits des per­sonnes han­di­ca­pées, à l’école comme par­tout, en France comme ailleurs. À tra­vers des ana­lyses cri­tiques his­to­riques, actuelles, inter­na­tio­nales, des témoi­gnages de professionnelLEs engagéEs sur le ter­rain, ou encore des militantEs anti­va­li­distes, SUD édu­ca­tion sou­haite don­ner la parole à ceux et celles qui font l’école aujourd’hui, qui la pensent, et qui luttent pour une école publique accueillant chacunE, par­tout sur le ter­ri­toire, sans aucune forme de dis­cri­mi­na­tion, sans aucun tri, une école pour touTEs !

Pour cette brochure, nous dérogeons à nos règles typographiques habituelles en matière d'écriture inclusive, en préférant l'utilisation de majuscules à celle des points médians, pour faciliter la lecture par les logiciels "text to speach" utilisés par les personnes malvoyantes.

Sommaire

  1. Repolitiser la question du handicap
    1. Dénaturaliser les oppressions et les discriminations
    2. Modèle médical et modèle social
    3. Conscientiser les discriminations vécues par les personnes handicapées
    4. Visibiliser les luttes actuelles et l’histoire des luttes
    5. Dans l’éducation
    6. Ressources
  2. Une autre place sociale, une autre école
  3. L’école française est validiste
  4. Le Covid-19 et l’inclusion scolaire, la fin de l’histoire ?
    1. Le confinement
    2. Protéger la santé des élèves à l’école, un enjeu sanitaire encore à conquérir
    3. Changer l’école pour changer la société
  5. Le tri social c’est dégueulasse… tout le temps !
    1. Pour une école de la bourgeoisie ?
    2. Pour une école capitaliste ?
    3. Pour une école de la norme ?
    4. Conclusion
  6. La parole aux travailleur·ses
    1. Je suis AESH et je n’aime pas mon métier
    2. J’ai été AESH
    3. Cécile, AESH depuis 2015
    4. Delphine, AESH
    5. Témoignage d’une PE ordinaire en classe ordinaire
    6. Témoignage d’un coordonnateur Ulis
    7. J’enseigne en IME – Je raconte…
    8. Témoignage d’une enseignante spécialisée en UEE (Unité d’enseignement externalisée)
  7. Ecole et handicap : comparaisons internationales…
    1. Historique des politiques éducatives liées au handicap dans le monde
    2. Alors c’est comment « ailleurs » ?
    3. Les grandes tendances mondiales
    4. Les enjeux actuels entre école et handicap
  8. École inclusive : le modèle italien
    1. « Integrazione scolastica »
    2. Buona scola
    3. Les limites
    4. Conclusion
  9. Associations gestionnaires : kesako ?
  10. Tribune du collectif une seule école (CUSE) : La loi 2005, 20 ans après
    1. La loi de 2005, 20 ans après
    2. La réalité dans les écoles, les collèges, les lycées et l’enseignement supérieur
    3. Responsabilités politiques, hiérarchiques & syndicales
  11. Premières pistes de réflexions pour un syndicalisme accessible…
  12. Bibliographie

1 - Repolitiser la question du handicap

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1.1 - Dénaturaliser les oppressions et les discriminations

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12 mil­lions de per­sonnes en France sont concer­nées par le han­di­cap, soit 1 per­sonne sur 5. Si leurs défi­ciences et réa­li­tés sont diverses, ces per­sonnes sont toutes vic­times du même sys­tème oppres­sif – le vali­disme – qui impacte très for­te­ment leurs quo­ti­diens : pré­ca­ri­té, mar­gi­na­li­sa­tion, ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion, inac­ces­si­bi­li­té du trans­port et du bâti…

Comment expli­quer que, alors que le han­di­cap consti­tue le pre­mier motif de dis­cri­mi­na­tion d’après le Défenseur des Droits par­mi les cas dont il est sai­si, cette ques­tion ne soit que très rare­ment abor­dée sous un angle poli­tique ? Comment expli­quer que le vali­disme soit un sys­tème oppres­sif encore si peu connu ? Comment expli­quer que nous nous accom­mo­dions tous et toutes d’une injus­tice aus­si criante ?

La réponse à ces ques­tions réside peut-être dans la natu­ra­li­sa­tion de la domi­na­tion des per­sonnes han­di­ca­pées. Cette domi­na­tion est encore trop sou­vent envi­sa­gée comme étant natu­relle, comme allant de soi.

L’objectif de cet article est donc de déna­tu­ra­li­ser la ques­tion du han­di­cap afin de la repolitiser.

1.2 - Modèle médical et modèle social

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Dans beau­coup d’es­prits, le han­di­cap serait propre aux limi­ta­tions fonc­tion­nelles de la per­sonne. Ce seraient les défi­ciences des per­sonnes, leurs dif­fé­rences, qui les han­di­capent. C’est ce qu’on appelle le modèle médi­cal du handicap.

Ce modèle implique que la norme, c’est l’homme ou la femme valide. Dans cette approche médi­cale, les per­sonnes han­di­ca­pées sont en consé­quence exclues de la nor­ma­li­té, appré­hen­dées dans leur écart à cette norme. De ce point de vue, les per­sonnes han­di­ca­pées sont des êtres incom­plets, fra­giles, à pro­té­ger ; ce sont des objets de soins, des êtres à réparer.

Elles sont ren­voyées dans une alté­ri­té qui nie tout conti­nuum. On est soit valide, soit handicapéE. Comme dans tous les sys­tèmes de domi­na­tion, c’est dans cette bina­ri­sa­tion que les rap­ports de domi­na­tion trouvent leur ori­gine. C’est en rai­son de cette bina­ri­sa­tion que les vies sont hiérarchisées.

Le modèle médi­cal est donc la base du sys­tème vali­diste. Il natu­ra­lise les rap­ports de domi­na­tion en ren­voyant le han­di­cap du côté du bio­lo­gique, de la san­té, en les pré­sen­tant comme rele­vant du natu­rel et de l’in­va­riant his­to­rique. Il pré­sente comme étant évident, comme étant vrai par­tout et de tous temps, le fait que les per­sonnes han­di­ca­pées ne puissent pas faire autant de choses que les per­sonnes valides. Cet écart dans les pra­tiques entre les per­sonnes valides et les per­sonnes han­di­ca­pées se jus­ti­fie alors de cette manière : ce sont leurs corps ou leurs esprits qui les limitent. Les per­sonnes han­di­ca­pées sont essen­tia­li­sées à leur han­di­cap. Ce sont leurs défi­ciences qui les déterminent.

Le modèle médi­cal, en se posant comme un dis­cours d’ex­per­tise, légi­ti­mise cette situa­tion d’in­ca­pa­ci­té et en fait une pro­phé­tie auto­réa­li­sa­trice : la caté­go­ri­sa­tion devient ain­si une réa­li­té qui s’ins­crit dans l’i­den­ti­té même des per­sonnes han­di­ca­pées, qui s’ap­pro­prient alors une iden­ti­té d’elles-mêmes dégra­dée et de marginaux.

Il s’a­git à pré­sent de l’af­fir­mer : comme pour le clas­sisme, le racisme ou le sexisme, les domi­na­tions ne sont pas la consé­quence d’une infé­rio­ri­té natu­relle d’un groupe social mais bien celles d’une orga­ni­sa­tion sociale. Le modèle médi­cal masque le fait que les dif­fé­rences de trai­te­ment entre les per­sonnes han­di­ca­pées et les per­sonnes valides sont le fait d’une orga­ni­sa­tion socia­le­ment et his­to­ri­que­ment construite.

En dis­tin­guant la défi­cience du han­di­cap, construit socia­le­ment, le modèle social du han­di­cap bou­le­verse les repré­sen­ta­tions et ouvre de nou­velles pers­pec­tives. Le fait de ne pas pou­voir mar­cher n’ex­plique en rien qu’une salle ne soit pas acces­sible ; une rampe, un ascen­seur la rend acces­sible à touTEs. Le fait d’être mal­en­ten­dant n’ex­plique en rien le fait de ne pas pou­voir assis­ter à une confé­rence ; un micro ou un sur­ti­trage peuvent rendre cette confé­rence accessible.

Le modèle social du han­di­cap s’in­té­resse à l’en­vi­ron­ne­ment qui han­di­cape et aux capa­ci­tés des per­sonnes han­di­ca­pées, il défend l’ac­ces­si­bi­li­té uni­ver­selle et se centre sur les droits humains.

Contrairement aux défi­ciences, le han­di­cap n’est, lui, que le résul­tat d’un choix de socié­té : celui de ne pas rendre acces­sible à tous et à toutes l’en­semble du monde social. Dès lors, on com­prend que les rap­ports de domi­na­tion ne sont pas le pro­duit d’une condi­tion bio­lo­gique, mais bien celui d’un rap­port de force.

« La posi­tion infé­rieure qu’occupent les per­sonnes han­di­ca­pées dans la socié­té et la domi­na­tion qu’exercent les per­sonnes valides n’est pas la consé­quence natu­relle d’une fata­li­té bio­mé­di­cale mais le résul­tat de choix poli­tiques et en ce sens elles sont his­to­ri­que­ment et socia­le­ment construites » (Cécile Morin, stage SUD édu­ca­tion Pour une école vrai­ment inclu­sive, mai 2023) Cette prise de conscience consti­tue la pre­mière étape de la décons­truc­tion antivalidiste.

Puisque ce rap­port de domi­na­tion est socia­le­ment et his­to­ri­que­ment construit, il peut être chan­gé. Tous les mou­ve­ments pro­gres­sistes mili­tant pour l’é­man­ci­pa­tion de touTEs et la jus­tice sociale ont donc le devoir de s’en­ga­ger dans ce combat.

1.3 - Conscientiser les discriminations vécues par les personnes handicapées

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Avant toutes choses, dans une démarche de repo­li­ti­sa­tion de la ques­tion du han­di­cap, il est néces­saire de conscien­ti­ser les dis­cri­mi­na­tions vécues par les per­sonnes handicapées.

Le vali­disme engendre la pré­ca­ri­sa­tion sys­té­mique des per­sonnes han­di­ca­pées. Il engendre des dépenses très impor­tantes pour les per­sonnes han­di­ca­pées. C’est ce qu’on appelle « the disa­bi­li­ty price tag ». Malgré les aides finan­cières telles que l’AAH, les per­sonnes han­di­ca­pées vivent très sou­vent dans la pré­ca­ri­té car la condi­tion han­di­ca­pée implique sou­vent des temps par­tiels impo­sés et un accès à l’emploi com­pli­qué (le taux de chô­mage des per­sonnes han­di­ca­pées est par exemple presque deux fois plus éle­vé que celui des per­sonnes valides). Les travailleuRses handicapéEs sont de sur­croît moins bien rémunéréEs et occupent des postes plus pénibles : 74% des béné­fi­ciaires de l’obligation d’emploi qui tra­vaillent sont soit ouvrierEs, soit employéEs, contre 50% de l’ensemble de la popu­la­tion en emploi. Les employé∙es des Esat sont rémunéréEs en-des­sous du SMIC pour un tra­vail à plein temps.

Marina Carlos écrit « Lorsqu’il est phy­si­que­ment impos­sible pour les per­sonnes han­di­ca­pées de se dépla­cer sur les trot­toirs, d’entrer dans un immeuble, de prendre un verre ou d’aller voir un concert, la ségré­ga­tion des per­sonnes han­di­ca­pées est un fait. Elles sont exclues de l’espace (public et pri­vé) et empê­chées d’être auto­nomes ». C’est une ségré­ga­tion sociale et spa­tiale qui empêche aux per­sonnes han­di­ca­pées l’exercice plein et entier de leurs droits. Si, dans la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la par­ti­ci­pa­tion et la citoyen­ne­té des per­sonnes han­di­ca­pées, il est écrit que « l’accessibilité est due à tous, et notam­ment aux per­sonnes han­di­ca­pées, quel que soit le type de han­di­cap », force est de consta­ter que le manque d’accessibilité est encore extrê­me­ment impor­tant par­tout. Il concerne les trans­ports, la culture, l’emploi, le loge­ment, les loi­sirs, le sport, la for­ma­tion, la fête et l’éducation. Tous les aspects de la vie donc.

Les lieux publics devaient par exemple tous être ren­dus acces­sibles en 2015, c’était un enga­ge­ment de la loi de 2005. Non seule­ment l’engagement n’a pas été tenu, mais en plus, là où il avait été pré­vu que les lieux publics non acces­sibles paie­raient des amendes, l’état a juste pro­lon­gé le délai.

Finalement, c’est le droit des per­sonnes han­di­ca­pées à vivre une vie auto­nome qui est bafoué.

Prenons l’exemple du loge­ment, un des élé­ments essen­tiels à une vie auto­nome. La France a de ce point de vue encore com­plè­te­ment tra­hi les pro­messes faites aux per­sonnes en situa­tion de han­di­cap, puisque la loi Elan pro­mul­guée le 23 novembre 2018 revient sur la loi de 2005 sur l’accessibilité, en ins­ti­tuant que ce ne sont plus tous les loge­ments nou­vel­le­ment construits qui doivent être acces­sibles, mais seule­ment 10%. Ainsi que l’explique Elena Chamorro dans la revue Polysème de juillet 2019, pour une per­sonne han­di­ca­pée, puisque les loge­ments ne sont pas acces­sibles, il faut com­men­cer par faire des tra­vaux. Si c’est une loca­tion, les pro­prié­taires pré­fé­re­ront donc évi­dem­ment unE loca­taire valide. Si la per­sonne han­di­ca­pée cherche à deve­nir pro­prié­taire, il fau­dra ajou­ter au prix de l’appartement le prix des tra­vaux. Pour les finan­cer, deux pro­blèmes se posent : la dif­fi­cul­té pour obte­nir des aides et les délais d’attente si celles-ci sont accor­dées. Si on envi­sage des prêts ban­caires pour payer d’éventuels tra­vaux, il faut savoir que les prêts sont bien sou­vent refu­sés aux per­sonnes han­di­ca­pées, soit en rai­son de leur faibles reve­nus, soit en rai­son de leur condi­tion de per­sonnes han­di­ca­pées. Reste la pos­si­bi­li­té de ce que le gou­ver­ne­ment appelle le loge­ment inclu­sif, l’habitat par­ta­gé, ou encore, plus cyni­que­ment, des colo­ca­tions. Ce sont des appar­te­ments où les per­sonnes han­di­ca­pées vivent entre elles, dans l’entre-soi. Ce sont sou­vent les asso­cia­tions ges­tion­naires qui gèrent ces for­mules. La plu­part de ces appar­te­ments sont pré­vus pour une seule per­sonne, inter­di­sant donc de fait, la vie en couple ou la vie de famille.

De très nom­breuses per­sonnes han­di­ca­pées sont enfin pla­cées dans des ins­ti­tu­tions comme les IME, Itep, Esat, Mas… Ce sont des lieux où les enfants puis les adultes handicapéEs jugéEs non sco­la­ri­sables ou non inté­grables à la socié­té sont orientéEs, c’est à dire excluEs des espaces ordi­naires com­muns. Il faut com­prendre que le spectre du pla­ce­ment en ins­ti­tu­tion hante la vie des per­sonnes han­di­ca­pées. Ce sont des lieux défi­nis par l’ONU comme des espaces de ségré­ga­tion, de dis­cri­mi­na­tion et de pri­va­tion de liber­té, contraires aux droits humains. Dans ces lieux, les per­sonnes han­di­ca­pées sont sou­vent orien­tées contre leur gré, sont sou­mises à des règles qu’elles n’ont pas déci­dées du matin au soir, ne décident plus de leur vie, ni de ce qu’elles mangent, de l’heure de leur cou­cher, de leurs acti­vi­tés, de leur vie amoureuse…

Cette orien­ta­tion vers les ins­ti­tu­tions concerne de 9 à 11 % des per­sonnes han­di­ca­pées en France contre 1 à 3 % dans les autres pays développés.

Le Comité des droits des per­sonnes han­di­ca­pées écrit : « L’autonomie de vie et l’in­clu­sion dans la socié­té sup­posent un cadre de vie excluant toute forme d’institutionnalisation ».

Il est néces­saire d’a­jou­ter que les per­sonnes han­di­ca­pées sont davan­tage vic­times de vio­lences sexuelles. À titre d’exemples, la Direction de la recherche, des études, de l’é­va­lua­tion et des sta­tis­tiques (Drees) indique en juillet 2020 que les femmes han­di­ca­pées sont deux fois plus vic­times d’a­gres­sions sexuelles que les femmes sans han­di­cap. Elles sont éga­le­ment moins écou­tées car on accorde moins de cré­dit à leurs paroles. Derniers chiffres, 35 % des viols et 36% des agres­sions sur mineurEs handicapéEs ont lieu dans les IME, des espaces pré­sen­tés comme étant des espaces pro­té­gés. (Source : Ministère de l’Intérieur, bul­le­tin SSMSI Interstats n°29)

Dans cette longue liste – non exhaus­tive – des dis­cri­mi­na­tions vécues par les per­sonnes han­di­ca­pées, il fau­drait ajou­ter l’in­fan­ti­li­sa­tion, les vio­lences poli­cières (le concept psy­cho­phobe de forcenéE a engen­dré de nom­breuses vio­lences), la prise en soin dif­fé­ren­ciée des per­sonnes han­di­ca­pées pen­dant le COVID, la sous-repré­sen­ta­tion des per­sonnes han­di­ca­pées dans les médias, le crip­ping up, l’in­ti­mi­té forcée…

1.4 - Visibiliser les luttes actuelles et l’histoire des luttes

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Dans cette démarche de repo­li­ti­sa­tion de la ques­tion du han­di­cap, il est enfin néces­saire de faire entendre les voix de celles et ceux qui se sont battuEs hier et de celles et ceux qui se battent aujourd’hui.

Le com­bat anti vali­diste est d’a­bord une lutte qui a une histoire.

Ainsi que le dit Cécile Morin dans l’é­pi­sode 3 de l’é­mis­sion Handicap : la hié­rar­chie des vies dif­fu­sée sur France culture : « Dans ces années 70, les ouvriers et ouvrières handicapéEs ont par­ti­ci­pé à ces grands mou­ve­ments de luttes et ces grands mou­ve­ments sociaux post 68 qui, jus­te­ment, voyaient agir les frac­tions les plus domi­nées de la classe ouvrière, c’est-à-dire les femmes, les immigréEs, mais aus­si les tra­vailleurs han­di­ca­pés. Par exemple, à Besançon, il y a eu une occu­pa­tion du CAT sur le modèle des LIP, avec des grèves productives. »

En France tou­jours, il faut par­ler du CLH (comi­té de lutte des han­di­ca­pés) et de leur revue Handicapés méchants. Fondé en 1973, dans la période du grand 68, le CLH engage des réflexions et pro­pose des ana­lyses poli­tiques du han­di­cap, défend l’ac­ces­si­bi­li­té et s’op­pose radi­ca­le­ment aux asso­cia­tions ges­tion­naires et à la logique pro­duc­ti­viste du capi­ta­lisme, mène des actions qui visi­bi­lisent les dis­cri­mi­na­tions et portent leurs revendications.

Ces luttes sont éga­le­ment internationales.

Judith Heumann, que l’on voit dans le film CRIP CAMP, témoi­gnage essen­tiel des luttes anti­va­li­distes des années 1970, occupe avec 150 per­sonnes pen­dant 28 jours le Ministère de la san­té et de l’é­du­ca­tion à San Francisco pour l’ap­pli­ca­tion de la pre­mière mesure de pro­tec­tion fédé­rale amé­ri­caine des droits civils des per­sonnes han­di­ca­pées. Ils et elles sont soutenuEs par les Black Panther et des col­lec­tifs féministes.

Ed Roberts, acti­viste amé­ri­cain qui déve­loppe, avec d’autres, le mou­ve­ment pour la vie auto­nome, ouvre le pre­mier centre pour la vie auto­nome en Californie en 1972.

L’Upias (Union des handicapéEs phy­siques contre la ségré­ga­tion) en Angleterre déve­loppe un pro­gramme – Principes fon­da­men­taux sur le han­di­cap – qui abou­tit au modèle social du han­di­cap (Mike Oliver).

Internationalement, des col­lec­tifs anti­va­li­distes s’en­gagent contre le Téléthon depuis les années 80, notam­ment aux États Unis et au Royaume Uni où était scan­dé le slo­gan « Piss on pity ».

Hélas, ain­si que le remarque Cécile Morin dans l’é­mis­sion Handicap : la hié­rar­chie des vies, cette his­toire est silen­ciée. Dans la fou­lée des lois de 75, ce sont les asso­cia­tions ges­tion­naires qui, en France, ont gagné la bataille. Ce sont tou­jours les vain­queurs qui racontent l’his­toire, et les asso­cia­tions ges­tion­naires n’ont aucun inté­rêt à rap­pe­ler cette his­toire des luttes antivalidistes.

Aujourd’hui, nous assis­tons cepen­dant à une nou­velle séquence de luttes, en par­ti­cu­lier depuis la mobi­li­sa­tion « Non au report » de 2015. Les col­lec­tifs fran­çais sont nom­breux – Handisocial, le Clhee, les déva­li­deuses, Cle autistes, le Cuse… – et très actifs. Tous ces col­lec­tifs par­tagent des orien­ta­tions pour la vie auto­nome, pour la dés­ins­ti­tu­tio­na­li­sa­tion, contre le vali­disme, l’han­di­pho­phie et les dis­cri­mi­na­tions, pour une repré­sen­ta­tion juste des per­sonnes han­di­ca­pées et pour le res­pect des droits humains.

SUD édu­ca­tion et l’Union syn­di­cale Solidaires s’en­gagent désor­mais dans cette lutte.

1.5 - Dans l’éducation

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Comme pour le reste, la ques­tion de l’é­du­ca­tion et du han­di­cap est émi­nem­ment politique.

Des enfants sont-ils et elles inadaptéEs à l’é­cole où est-ce l’é­cole qui est inadap­tée à l’ac­cueil de touTEs ? Si on consi­dère que des enfants sont inadaptéEs à l’é­cole, nous conti­nue­rons à les exclure dans les espaces de ségré­ga­tion que consti­tuent les IME et les Itep. Si au contraire nous abor­dons cette ques­tion sous l’angle du modèle social du han­di­cap, alors c’est l’é­cole qu’il faut trans­for­mer pour per­mettre à touTEs d’être scolariséEs dans l’é­cole ordi­naire. Il ne s’a­git pas de nier les besoins par­ti­cu­liers des élèves, il s’a­git d’in­ter­ve­nir sur l’en­vi­ron­ne­ment pour le rendre acces­sible et répondre aux besoins de touTEs et de déployer les moyens médi­caux-sociaux néces­saires pour accom­pa­gner touTEs les enfants dans l’é­cole ordi­naire et ses locaux.

1.6 - Ressources

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  • Zig Blanquer, Nos exis­tences han­dies, Le Monstrographe, 2022
  • Cécile Morin, La lutte anti-vali­diste est une lutte d’émancipation, Mouvements, 2021
  • Charlotte Puiseux, De chair et de fer – Vivre et lut­ter dans une socié­té vali­diste, La Découverte, 2022
  • Elisa Rojas, Mister T et moi, Hachette, 2020
  • Marina Carlos, Je vais m’arranger, com­ment le vali­disme impacte la vie des per­sonnes han­di­ca­pées, 2020
  • Clémence Allezard, Assia Khalid, Handicap : la hié­rar­chie des vies, LSD, France Culture, 2022
  • Thibault Petit, Handicap à vendre, Les Arènes, 2022 (enquête d’un jour­na­liste pen­dant 6 ans sur les Esat)
  • Rapport final des Nations Unies sur l’application de la CDPH par la France
  • Crip Camp – La révo­lu­tion des estro­piés, 2020 (docu­men­taire de James Le Brecht)
  • Carnet de recherches en ligne de l’historien Gildas Brégain : Handicap, his­toire et poli­tique au XXe siècle
  • Sites inter­net des col­lec­tifs anti­va­li­distes : le CLHEE, les Dévalideuses, CLE Autistes
  • Blogs d’activistes han­di­ca­pé-es : Amongestedefendant (No Anger); Auxmarchesdupalais (Elisa Rojas); Blog d’Elena Chamorro sur Mediapart

2 - Une autre place sociale, une autre école

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« L’institution d’une sépa­ra­tion débouche sur des situa­tions sociales dif­fé­rentes selon la nature de la com­mu­nau­té et des prin­cipes d’intégration qui la carac­té­risent. Ainsi, des sta­tuts par­ti­cu­liers, sou­te­nus par des valeurs col­lec­tives, peuvent per­mettre de conci­lier des inca­pa­ci­tés recon­nues avec une affi­lia­tion sociale : cela consti­tue une situa­tion d’acceptation. Mais il existe éga­le­ment des situa­tions de rejet qui dépendent des carac­té­ris­tiques de la com­mu­nau­té. […] la spé­ci­fi­ci­té du rap­port social de han­di­cap ne réside pas dans l’institution d’une sépa­ra­tion, mais dans l’absence d’attribution d’une autre place sociale. L’individu flotte dans les inter­stices de la struc­ture sociale. […] Cette situa­tion de seuil est qua­li­fiée de liminalité. »

Dans « Le han­di­cap comme situa­tion de seuil : élé­ments pour une socio­lo­gie de la limi­na­li­té », Marcel Calvez ana­lyse le concept de limi­na­li­té appli­qué au han­di­cap, à la suite des ana­lyses de l’américain Robert F. Murphy, deve­nu tétra­plé­gique dans les années 70, et qui a por­té sur son expé­rience du han­di­cap son regard d’anthropologue. Celui-ci pose que « les handicapéEs à long terme ne sont ni malades ni en bonne san­té, ni morts ni plei­ne­ment vivants, ni en dehors de la socié­té ni tout à fait à l’intérieur. »

La Loi n°75 – 535 du 30 juin 1975 rela­tive aux ins­ti­tu­tions sociales et médi­co-sociales qui est consi­dé­rée géné­ra­le­ment comme un pro­grès en France, alors que des luttes menées par des per­sonnes han­di­ca­pées pour leurs droits civiques se dérou­laient à la même période dans les pays anglo-saxons, offre aux per­sonnes han­di­ca­pées un sta­tut social sépa­ré, en dési­gnant leurs places sociales dans des éta­blis­se­ments ségré­gués. « L’institutionnalisation de la caté­go­rie du han­di­cap en France marque la consé­cra­tion d’un nou­veau mode de ges­tion de l’altérité qui se carac­té­rise par des objec­tifs de nor­ma­li­sa­tion des popu­la­tions ayant des défi­ciences […], pro­duit d’un ordre négo­cié entre les dif­fé­rentes ins­tances qui traitent de la ges­tion de cette alté­ri­té sous l’égide de l’État. »

La théo­rie de Murphy s’appuie sur celle de l’ethnologue alle­mand Arnold Van Gennep au sujet des rites de pas­sages d’une situa­tion sociale à une autre. « Chaque séquence de pas­sage se carac­té­rise par une suc­ces­sion de trois stades : la sépa­ra­tion, le seuil et l’agrégation ».

Trente ans plus tard, la loi du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la par­ti­ci­pa­tion et la citoyen­ne­té des per­sonnes han­di­ca­pées » com­mence à sor­tir la situa­tion des per­sonnes han­di­ca­pées du stade de la sépa­ra­tion. Celle-ci entre en France dans le deuxième stade défi­ni par Van Gennep, celui du seuil, « ni en dehors de la socié­té ni tout à fait à l’intérieur », entre le stade sépa­ré confé­ré par le pla­ce­ment en éta­blis­se­ment socio médi­cal et le stade d’agrégation à la société.

Cette situa­tion a connu des évolutions.

Tant que les élèves en situa­tion de han­di­cap étaient contenuEs dans le giron de l’enseignement spé­cia­li­sé, la situa­tion était accep­table pour l’institution sco­laire. Le pacte consis­tait à favo­ri­ser l’intégration sociale des élèves en situa­tion de han­di­cap dit « léger », sans ambi­tion par­ti­cu­lière sco­laire ou pro­fes­sion­nelle ni exi­gence pour eux-elles, tout en pré­ten­dant édu­quer à la dif­fé­rence les élèves dits ordinaires.

Une décen­nie après la loi de 2005, on est pas­sé d’une logique d’intégration à une logique d’inclusion de touTEs les élèves en situa­tion de han­di­cap, sous l’impulsion inter­na­tio­nale. Mais ce pas­sage s’est effec­tué en France sans que soit pen­sée la rup­ture avec le sys­tème anté­rieur, ni que les moyens affé­rents soient trans­fé­rés. Du fait de situa­tions dif­fi­ciles à gérer dans l’environnement actuel, ceci a pro­vo­qué pro­gres­si­ve­ment des ten­ta­tions de retour en arrière, voire ali­men­té des atti­tudes réactionnaires.

L’inclusion ne pour­rait être « sys­té­ma­tique » ou « à tout prix », prétend-on.

On attri­bue cette impos­si­bi­li­té au han­di­cap même, créant une nou­velle caté­go­rie d’élèves « hau­te­ment per­tur­ba­teurs », renouant ain­si avec la « faute » dont est enta­ché le han­di­cap de longue date. La place de ces élèves serait dans les éta­blis­se­ments médi­co-sociaux. On pré­fère cette allé­ga­tion plu­tôt que de consta­ter que de toute évi­dence l’école s’adapte moins aux élèves que les élèves ne doivent s’adapter à elle. Ou si on le constate, on l’admet beau­coup plus aisé­ment que pour la défense des élèves issuEs des classes popu­laires par exemple.

« La spé­ci­fi­ci­té du han­di­cap réside dans le fait que le pas­sage n’aboutit pas et que la situa­tion limi­naire se cris­tal­lise en un état inter­mé­diaire. […] Les indi­vi­dus qui res­tent dans une situa­tion inter­mé­diaire repré­sentent une menace pour l’ordre social. […] Des impu­ta­tions de dan­ger, de souillure ou de conta­gion per­mettent de jus­ti­fier la mar­gi­na­li­té dans laquelle ils sont placés. »

Comment sor­tir de cette étape de limi­na­li­té ? L’agrégation des élèves en situa­tion de han­di­cap et des élèves à besoins par­ti­cu­liers en géné­ral, néces­site que le sys­tème sco­laire fran­çais se refonde et qu’on y mette les moyens.

La loi de 2005 a ouvert les portes de l’école aux élèves en situa­tion de han­di­cap, mais sans leur accor­der tota­le­ment un nou­veau sta­tut. Leur place est sans cesse inter­ro­gée : relèvent-ils et elles du médi­co-social ou de l’école ? La ques­tion de leur orien­ta­tion est sans cesse posée. Vont-ils et elles être inclusEs et dans quelle matière ? Une inclu­sion, avec quels objec­tifs ? Peuvent-ils et elles par­ti­ci­per à telle sor­tie ou tel pro­jet ? Leur place est l’objet de négo­cia­tions per­pé­tuelles, dont les enseignantEs spécialiséEs et les AESH comme les per­son­nels du médi­co-social peuvent se faire les témoins.

Cette place s’est agran­die. Des mil­liers d’élèves suivent un par­cours sco­laire qui les conduit aujourd’hui jusqu’à la fin du col­lège et sou­vent en lycée pro­fes­sion­nel, ce qui aurait été impen­sable il y a une ving­taine d’années. Mais le che­min à par­cou­rir reste très impor­tant. Le rap­port récent de la Cour des comptes sur l’inclusion des élèves en situa­tion de han­di­cap montre « une école à bout de souffle » : une poli­tique inclu­sive dont les objec­tifs ne sont pas clairs, un par­cours sco­laire des élèves en situa­tion de han­di­cap qui relève encore du par­cours du com­bat­tant, une acces­si­bi­li­té maté­rielle et péda­go­gique défaillante, un manque de for­ma­tion des per­son­nels, un sta­tut pré­caire pour les accompagnantEs. L’école reste sous-ten­due par son modèle méri­to­cra­tique et l’inclusion tri­bu­taire du modèle médi­cal. L’alternative médi­co-sociale ou sco­laire est bien révé­la­trice de cette situa­tion de limi­na­li­té évo­quée par Murphy.

Revendiquer un cadre favo­ri­sant réel­le­ment la sco­la­ri­sa­tion des élèves en situa­tion de han­di­cap dès leur plus jeune âge, c’est-à-dire un cadre où les professionnelLEs ne sont pas réduitEs à faire comme ils et elles peuvent sans for­ma­tion avec les moyens du bord. Un cadre pen­sé et ambi­tieux pour touTEs les élèves, est la seule réponse syn­di­cale pos­sible : c’est-à-dire sor­tir de cette période tran­si­toire qui mal­mène élèves et per­son­nels et faire place aux élèves en situa­tion de han­di­cap en favo­ri­sant un tra­vail d’équipe inter­dis­ci­pli­naire de per­son­nels du médi­cal, du social, de l’éducatif et du sco­laire et en rema­niant espaces, temps sco­laire, pro­grammes, sup­ports, objec­tifs, pra­tiques et valeurs de l’école. Déconstruire pour reconstruire.

3 - L’école française est validiste

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Texte de la fédé­ra­tion SUD édu­ca­tion, publié le 18 octobre 2024

Il y a tou­jours ce pro­blème avec l’école lorsqu’on s’intéresse aux dis­cri­mi­na­tions et aux rap­ports de domi­na­tions, c’est qu’elle se pense elle-même comme le lieu de l’universalisme répu­bli­cain. Les politicienNEs parlent d’elle de cette manière, les jour­na­listes, les travailleurEUSEs de l’Éducation natio­nale aus­si. L’école ne pour­rait être le lieu de dis­cri­mi­na­tions dans la mesure où elle s’envisage comme un « sanc­tuaire » et dans la mesure où on y enseigne le prin­cipe répu­bli­cain d’égalité et de tolé­rance. Puisque le prin­cipe d’égalité y est sans cesse invo­qué, puisqu’il est écrit au fron­ton des écoles, alors il serait déjà plei­ne­ment réalisé.

Ceci est évi­dem­ment une fic­tion et les rap­ports de domi­na­tion sont à l’œuvre à l’école comme dans le reste de la société.

L’école fran­çaise est d’abord vali­diste parce que la socié­té fran­çaise est vali­diste et que l’école ne se situe pas en dehors de la société.
L’école fran­çaise est vali­diste parce que les repré­sen­ta­tions que se font les travailleurEUSEs de ce que doit être unE élève, de ce que doit être leur tra­vail et de ce que sont les besoins d’unE élève handicapéE sont erro­nées et peu remises en ques­tion. Il fau­drait écrire un article entier sur ce seul sujet, mais l’essentialisation des élèves handicapéEs à leur han­di­cap consti­tue un des pro­blèmes majeurs. Le vali­disme, comme tous les sys­tèmes de domi­na­tion, est dif­fus, pré­sent par­tout et tou­jours. Nous avons gran­di dans une socié­té vali­diste, le vali­disme nous a en par­tie façonnéEs, tous et toutes. Il a façon­né nos ima­gi­naires et nos repré­sen­ta­tions ; il a façon­né éga­le­ment celui des travailleurEUSEs de l’Éducation natio­nale qui, dans leur grande majo­ri­té, pensent sin­cè­re­ment que si les élèves handicapéEs doivent être misEs à l’écart, c’est pour leur bien, qu’ils et elles relèvent du soin et pas de l’école, qu’unE élève qui ne peut pas suivre le pro­gramme n’a pas sa place en classe.
L’école fran­çaise est vali­diste parce que c’est le lieu d’une grande nor­ma­ti­vi­té. Ses normes sont celles de la réus­site sco­laire, de la pro­duc­ti­vi­té, de la bien­séance par exemple. Elle intime aux élèves pré­sen­tant un écart à la norme de manière géné­rale – élèves allo­phones, en grande dif­fi­cul­té, trans, pauvres… – et aux élèves handicapéEs en par­ti­cu­lier de se confor­mer à ces normes. Le rôle de l’école n’est pas de per­mettre à touTEs de s’épanouir depuis les sin­gu­la­ri­tés propres à tout indi­vi­du. Les élèves doivent pou­voir suivre les pro­grammes, le rythme, le groupe. Qui ne peut le faire n’y a pas sa place.
L’école fran­çaise est vali­diste parce qu’elle est l’école d’une socié­té capi­ta­liste. Elle est conçue comme un levier de la com­pé­ti­ti­vi­té éco­no­mique. L’école capi­ta­liste valo­rise l’efficacité, la per­for­mance, la pro­duc­ti­vi­té, la com­pé­ti­ti­vi­té et exclut par là un nombre impor­tant de ses élèves, dont les élèves handicapéEs. De la même manière qu’une fois adulte il ou elle aura à s’adapter au monde du tra­vail, c’est à l’élève de se confor­mer à l’école, pas l’inverse. Dans l’école capi­ta­liste, c’est un enjeu d’apprentissage.
L’école fran­çaise est vali­diste parce que son his­toire se struc­ture autour de la mise à l’écart d’une par­tie des élèves en fonc­tion d’un écart à la norme (cf article Histoire d’une école pas vrai­ment inclu­sive dans la bro­chure École, inclu­sion et han­di­cap de SUD édu­ca­tion). Cette his­toire est longue ; elle n’est pas remise en ques­tion et appa­raît comme étant évi­dente et pleine de bon sens. Pourquoi chan­ger puisque ça a tou­jours été comme ça ?
L’école fran­çaise est vali­diste parce qu’elle se struc­ture tou­jours autour de la mise à l’écart d’une par­tie de ses élèves en fonc­tion d’un écart à la norme. Une par­tie des élèves sont tou­jours excluEs de l’école ordi­naire pour être placéEs dans des ins­ti­tu­tions (Itep, IME…) qui sont défi­nies par l’ONU comme des lieux de ségrégation.
L’école fran­çaise est vali­diste parce que l’ins­ti­tu­tion ne lui donne pas les moyens d’ac­cueillir cor­rec­te­ment touTEs les élèves.
L’école fran­çaise est vali­diste parce qu’elle contraint les corps et a pour objet de contraindre les esprits.

4 - Le Covid-19 et l’inclusion scolaire, la fin de l’histoire ?

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En jan­vier 2020 appa­rais­saient les pre­miers cas de COVID en France. Commençait alors une période d’ex­cep­tion pour le sys­tème édu­ca­tif fran­çais. En effet, la cir­cu­la­tion d’un nou­veau virus asso­ciée à l’ab­sence de mesures de pro­tec­tion suf­fi­santes ont eu pour consé­quence de rendre impos­sible la sco­la­ri­té telle qu’elle s’ef­fec­tue habi­tuel­le­ment. Le gou­ver­ne­ment adop­ta alors comme prin­ci­pale stra­té­gie la créa­tion de pro­to­coles qui avaient pour objec­tif de main­te­nir des condi­tions mini­males de sco­la­ri­sa­tion, et à terme de per­mettre un retour à la normale.

Or ce « nor­mal » n’a pas vrai­ment été inter­ro­gé. Au lieu d’af­fron­ter direc­te­ment les enjeux liés à la pan­dé­mie, comme la pro­tec­tion sani­taire ou la mise en place d’une sco­la­ri­té alter­na­tive, il semble que c’est plu­tôt le che­min du déni de ces enjeux qui a été majo­ri­tai­re­ment choi­si par nos décideurEuses poli­tiques. Le « nor­mal » a été rete­nu comme une situa­tion dési­rable sans réel­le­ment se deman­der si nous ne pou­vions pas espé­rer mieux que retour­ner à la situa­tion pré­cé­dente. Alors que la pan­dé­mie aurait pu per­mettre de repen­ser en pro­fon­deur la ques­tion de l’in­clu­si­vi­té sco­laire afin de mieux pro­té­ger notre école contre ce type de catas­trophe et de per­mettre une sco­la­ri­sa­tion pour touTEs, pan­dé­mie ou non, elle n’a été qu’un temps « anor­mal » de scolarisation.

Dans cet article on se demande alors quels auraient pu être les autres choix concer­nant la ques­tion de l’in­clu­sion sco­laire, suite à la pan­dé­mie. On remar­que­ra que si le Covid a mis en avant des enjeux cen­traux de l’in­clu­sion pour touTEs les élèves, pour autant ces ques­tions sont lar­ge­ment res­tées sans réponse une fois la période média­tique et poli­tique passée.

4.1 - Le confinement

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Une mise à l’é­cart d’ex­cep­tion pour la plu­part des élèves mais aus­si l’ex­pé­rience ambi­va­lente d’une autre école pour des élèves en situa­tion de handicap.

Comment faire quand les cours ne sont pas acces­sibles aux élèves ? C’est sans doute la ques­tion qui a été la plus impor­tante et qui a été para­doxa­le­ment la moins prise au sérieux par nos res­pon­sables poli­tiques. Déjà en mars 2020 à l’an­nonce du pre­mier confi­ne­ment, les inquié­tudes étaient mises en avant sur la capa­ci­té de l’en­semble des élèves à suivre les cours, en met­tant notam­ment l’ac­cès sur la frac­ture numé­rique. Les enseignantEs se sont d’ailleurs sou­vent retrouvéEs livréEs à euxElles-mêmes pour pro­duire des cours sur le tas, sans moyens sup­plé­men­taires. Or ces situa­tions d’i­na­dap­ta­tion et d’ex­clu­sion sco­laire touchent depuis long­temps les élèves en situa­tion de han­di­cap. Le Défenseur des droits a ain­si récem­ment poin­té du doigt le manque de moyens et de consi­dé­ra­tion de l’État fran­çais vis-à-vis de ses enga­ge­ments. Pour autant le Covid-19, qui aurait pu être une oppor­tu­ni­té pour repen­ser la sco­la­ri­sa­tion de tous et toutes les élèves, à la fois en termes d’ac­ces­si­bi­li­té à la classe, mais aus­si en termes de sup­ports mobi­li­sés, n’a pas mené les acteurs et actrices à cette asso­cia­tion. Or comme pour les élèves en situa­tion de han­di­cap en temps nor­mal, le bilan de cette période n’est pas vrai­ment flat­teur pour la majo­ri­té des élèves, notam­ment pour les élèves en situa­tion de han­di­cap. Il semble donc que l’oc­ca­sion ici ait été man­quée, de faire de la pan­dé­mie un évé­ne­ment moteur per­met­tant une école pour tous et toutes. L’expérience n’a pour autant pas for­cé­ment eu que des effets néfastes, le confi­ne­ment per­met­tant loca­le­ment de réa­li­ser une expé­rience en direct d’autres condi­tions de sco­la­ri­sa­tion quand les moyens sont au ren­dez-vous, par exemple à l’Université :

« Un élève, dont nous n’avions jamais enten­du la voix jusque-là, a pris la parole : il s’agit d’un cama­rade dont le han­di­cap n’avait jusqu’alors pas per­mis d’as­sis­ter au cours sur le Campus Condorcet. Celui-ci a admis que le confi­ne­ment a consi­dé­ra­ble­ment faci­li­té et sim­pli­fié son acces­si­bi­li­té au cours dont il n’avait aupa­ra­vant que l’enregistrement audio a posteriori. »

D’autres formes de sco­la­ri­sa­tion sont donc aus­si néces­saires. Il devient urgent de repen­ser glo­ba­le­ment l’ac­ces­si­bi­li­té égale et sans condi­tion de l’é­cole, afin de per­mettre l’ac­cès au cours à tous et à toutes, pan­dé­mie ou non, han­di­cap ou non.

4.2 - Protéger la santé des élèves à l’école, un enjeu sanitaire encore à conquérir

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De manière plus dis­crète, la ques­tion de la pro­tec­tion sani­taire a été presque com­plè­te­ment occul­tée au fur et à mesure que l’on sor­tait offi­ciel­le­ment de la pan­dé­mie. Or là aus­si ces ques­tions ne se posent pas uni­que­ment lors des situa­tions de pan­dé­mie. L’école a ain­si tou­jours été fré­quen­tée par un public dit « vul­né­rable » pour lequel les pro­tec­tions sani­taires sont impor­tantes pour garan­tir sa sécu­ri­té à l’é­cole. Il en est ain­si des per­sonnes immu­no­dé­pri­mées, des per­sonnes car­diaques et des proches de ces per­sonnes qui peuvent poten­tiel­le­ment les conta­mi­ner. Ainsi « les enfants en âge d’être scolariséEs sont le moteur prin­ci­pal de la trans­mis­sion de la grippe dans la popu­la­tion », qui pro­duit envi­ron 9000 décès chaque année pour ne citer que le plus évident. Vouloir une école qui pro­tège la san­té des élèves devrait pour­tant être une des prio­ri­tés. L’école ne devrait pas être un lieu où l’on risque plus qu’ailleurs de tom­ber gra­ve­ment malade. Le COVID-19 a par­ti­cu­liè­re­ment mis en avant cette pro­blé­ma­tique, sa cir­cu­la­tion actuelle entraî­nant des infec­tions à répé­ti­tion, qui peuvent à terme cau­ser d’im­por­tantes séquelles, dites de « COVID long ». Ainsi, la qua­li­té de l’air inté­rieur est par exemple sou­vent dénon­cée comme étant insuf­fi­sam­ment bonne, mais cela reste peu relayé dans le milieu scolaire.

4.3 - Changer l’école pour changer la société

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La pan­dé­mie a donc illus­tré à quel point l’ac­ces­si­bi­li­té de l’é­cole n’é­tait tou­jours pas une prio­ri­té pour les déci­sion­naires, alors même que le contexte s’y prê­tait pour l’en­semble de la socié­té. Aujourd’hui alors qu’on se dirige vers une accep­ta­tion géné­rale de la pré­sence conti­nue du COVID-19 dans la socié­té, ces enjeux vont conti­nuer à res­sur­gir de manière plus ou moins pério­dique pour la majo­ri­té de l’é­cole, tout en conti­nuant à peser sur la mino­ri­té d’é­lèves en situa­tion de han­di­cap. Aujourd’hui encore, il faut donc rap­pe­ler que l’ac­ces­si­bi­li­té sco­laire reste un enjeu glo­bal et permanent.

5 - Le tri social c’est dégueulasse… tout le temps !

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En février 2024, la prise de fonc­tion tumul­tueuse de la ministre Amélie Oudéa-Castéra nous jetait touTEs dans la rue ; pour se jus­ti­fier d’a­voir sco­la­ri­sé ses enfants au col­lège pri­vé catho­lique Stanislas, elle col­por­tait le mythe de l’ab­sen­téisme géné­ra­li­sé des profs.

Cette pro­vo­ca­tion jetait de l’es­sence sur le feu déjà allu­mé des contes­ta­tions : nous exi­gions des aug­men­ta­tions immé­diates de salaires, des moyens consé­quents pour une école pour touTEs et pour l’éducation prio­ri­taire, un sta­tut pour les AESH et l’abandon de la réforme “choc des savoirs” et de la réforme de la voie professionnelle.

Une inter­syn­di­cale très large rédi­geait une motion à pro­pos du choc des savoirs, lue le 22 mai lors d’une réunion du Conseil supé­rieur de l’éducation, et dans laquelle on pou­vait lire :

« Nos orga­ni­sa­tions dénoncent l’ensemble des mesures, du pre­mier au second degré, qui signent une cer­taine vision de la socié­té, celle du tri et de l’assignation sociale, dan­ge­reuse pour notre démocratie. »

Les orga­ni­sa­tions syn­di­cales dans leur ensemble s’in­di­gnaient du tri social que met­trait en œuvre le choc des savoirs et la mise en place des groupes de niveaux. Elles refu­saient qu’une réforme ne creuse les inéga­li­tés, n’as­signe un groupe d’é­lèves à une iden­ti­té déva­lo­ri­sante et ne relègue une par­tie de ces élèves dans les marges de la scolarité.

Elles sont res­tées et res­tent pour­tant, dans leur très grande majo­ri­té, abso­lu­ment silen­cieuses à pro­pos du tri social que met­tait déjà et conti­nue de mettre en œuvre l’é­cole fran­çaise dans sa ges­tion du han­di­cap. Pire, cer­taines de ces orga­ni­sa­tions syn­di­cales déve­loppent des reven­di­ca­tions réac­tion­naires qui réclament la mise en œuvre de ce tri social par la mise à l’é­cart d’un cer­tain nombre d’é­lèves – les élèves handicapéEs – en rai­son de leur écart à la norme, en récla­mant le déve­lop­pe­ment des Itep et des Ime.

Cette ségré­ga­tion sco­laire est pour­tant mani­feste en France pour les élèves en situa­tion de han­di­cap à la lec­ture du rap­port de la cour des comptes sur l’inclusion sco­laire des élèves en situa­tion de han­di­cap de 2024. On y apprend qu’à la fin de l’âge de sco­la­ri­té ordi­naire 38,2 % des élèves handicapéEs sont par exemple orientéEs vers des struc­tures médi­co-sociales comme les Itep et les Ime. Cette pra­tique, qui semble en France indis­pen­sable, est une spé­ci­fi­ci­té fran­çaise condam­née par l’ONU parce que contraire aux droits humains et parce que ces espaces sont défi­nis comme des espaces de ségré­ga­tion, de dis­cri­mi­na­tion et de pri­va­tion de liberté.

Comment expli­quer ce trai­te­ment spé­ci­fique des mino­ri­tés han­di­ca­pées par les syn­di­cats de l’Éducation natio­nale ? Pourquoi, pour les élèves handicapéEs – comme pour les adultes par ailleurs – les reven­di­ca­tions de jus­tice sociale ne sont-elles pas por­tées par les orga­ni­sa­tions syndicales ?

La lutte contre le vali­disme dans l’Éducation natio­nale, contre l’inaccessibilité de l’école fran­çaise et contre la mise à l’écart des élèves en situa­tion de han­di­cap s’inscrit pour­tant au cœur d’un nombre impor­tant de luttes menées par les syn­di­cats pro­gres­sistes. Nous le rap­pe­lons avec force : si nous nous bat­tons pour une école publique, gra­tuite, laïque, éga­li­taire et éman­ci­pa­trice, alors nous devons nous enga­ger contre le vali­disme et l’institutionnalisation des per­sonnes han­di­ca­pées en géné­ral et des élèves handicapéEs en particulier.

Nous affir­mons qu’il n’y a pas d’enfant inadaptéE à l’école mais que c’est l’école qui est inadap­tée à l’accueil de touTEs.

Antisexistes, anti­ra­cistes, anti­clas­sistes et anti­va­li­distes, jamais l’exclusion d’élèves en rai­son de leur appar­te­nance à une mino­ri­té domi­née ne pour­ra être notre réponse. En tant que travailleurEUSEs de l’éducation natio­nale, et en tant que militantEs, nous avons à déve­lop­per des réflexions, à défi­nir une pos­ture syn­di­cale et des reven­di­ca­tions sur le thème du han­di­cap en accord avec les prin­cipes d’égalité et d’émancipation.

L’enjeu de cet article est de mettre en lumière un cer­tain nombre de pièges poli­tiques dans les­quels tombent si sou­vent nos col­lègues et des cama­rades en allant trop vite en besogne et en ne pre­nant pas la ques­tion de la dis­cri­mi­na­tion comme point de départ.

5.1 - Pour une école de la bourgeoisie ?

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Il est d’abord essen­tiel de conscien­ti­ser que le vali­disme et le clas­sisme entre­tiennent des liens très étroits. Un nombre très impor­tant d’élèves sont excluEs du sys­tème sco­laire ordi­naire en rai­son de leur ori­gine sociale. Dit autre­ment, plus les élèves sont issuEs des classes sociales favoriséEs, plus ils et elles sont maintenuEs en classe ordi­naire ; plus les élèves sont issuEs des classes sociales défa­vo­ri­sées, plus ils et elles sont renvoyéEs dans des espaces de ségrégation.

Ce docu­ment emprun­té au site Fractures sco­laires est à ce pro­pos très éclairant.

On y apprend qu’en 3ème, les enfants handicapéEs issues des classes sociales très favo­ri­sées sont entre 60 % et 70 % dans des classes ordi­naires (avec ou sans main­tien) lorsque moins d’unE élève sur deux issuE des classes sociales défa­vo­ri­sées y a droit. On y voit très expli­ci­te­ment que les élèves handicapéEs issuEs des classes sociales défa­vo­ri­sées sont mas­si­ve­ment envoyéEs dans d’autres espaces.

Un nombre impor­tant d’élèves soutenuEs par les dis­po­si­tifs Ulis – qui en réa­li­té fonc­tionnent encore lar­ge­ment comme des classes spé­cia­li­sées regrou­pant des élèves handicapéEs qui n’en sortent que très rare­ment – ou envoyéEs dans les ESMS (Itep, Ime) ont pour prin­ci­pal han­di­cap celui d’avoir une ori­gine sociale popu­laire. L’injustice sociale, la pré­ca­ri­té, se double d’une injus­tice sco­laire, la ségré­ga­tion. L’école écarte ain­si celles et ceux qui ne par­tagent pas sa culture. Combien d’élèves pauvres et très pauvres sont ain­si désignéEs comme élèves handicapéEs à l’école ? Ce gra­phique parle de lui-même.

Par ailleurs, com­bien de travailleurEUSEs de l’Éducation natio­nale par­tagent des repré­sen­ta­tions pau­vro­phobes et han­di­phobes ? Combien sont-ils et elles à les lier dans une même approche mêlée d’aversion, de mépris voire de répul­sion ou de dégoût ? Combien de fois avez-vous enten­du des col­lègues par­ler de « cas­sos » pour dési­gner unE élève vic­time de la pré­ca­ri­té fai­sant ain­si preuve, sans que cela ne froisse grand monde, d’une véri­table dis­cri­mi­na­tion sociale ? Combien de fois avez-vous vu des col­lègues imi­ter des élèves en grande dif­fi­cul­té ou en situa­tion de han­di­cap pour faire rire ? Il s’agit de l’affirmer ici, nos pro­fes­sions sont pétries de sté­réo­types et de repré­sen­ta­tions de ce que doivent être des élèves de tel ou tel âge, de ce que devrait être notre tra­vail d’enseignantE, d’AESH, de CPE, … Pour qu’une école pour touTEs éclose, il est néces­saire de conscien­ti­ser que, si des moyens plus impor­tants sont abso­lu­ment néces­saires, ils ne suf­fi­ront pas. Il fau­dra décons­truire le vali­disme, le clas­sisme et le mythe méritocratique.

Lutter pour une école pour touTEs, c’est lut­ter contre une école clas­siste. Revendiquer la mise à l’écart des élèves handicapéEs, c’est se posi­tion­ner pour une école de la bour­geoi­sie et du tri social.

5.2 - Pour une école capitaliste ?

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L’école fran­çaise est l’école d’une socié­té capi­ta­liste. Depuis la Stratégie de Lisbonne, qui devait faire de l’Union euro­péenne « l’économie de la connais­sance la plus com­pé­ti­tive et la plus dyna­mique du monde », l’éducation est expli­ci­te­ment subor­don­née au mar­ché du tra­vail. Les poli­tiques édu­ca­tives sont défi­nies à par­tir des besoins de l’économie et l’impératif de l’employabilité dans le cadre d’un mar­ché du tra­vail flexi­bi­li­sé. L’école conçue comme un levier de la com­pé­ti­ti­vi­té éco­no­mique doit offrir un retour sur inves­tis­se­ment, c’est-à-dire que les dépenses édu­ca­tives ne se jus­ti­fient que par leurs ren­de­ments. C’est pour cette rai­son qu’elle valo­rise, chez ses élèves, la per­for­mance, la pro­duc­ti­vi­té et la com­pé­ti­ti­vi­té. Il est assez simple de voir de quelle manière une telle école exclut par-là un nombre impor­tant de ses élèves, dont les élèves handicapéEs.

La mise à l’écart des élèves handicapéEs s’opère sou­vent à par­tir de la notion de pro­duc­ti­vi­té. Qui est trop lent, qui n’a pas le niveau, qui est en retard, qui a besoin d’aide ou qui ne peut pas faire doit partir.

Si nous lut­tons pour une autre école et une autre socié­té, à savoir une école débar­ras­sée des injonc­tions néo­li­bé­rales de com­pé­ti­ti­vi­té et de pro­duc­ti­vi­té, et de l’évaluation per­ma­nente, il faut le faire plei­ne­ment. Ce sont ces injonc­tions qui écartent les élèves éloignéEs de la norme sco­laire (élèves allo­phones, handicapéEs, à besoins édu­ca­tifs par­ti­cu­liers…). Malgré les dis­cours et les rus­tines, l’é­cole capi­ta­liste, c’est l’é­cole du « marche ou crève », expres­sion vali­diste s’il en est.

Lutter pour une école pour touTEs, c’est lut­ter contre une école capi­ta­liste. Accepter de trier nos élèves en fonc­tion de logiques de pro­duc­ti­vi­té, n’est-ce pas tour­ner le dos à nos reven­di­ca­tions d’école éman­ci­pa­trice et sous­crire aux prin­cipes d’une école capitaliste ?

5.3 - Pour une école de la norme ?

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L’école fran­çaise est le lieu d’une très grande nor­ma­ti­vi­té. Les injonc­tions aux­quelles nos élèves doivent se sou­mettre sont nom­breuses. En règle géné­rale, on se met en rang, on se tait et on obéit ; rien ne doit dépas­ser. Ce qui n’est pas conforme y est sus­pect. La place de celles et ceux qui ne se sou­mettent pas à l’ordre domi­nant est remise en question.

Cet ordre des choses exclut de fait de nombreuXses élèves. Plus le cadre est nor­ma­tif et plus il ban­nit. Notre école intime aux élèves pré­sen­tant un écart à la norme de manière géné­rale – élèves allo­phones, en grande dif­fi­cul­té, trans, pauvres, voyageuRses… – et aux élèves handicapéEs en par­ti­cu­lier de se confor­mer à ces normes.

Les péda­go­gies éman­ci­pa­trices consti­tuent d’ailleurs tou­jours un lieu de bataille poli­tique et il suf­fit de pen­ser sim­ple­ment, dans le 1er degré, à l’uniformisation péda­go­gique par la label­li­sa­tion des manuels sco­laires pour com­prendre à quel point l’ins­ti­tu­tion cherche à uni­for­mi­ser les pra­tiques ensei­gnantes et à mettre à mal les professionnelLEs qui n’o­béissent pas à ces injonctions.

Concernant les élèves handicapéEs, on iden­ti­fie aisé­ment quelles normes sont à l’œuvre pour les exclure. La bien­séance, le silence et l’immobilité sont encore très sou­vent la règle. UnE élève doit suivre les pro­grammes de sa classe d’âge, de sa cohorte (terme issu du lan­gage militaire).

Ce jeu des normes par­ti­cipe à la construc­tion d’une vision binaire du monde social. Il y a celles et ceux qui sont conformes à ces normes et qui sont chez elles et eux à l’école, et il y a celles et ceux qui ne cor­res­pondent pas à ces normes. Comme dans tous les autres sys­tèmes oppres­sifs, il y a une bina­ri­sa­tion qui oppose les per­sonnes han­di­ca­pées et les per­sonnes valides, qui les sépare. Cette bina­ri­sa­tion nie tout conti­nuum : on est soit valide, soit handicapéE. Autrement dit, dans le sys­tème vali­diste, être handicapéE exclut de la vali­di­té, et vice ver­sa. Cette bina­ri­sa­tion ins­taure une hié­rar­chie qui est la base de tout le sys­tème vali­diste, dans lequel la vie des per­sonnes han­di­ca­pées a moins de valeur que celle des per­sonnes valides.

Lutter pour une école pour touTEs, c’est donc lut­ter contre une école de la norme, du conforme, contre une école qui entre­tient les vio­lences et les oppres­sions dont la norme, tou­jours dic­tée par les groupes domi­nants, est la loi. Ne pas le faire, c’est accep­ter les dis­cri­mi­na­tions à l’école et s’asseoir sur nos reven­di­ca­tions de jus­tice sociale.

5.4 - Conclusion

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SUD édu­ca­tion se bat au quo­ti­dien pour une école publique, gra­tuite, laïque, éga­li­taire et émancipatrice.

Pour SUD édu­ca­tion, l’École et l’Université ne sont pas décon­nec­tées du reste de la socié­té. C’est pour­quoi avec l’Union syn­di­cale Solidaires, SUD édu­ca­tion porte des reven­di­ca­tions pour trans­for­mer la socié­té dans son ensemble.

Alors, cama­rades, allons‑y !

6 - La parole aux travailleur·ses

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SUD édu­ca­tion donne ici la parole à des tra­vailleuses et tra­vailleurs militant·es qui nous parlent de leur rap­port au métier, de leurs condi­tions de tra­vail, de leurs constats et inter­ro­ga­tions sur la réa­li­té au quo­ti­dien de ce qu’ils et elles vivent dans le cadre de l’accueil et de l’accompagnement des élèves handicapé·es à l’école.

Il s’agit de témoi­gnages per­son­nels, d’une parole libre que nous avons sou­hai­té publier ici.

6.1 - Je suis AESH et je n’aime pas mon métier

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Je suis deve­nu AESH il y a quatre mois à peine. Pourtant je sais déjà que je ne conti­nue­rai pas ce métier l’année pro­chaine. Et ce n’est même pas la faute de la rému­né­ra­tion insuf­fi­sante : c’est bien le rôle qu’on m’a attri­bué qui me pose pro­blème. Je pré­cise, avant toute chose, que je n’exprime que mon petit point de vue sur ce métier dont je sais que la nature peut varier en fonc­tion de l’établissement, du type d’accompagnement, du degré, des han­di­caps concer­nés, des col­lègues etc. Je sup­pose sim­ple­ment, sans en être cer­tain, que d’autres s’y reconnaîtront.

Ce qu’on me demande de faire, essen­tiel­le­ment, c’est de m’asseoir à côté des élèves que j’accompagne en cours. Mais est-ce que ce n’est pas intru­sif, dans leur vie d’enfant ou d’adolescent·e, d’être sans cesse sous la sur­veillance rap­pro­chée d’un·e AESH ? Est-ce qu’ils·elles ne pré­fè­re­raient pas s’asseoir à côté de leurs copains et copines ? Est-ce que le fait qu’on leur assigne per­son­nel­le­ment et osten­si­ble­ment l’assistance d’un·e adulte ne risque pas d’être stig­ma­ti­sant, par rap­port aux cama­rades de classe qui ne sont pas for­cé­ment au clair sur ce que recouvre le terme “han­di­cap”, par rap­port aux profs qui ne le sont pas for­cé­ment plus, et puis par rap­port à elles·eux-mêmes qui ont sou­vent déjà des manques de confiance en soi ? Toutes ces ques­tions impor­tantes, j’ai l’impression que per­sonne ne se les pose. On est déjà bien gen­til de leur accor­der un accom­pa­gne­ment par­ti­cu­lier, on ne va quand même pas EN PLUS se sou­cier de la façon dont ils·elles le reçoivent !

Bien sûr je ne dis pas que la pré­sence proxi­male de l’AESH pose un pro­blème à tou·tes les élèves que nous accom­pa­gnons, il y en a qui en sont sans doute très content·es et c’est tant mieux. Mais je dis qu’on ne devrait pas consi­dé­rer comme allant de soi que notre pré­sence les aide plus qu’elle ne les gêne. Une aide n’en est d’ailleurs pas vrai­ment une si elle n’est pas plei­ne­ment accep­tée par son béné­fi­ciaire. Et pour­tant, ce sont ses parents et non l’élève lui·elle-même qui ont le der­nier mot sur la pour­suite de l’accompagnement par un·e AESH.

Surtout, j’ai l’impression que l’AESH repré­sente le gage de bonne volon­té per­met­tant au sys­tème sco­laire pen­sé par et pour des valides de ne sur­tout pas se remettre radi­ca­le­ment en ques­tion dans son fonc­tion­ne­ment géné­ral et dans ses intan­gibles prin­cipes péda­go­giques. Par exemple, on peut conti­nuer les cours magis­traux qui consistent à dic­ter ou faire copier de longs para­graphes sur le cahier de cours en gar­dant l’auditoire silen­cieux et bien assis sur sa chaise, bien que ce soit dif­fi­cile pour les élèves TDAH, fati­guant pour les élèves dys­lexiques (et ennuyant pour tout le monde) : tout est par­don­né, il y a un·e AESH !

Je dis sou­vent que mon métier, c’est de mettre du lubri­fiant pour faire pas­ser des ronds dans des trous car­rés, alors qu’il suf­fi­rait tout sim­ple­ment d’arrêter de mettre des trous. La fonc­tion de l’AESH est entiè­re­ment cen­trée sur l’individu por­teur du han­di­cap (d’ailleurs, son avis péda­go­gique sur l’organisation de la classe ne compte pas) : cela découle d’une logique de com­pen­sa­tion, à dis­tin­guer d’une logique d’inclusion qui néces­site de voir aus­si le han­di­cap d’un point de vue collectif.

Imaginons une école où on laisse aux élèves une plus grande liber­té de mou­ve­ment, de rythme d’apprentissage, où on favo­rise davan­tage l’entraide entre les élèves : n’y aurait-t-il pas déjà beau­coup moins de han­di­cap ? Peut-être que dans cette école, on aurait quand même besoin d’un·e adulte dont le rôle est d’apporter une aide sup­plé­men­taire à celles·ceux qui en expriment ponc­tuel­le­ment ou dura­ble­ment le besoin, mais ce serait déjà bien autre chose.

6.2 - J’ai été AESH

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J’ai été AESH (AVS à l’époque) pen­dant les années sco­laires 2020 – 2021 et 2021 – 2022. J’ai com­men­cé ma prise de poste en plein confi­ne­ment (le pre­mier). J’ai donc effec­tué ma for­ma­tion d’adaptation à l’emploi, d’une durée mini­male de 60 heures, à dis­tance pen­dant cette période.

Année sco­laire 2020 – 2021

Lors de ma pre­mière année, j’avais la res­pon­sa­bi­li­té de deux enfants en pri­maire (CP et CM2) pré­sen­tant des troubles spé­ci­fiques du lan­gage et des apprentissages.

Concernant mon inté­gra­tion dans l’établissement, je n’ai à aucun moment été pré­sen­tée aux professeur·es des écoles ni aux enseignant·es spé­ci­fiques des enfants dont j’avais la charge. Mon seul contact ini­tial a été un entre­tien avec le direc­teur, pour régler les for­ma­li­tés admi­nis­tra­tives liées à mon embauche (pro­cès-ver­bal d’installation, PVI).

Un tiers des AESH employé·es dans cet éta­blis­se­ment étaient en arrêt mala­die. J’ai donc pris mon poste « à l’aveugle », en m’adaptant aux consignes des professeur·es des classes où se trou­vaient les élèves en situa­tion de handicap.

En tant qu’AESH, nous étions censé·es avoir un·e référent·e. Cependant, je ne l’ai jamais rencontré·e. Pour com­prendre mes droits et mes devoirs, j’ai eu la chance de par­ti­ci­per à une for­ma­tion syn­di­cale orga­ni­sée par Sud Éducation. À l’issue de cette for­ma­tion, j’ai enfin obte­nu des infor­ma­tions pré­cieuses sur mon poste et j’ai pu échan­ger avec d’autres AESH d’autres éta­blis­se­ments. Impressionnée par l’écoute et le pro­fes­sion­na­lisme des inter­ve­nantes, j’ai choi­si d’adhérer à Sud Éducation, bien que ce soit ma pre­mière expé­rience syndicale.

Concernant les enfants que j’accompagnais, j’ai rapi­de­ment remar­qué qu’ils·elles res­sen­taient un cer­tain malaise lié à ma pré­sence, qui les stig­ma­ti­sait auprès de leurs cama­rades. De plus, ils·elles avaient ten­dance à confondre mon rôle d’accompagnant·e avec celui de « faire à leur place ». Il a fal­lu régu­liè­re­ment leur réex­pli­quer mon rôle, ce qui était un sujet récur­rent et sen­sible entre nous.

Quant aux professeur·es, j’ai été cho­quée de consta­ter qu’aucune adap­ta­tion péda­go­gique n’était mise en place pour répondre aux besoins des élèves. Lorsque je pro­po­sais des idées pour adap­ter leurs exer­cices, on me rap­pe­lait sys­té­ma­ti­que­ment que je n’étais pas ensei­gnante. Mon âge, 50 ans à l’époque, sem­blait par­fois sus­ci­ter une méfiance de leur part.

Année sco­laire 2021 – 2022

Pour ma deuxième année, j’ai accom­pa­gné deux enfants en mater­nelle pré­sen­tant des troubles du spectre autis­tique (TSA). Ces enfants, atta­chants mais néces­si­tant une atten­tion constante, mani­fes­taient des troubles de la com­mu­ni­ca­tion, des inter­ac­tions sociales, ain­si que des com­por­te­ments répé­ti­tifs, colé­riques ou agressifs.

N’ayant jamais tra­vaillé avec des enfants autistes aupa­ra­vant, j’ai dû apprendre sur le ter­rain, sans accom­pa­gne­ment ni for­ma­tion spé­ci­fique. Là encore, j’ai consta­té que les enseignant·es atten­daient des enfants qu’ils·elles s’adaptent au fonc­tion­ne­ment clas­sique de la classe, plu­tôt que d’adapter leur péda­go­gie à leurs besoins particuliers.

Mon rôle s’est sou­vent résu­mé à conte­nir les enfants pour évi­ter qu’ils·elles ne per­turbent la classe, ce qui signi­fiait régu­liè­re­ment les sor­tir. Les acti­vi­tés ordi­naires étaient qua­si impos­sibles pour elles et eux dans leurs situa­tions. Cela m’a frus­trée profondément.

De plus, les moyens maté­riels man­quaient cruel­le­ment : pas de tram­po­line, pas de jeux adap­tés (tobog­gans, balan­çoires, bal­lons sau­teurs, etc.). Dans la cour de récréa­tion, je devais constam­ment inter­dire aux enfants d’utiliser une aire de jeux deve­nue dan­ge­reuse, bien qu’on nous ait pro­mis sa réha­bi­li­ta­tion depuis plus d’un an.

Un constat amer

Après deux ans, j’ai déci­dé de démis­sion­ner, fati­guée par le manque de moyens pour les enfants, l’absence de recon­nais­sance (concer­nant le sta­tut pré­caire et le salaire) et d’accompagnement pour les AESH, et une inclu­sion qui, mal­gré son impor­tance, s’avère sou­vent mal pen­sée et mal exécutée.

J’ai quit­té ce poste avec tris­tesse, sans pou­voir expli­quer les véri­tables rai­sons de ma déci­sion aux parents, de peur de poin­ter du doigt l’Éducation natio­nale et son sys­tème d’inclusion dysfonctionnel.

Sur l’inclusion scolaire

Je reste convain­cue que l’inclusion est essen­tielle pour ces enfants et leurs familles. Mais, sans for­ma­tion adap­tée ni moyens suf­fi­sants pour les professeur·es, les ATSEM et les AESH, elle devient une vio­lence pour les enfants comme pour les accompagnant·es.

Conclusion

Malgré ces constats, j’ai eu la chance de ren­con­trer des per­sonnes moti­vées et com­pé­tentes, pro­fon­dé­ment inves­ties dans leur rôle auprès des enfants. Leur enga­ge­ment m’a sou­vent don­né l’énergie néces­saire pour conti­nuer dans ce contexte difficile.

Cependant, ce sys­tème hié­rar­chique, rigide et insuf­fi­sam­ment struc­tu­ré, crée des blo­cages qui freinent à la fois les ini­tia­tives indi­vi­duelles et les avan­cées col­lec­tives néces­saires à une inclu­sion réussie.

Malgré tout, je garde la satis­fac­tion d’avoir contri­bué, à ma manière, à ce que ces enfants puissent vivre, apprendre et évo­luer au sein de leur groupe de pairs. Ces moments de par­tage et de pro­grès, aus­si infimes soient-ils par­fois, res­tent pré­cieux dans mon parcours.

6.3 - Cécile, AESH depuis 2015

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D’abord AVS en contrat d’in­ser­tion, payée 650 euros pour 20h, j’ai été recru­tée pour mes com­pé­tences en bio­lo­gie pour accom­pa­gner un élève au bac­ca­lau­réat STL (tech­niques de labo­ra­toires) et mes com­pé­tences de tra­vailleuse sociale. Puis 3 ou 4 CDD. Je suis aujourd’­hui AESH en CDI 24h payée 1000 euros net, mais 900 euros seule­ment sont ver­sés car j’ai une dette à cause d’un long arrêt maladie.
J’aime beau­coup accom­pa­gner les élèves, les voir deve­nir auto­nome, per­mettre aux enfants han­di­ca­pés d’ob­te­nir des diplômes, mais je suis sou­vent inquiète pour leur inser­tion pro­fes­sion­nelle. L’idée d’in­clu­sion de toutes et tous a tou­jours été logique pour moi, ça devrait être la normalité.
J’aime le tra­vail en équipe, les pro­fes­seurs sont main­te­nant des vrais par­te­naires de tra­vail, ce n’é­tait pas le cas au début car les AESH ont été ajou­tées dans les classes comme des che­veux dans la soupe ! Ça arrive encore mais moins souvent.…

Je ne consi­dère pas que le métier d’AESH existe, j’ai­me­rai bien, mais il n’existe pas de for­ma­tion diplô­mante pour cette fonc­tion. j’oc­cupe une fonc­tion.… Je suis tra­vailleuse sociale, je ne suis pas aide soi­gnante ni AMP donc je refuse les gestes para­mé­di­caux (prise de médoc, trans­fert aux toi­lettes, aide aux repas..) mon bou­lot c’est faci­li­ter l’ac­cès aux apprentissages.
Quand on bosse dans le sec­teur public, on se prend des nou­velles lois dans la tronche qui change notre bou­lot, et l’ad­mi­nis­tra­tion attend qu’on se la ferme et qu’on exécute.
Pas d’aug­men­ta­tion de salaire en vue, pas de recon­nais­sance du métier en vue. Va y avoir les PAS à la place des PIAL, y a tou­jours un tas d’a­bré­via­tions pas claires : TDAH, Dys, TDA, Tmachin, c’est comme ça que l’ad­mi­nis­tra­tion parle de nos élèves dans les formations.
J’ai sou­vent pen­sé à chan­ger de bou­lot à cause de ce petit salaire, mais fina­le­ment j’ai appris à mobi­li­ser les aides sociales en com­plé­ment (droits et/​ou aides facul­ta­tives). Mais ma retraite ce sera la cata !

C’est sûr je conti­nue­rai à faire mon bou­lot, c’est à dire favo­ri­ser l’in­clu­sion et l’au­to­no­mie de tout‧e‧s. C’est sûr je conti­nue­rai à ne pas me lais­ser faire, être AESH c’est aus­si et sur­tout savoir prendre du recul et lut­ter pour nos condi­tions de travail.

6.4 - Delphine, AESH

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Parachutée un peu par hasard dans le milieu édu­ca­tif, me voi­là AESH, sans for­ma­tion ni expé­rience, j’ai juste reçu une affec­ta­tion. Au début j’ob­serve, j’in­ter­roge, je cherche à com­prendre mes mis­sions et les fonc­tion­ne­ment de cette nou­velle ins­ti­tu­tion. Mais celui-ci va vite s’im­po­ser à moi, les chan­ge­ments d’ac­com­pa­gne­ment s’enchaînent, de la mater­nelle au col­lège avec des élèves aux besoins dif­fé­rents. Une remise en ques­tion per­ma­nente de mes pra­tiques avec pour seule res­source la volon­té de m’au­to-for­mer, d’é­lar­gir mes com­pé­tences. On explique sou­vent que les AESH res­tent car ça devient un métier « pas­sion », pour moi c’est plu­tôt deve­nu un métier « com­bat ». Un com­bat social, face au mépris et à la pré­ca­ri­té quo­ti­dienne subie. Faire ses preuves, être éva­luée en per­ma­nence pour les renou­vel­le­ments de contrat, pour faire sa place dans chaque nou­vel éta­blis­se­ment. Un com­bat socié­tal, pour une école inclu­sive, avec des moyens humains et maté­riels pour toutes et tous les élèves. Mais sur­tout un com­bat hyper enri­chis­sant, une décou­verte incroyable des esprits, des corps, des cultures différentes.

Après 10 ans, ce com­bat s’est trans­for­mé en force, pour reven­di­quer des com­pé­tences spé­ci­fiques et un sta­tut , pour construire des liens avec les élèves, qu’iels puissent être au cœur de leur accom­pa­gne­ment, des liens avec les équipes ensei­gnantes. Je me vois comme le fil qui relie les envies et besoins de l’é­lèves, la vie sco­laire et les appren­tis­sages. Je m’au­to­rise même à rêver, une école où dans chaque classe un binôme enseignant‧te et éducateur‧trice sco­laire spécialisé‧e pour­rait accueillir les élèves dans un petit groupe classe, dans des locaux adap­tés, accessibles.

6.5 - Témoignage d’une PE ordinaire en classe ordinaire

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Peux-tu te présenter ?

Je m’ap­pelle A. Je suis pro­fes­seur des écoles. Je suis issue des classes populaires.

Depuis 6 ans je tra­vaille dans une école de 9 classes dans une ville moyenne d’un dépar­te­ment rural qui accueille un public avec une grande mixi­té sociale. J’enseigne dans le cycle 2 exclu­si­ve­ment (CP/​CE1 ou CE1) depuis que je tra­vaille dans cette école. Je suis mili­tante à Sud éducation.

J’accueille dans ma classe une grande diver­si­té d’élèves : élèves voyageur·euses, allo­phones, sans papier avec des tra­jec­toires par­fois dif­fi­ciles, des élèves en situa­tion de han­di­cap, des élèves avec des dif­fi­cul­tés – beau­coup de troubles du com­por­te­ment et de dif­fi­cul­tés lan­ga­gières. Sans cari­ca­tu­rer, ce qui est très mar­quant, c’est sur­tout le fos­sé entre les élèves issu·es des classes favo­ri­sées – beau­coup d’enfants de professeur·es, de travailleur·euses de la culture ou du monde asso­cia­tif, beau­coup d’enfants de soignant·es – et celles·ceux issu·es des classes populaires.

C’est quoi une école inclu­sive pour toi ?

Une école inclu­sive serait une école qui se pas­se­rait du mot « inclu­sive » c’est à dire une école pour tou·tes, une école qui accueille­rait sans condi­tion tou·tes les élèves, toutes les familles, sans dis­cri­mi­na­tion mais sans non plus nier les sin­gu­la­ri­tés de chacun·es, une école qui ferait sa place à tout le monde en res­pec­tant les besoins de tou·tes, une école qui tra­vaille­rait à l’ac­ces­si­bi­li­té uni­ver­selle, une école bien­veillante et conscien­ti­sée des dif­fé­rentes oppres­sions vécues dans la socié­té, une école qui ne repro­dui­rait pas les vio­lences vécues dans la société.

Ce serait aus­si une école res­pec­tueuse de ses travailleur·euses, y com­pris celles et ceux qui, un jour dans leur car­rière, éprouvent des dif­fi­cul­tés, phy­siques ou psychiques.

En ce sens, poli­ti­que­ment, une école réel­le­ment inclu­sive serait pour moi une école qui accueille­rait tout sim­ple­ment tout le monde, incon­di­tion­nel­le­ment et dans de bonnes condi­tions. Elle ne s’intéresserait pas seule­ment aux élèves en situa­tion de han­di­cap. Elle serait néces­sai­re­ment anti­sexiste, anti­ra­ciste, anti­clas­siste, antivalidiste…

C’est une école qui ne per­met­trait pas le tri social en pro­po­sant des espaces alter­na­tifs : école pri­vée pour la bour­geoi­sie, espaces ségré­gués pour les élèves handicapé·es…

Quelles dif­fi­cul­tés ren­contres-tu dans la mise en œuvre d’une école inclu­sive ? Quels sont les freins ? Quels pour­raient être les leviers ?

Les dif­fi­cul­tés sont nombreuses.

Les pre­mières concernent le manque de moyens. Le nombre impor­tant d’é­lèves par classe est une dif­fi­cul­té que je ren­contre, notam­ment après des mesures de fer­me­tures de classes dans l’école.

Le ter­ri­toire sur lequel inter­viennent les membres du RASED de mon école est extrê­me­ment large tout comme celui de la col­lègue UPE2A, ce qui ne per­met presque plus de pou­voir nous ren­con­trer pour qu’on puisse tra­vailler ensemble.

Les moyens maté­riels insuf­fi­sants sont éga­le­ment un frein selon moi. Les ter­ri­toires sont dotés inéga­le­ment en termes de qua­li­té de locaux (taille des espaces, cir­cu­la­tion, sani­taires, lumi­no­si­té, inso­no­ri­sa­tion…). Je tra­vaille avec du mobi­lier qui n’est pas adap­té, des bureaux trop vieux et inadap­tés à la taille des élèves. Ils prennent de la place, grincent, les pla­quages sautent, ils rendent dif­fi­cile la modu­la­tion de l’espace… La mai­rie avec laquelle je tra­vaille n’investit que trop peu en maté­riel : maté­riel infor­ma­tique, casques anti bruit, assises alter­na­tives, pho­to­co­pieurs datés qui ne sortent que des impres­sions dégueu­lasses, exclu­si­ve­ment en noir et blanc, gênant la lec­ture pour les élèves les plus en difficulté…

L’espace de ma classe est insuf­fi­sant pour créer un sas de décom­pres­sion pour les élèves qui en auraient besoin.

La cir­cu­la­tion dans la classe n’est pas aisée, la visi­bi­li­té des affi­chages et du tableau n’est pas opti­male pour tout le groupe. Les bâti­ments datent de la fin du XIXème siècle, les pla­fonds sont très hauts et les sons résonnent, gênant les élèves qui ont besoin de beau­coup de calme.

Les moyens concernent éga­le­ment les temps de concer­ta­tion. Les temps de concer­ta­tion avec l’ensemble de mes col­lègues, PE ou AESH, sont abso­lu­ment néces­saires pour mettre en œuvre une école vrai­ment inclu­sive. Je tra­vaille actuel­le­ment, par exemple, avec deux col­lègues AESH qui accom­pagnent une élève de ma classe mais qui tra­vaillent éga­le­ment auprès de quatre autres élèves, scolarisé·es dans l’é­cole ou ailleurs. Ces per­sonnes tra­vaillent éga­le­ment à accom­pa­gner les élèves sur les temps péri­sco­laires. Les temps de concer­ta­tion sont impos­sibles à mettre en œuvre. Pour coopé­rer, les dis­cus­sions entre deux portes ne sont pas satis­fai­santes. S’il y avait une réelle volon­té poli­tique de mettre en œuvre une école pour tou·tes, ces temps de concer­ta­tion seraient orga­ni­sés sur nos temps de tra­vail, ce qui impli­que­rait un nombre de travailleur·euses de l’Éducation natio­nale beau­coup plus impor­tant. Cette hausse des per­son­nels per­met­trait aus­si d’a­voir du temps pour tra­vailler en équipe (enseignant·es, AESH, CPE, AED, par­te­naires divers…) sur des temps de classe à la construc­tion d’ou­tils et de pro­jets qui favo­risent l’ac­ces­si­bi­li­té. La hausse du nombre d’enseignant·es per­met­trait en plus de mettre en œuvre d’autres moda­li­tés d’en­sei­gne­ment comme le co-enseignement.

Parler de moyens, c’est éga­le­ment par­ler de for­ma­tion. Il faut évi­dem­ment que les col­lègues s’en sai­sissent, notam­ment en ce qui concerne la for­ma­tion conti­nue, mais les for­ma­tions ini­tiales devraient for­mer à l’accessibilité uni­ver­selle. Dans l’idée, tou·tes les enseignant·es devraient être des enseignant·es spécialisé·es. J’ai presque envie de dire que, contrai­re­ment à ce que disent cer­tains syn­di­cats, l’inclusion doit être sys­té­ma­tique, en ce sens que c’est ça qui doit faire sys­tème, pas la mise à l’écart d’élèves qui ne cor­res­pondent pas à l’image d’Épinal de l’élève comme il faut. Il faut conscien­ti­ser que l’école est orien­tée poli­ti­que­ment ; il ne peut pas y avoir d’école pour tou·tes dans une école néo­li­bé­rale qui ne valo­rise que la com­pé­ti­ti­vi­té et la pro­duc­ti­vi­té, le silence et l’obéissance.

Les col­lègues doivent aus­si se for­mer à la socio­lo­gie, c’est-à-dire aux rap­ports de domi­na­tion, aux déter­mi­nismes sociaux que nous sommes censé·es combattre.

Il faut donc remettre en ques­tion les pro­grammes, l’organisation de l’école, les ques­tions de rythmes… Il faut aus­si très cer­tai­ne­ment cas­ser la seule réponse d’une pré­sence AESH auprès des élèves à besoins édu­ca­tifs par­ti­cu­liers. Les pra­tiques ensei­gnantes sont centrales.

Je mets par exemple en œuvre la classe du et au dehors, des péda­go­gies de pro­jets autour d’une pra­tique de la radio. Je ne sais pas tout, c’est par­fois com­plè­te­ment expé­ri­men­tal, j’essaie des choses, mais je mesure l’intérêt pour l’accueil de tou·tes les élèves. Et l’idée, ce n’est pas d’être moins exigeant·e, de faire quelque chose de plus socia­li­sant, qui appor­te­rait moins de savoir. Les péda­go­gies éman­ci­pa­trices consti­tuent, je crois, une véri­table réponse à un accueil adap­té de tou·tes les élèves. Les prin­cipes mêmes des péda­go­gies éman­ci­pa­trices mettent l’enfant au centre et croient en lui·elle.

Il y a aus­si la ques­tion des familles. C’est incroyable que des col­lègues pensent les familles comme des adver­saires. La vio­lence, elle est exer­cée par l’institution, pas par les familles. On a tout inté­rêt à tra­vailler avec elles car nos inté­rêts sont conver­gents. Il est inad­mis­sible de faire ruis­se­ler la vio­lence ins­ti­tu­tion­nelle sur les familles et les enfants. Nos com­bats doivent être pour une autre école et une autre socié­té, plus éga­li­taires, plus émancipatrices.

De ce point de vue, l’utilisation mas­sive des médi­ca­ments pour adap­ter les élèves à l’école m’interroge et je l’envisage comme une cami­sole chi­mique. Que fai­sons-nous subir à leurs corps et leurs esprits ? Quels impacts sur leurs vies futures ?

Les liens avec les travailleur·euses du médi­co-social sont éga­le­ment essen­tiels. J’ai par exemple accueilli une élève mal­voyante. Le Seerda est inter­ve­nu de manière très régu­lière pour que nous co-construi­sions un accueil adap­té de cette élève. Ils et elles tra­vaillaient avec moi mais éga­le­ment avec l’AESH de l’élève. Ils et elles nous appor­taient énor­mé­ment de conseils mais éga­le­ment du maté­riel adap­té. J’ai beau­coup appris et l’élève en ques­tion a pu pro­gres­ser et s ‘épa­nouir dans un envi­ron­ne­ment qui ne fai­sait plus obs­tacle. J’ai eu beau­coup moins d’aide pour accueillir des élèves pour lesquel·les l’organisation de la classe et ses exi­gences géné­raient des dif­fi­cul­tés et de la vio­lence, et qui ne pou­vaient l’exprimer qu’en étant violent·es eux·elles-mêmes.

Le der­nier point, c’est le manque de conti­nui­té et de coopé­ra­tion entre la mater­nelle et l’élémentaire, puis entre l’élémentaire et le second degré. Si on veut accueillir cor­rec­te­ment toute la diver­si­té des élèves, cette coopé­ra­tion me semble tel­le­ment importante.

En tous cas, cette école pour tou·tes, contrai­re­ment à ce qu’on peut lire ici ou là, je l’appelle de mes vœux. Je ne le vis pas comme une injonc­tion hié­rar­chique. C’est pour moi une ques­tion de droit et je me bats syn­di­ca­le­ment pour l’obtenir.

6.6 - Témoignage d’un coordonnateur Ulis

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Je milite à SUD édu­ca­tion depuis une quin­zaine d’an­nées, c’est-à-dire depuis que je tra­vaille. Je milite éga­le­ment au Cuse (col­lec­tif une seule école).

J’ai com­men­cé à tra­vailler dans l’en­sei­gne­ment spé­cia­li­sé il y a une dizaine d’an­nées, d’a­bord en Clis, puis en Ulis. J’ai fait fonc­tion pen­dant 8 ans et j’ai pas­sé le Cappei il y a trois ans.

Je tra­vaille dans le cadre d’un double dis­po­si­tif Ulis, c’est-à-dire qu’a­vec une autre coor­don­na­trice Ulis et deux AESH col­lec­tives nous sou­te­nons 24 élèves.

Je pré­fère par­ler d’é­cole pour tou·tes que d’é­cole inclu­sive. L’expression école inclu­sive porte en elle-même l’i­dée d’un corps étran­ger à qui on doit faire place. Je pré­fère pen­ser que nous sommes tous et toutes singulier·ères et que l’é­cole doit par­tir de ces sin­gu­la­ri­tés pour per­mettre à tou·tes d’ap­prendre et de s’é­man­ci­per, de s’épanouir.

Je m’en­gage dans mon tra­vail pour l’é­man­ci­pa­tion de tou·tes et la jus­tice sociale ; je m’op­pose radi­ca­le­ment à l’é­cole capi­ta­liste et néo­li­bé­rale. Mes choix pro­fes­sion­nels sont gui­dés par les prin­cipes d’é­gale digni­té des per­sonnes et d’é­du­ca­bi­li­té de tou·tes.

La conscien­ti­sa­tion du vali­disme consti­tue un moment très impor­tant de ma courte car­rière. En tra­vaillant sur la pre­mière bro­chure fédé­rale de SUD édu­ca­tion, la ren­contre avec des militant·es du Clhee a ins­tau­ré une toute autre manière d’en­vi­sa­ger mon métier et de le pra­ti­quer. La prise de conscience des oppres­sions subies par les per­sonnes han­di­ca­pées en géné­ral et les élèves handicapé·es en par­ti­cu­lier a bou­le­ver­sé mes repré­sen­ta­tions. J’ai com­pris que la manière dont nous envi­sa­gions les élèves handicapé·es en France était contraire aux Droits de l’Homme. Je m’en­gage donc désor­mais plei­ne­ment pour la dés­ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion et contre toute forme de ségrégation.

Une école réel­le­ment pour tou·tes reste à inven­ter. Il s’a­gi­rait d’une école qui per­met­trait à tous et à toutes d’y être scolarisé·es ou d’y tra­vailler en ne com­pen­sant qu’à la marge parce que sa struc­ture même – archi­tec­ture, liens médi­co-social et édu­ca­tion, pro­grammes, nombre d’é­lèves par classe, … – offri­rait un envi­ron­ne­ment uni­ver­sel­le­ment accessible.

Les freins sont encore nom­breux cepen­dant et empêchent encore l’é­clo­sion d’une telle école.

Il y a évi­dem­ment l’o­rien­ta­tion néo­li­bé­rale de notre école qui met au banc un nombre impor­tant de nos élèves en ne valo­ri­sant que la pro­duc­ti­vi­té et la com­pé­ti­ti­vi­té, en ne se pré­oc­cu­pant que des résul­tats aux éva­lua­tions et en rédui­sant tou­jours davan­tage les moyens dans une obses­sion austéritaire.

Mais il y a éga­le­ment nos repré­sen­ta­tions de ce que devrait être un·e élève, de ce à quoi devrait res­sem­bler une classe et nos emplois de travailleur·euses de l’é­du­ca­tion. Un impor­tant tra­vail de décons­truc­tion est à enga­ger en nous-mêmes pour sor­tir du modèle médi­cal du han­di­cap – qui est la base du vali­disme sys­té­mique – et pour mettre en œuvre une école de l’émancipation.

De ce point de vue, un des prin­ci­paux freins à mes yeux concerne la place cen­trale don­née aux enseignant·es spécialisé·es et aux AESH dans la ges­tion des han­di­caps à l’é­cole. Il y a quelque chose de l’ordre de la délé­ga­tion. Si les élèves à besoins édu­ca­tifs par­ti­cu­liers sont majo­ri­tai­re­ment considéré·es comme les élèves des enseignant·es spécialisé·es et des AESH, si ce sont ces travailleur·euses qui sont leurs principaux·ales référent·es, alors c’est que les élèves à besoins édu­ca­tifs par­ti­cu­liers échappent au com­mun ; c’est qu’ils·elles ne font pas plei­ne­ment par­tie du groupe des élèves. Une école pour tou·tes, c’est cer­tai­ne­ment une école dans laquelle tou·tes les élèves sont de la res­pon­sa­bi­li­té de toute l’é­quipe éducative.

J’essaie quo­ti­dien­ne­ment, avec mes col­lègues, d’a­van­cer vers une école pour tou·tes. Parmi toutes les choses que nous essayons de mettre en œuvre, voi­ci celles qui me semblent les plus intéressantes.

D’abord, le co-ensei­gne­ment. J’ai la chance de tra­vailler dans un double dis­po­si­tif, ce qui nous per­met, avec ma col­lègue coor­don­na­trice, de mul­ti­plier les co-ensei­gne­ments. Nous tra­vaillons col­lec­ti­ve­ment à l’é­cole pour l’ac­ces­si­bi­li­sa­tion de nos séquences d’ap­pren­tis­sage. Les enseignant·es spécialisé·es ne sont plus les seul·es habilité·es à tra­vailler pour les élèves à besoins édu­ca­tifs par­ti­cu­liers. C’est désor­mais une res­pon­sa­bi­li­té par­ta­gée avec l’en­semble de l’é­quipe. Nous déve­lop­pons éga­le­ment des pra­tiques de coopé­ra­tion avec nos col­lègues AESH. Ces pra­tiques réclament cepen­dant du temps de concer­ta­tion, ce temps si dif­fi­cile à trouver.

Les péda­go­gies éman­ci­pa­trices offrent éga­le­ment des leviers inté­res­sants pour le déve­lop­pe­ment d’une école pour tou·tes. Elles sont nom­breuses et l’i­dée n’est pas ici d’en faire une des­crip­tion détaillée, mais, par la place cen­trale qu’elles donnent toutes à l’en­fant – comme per­sonne de droits, comme étant capable, comme étant acteur·trice…- et par leur pro­jet éman­ci­pa­teur, elles offrent des pers­pec­tives plus qu’in­té­res­santes. Une école pour tou·tes, c’est une autre école dans une autre socié­té ; les pra­tiques « IIIème République » n’y seront d’au­cun secours.

Je ne peux pas dis­tin­guer, pour conclure, mon enga­ge­ment syn­di­cal de mon action de péda­gogue. Pour obte­nir cette école de l’é­man­ci­pa­tion et de la jus­tice sociale, l’un ne s’en­vi­sage pas sans l’autre.

6.7 - J’enseigne en IME – Je raconte…

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Je me présente :

Je suis ensei­gnante depuis 17 ans. J’ai pas­sé 11 ans en école ordi­naire et j’entame cette année ma 6ème année en tant qu’enseignante spé­cia­li­sée en IME. J’ai pas­sé mon Cappei en 2022.

Qu’est-ce qu’un IME ?

Un IME est un ins­ti­tut médi­co-édu­ca­tif. C’est un éta­blis­se­ment du sec­teur médi­co-social dans lequel on accueille des enfants et adolescent·es considéré·es comme « atteint·es de han­di­cap men­tal, ou pré­sen­tant une défi­cience intel­lec­tuelle liée à des troubles de la per­son­na­li­té, de la com­mu­ni­ca­tion ou des troubles moteurs ou sen­so­riels. » (Définition de la MDPH).

Il existe des IME qui ne font que de l’accueil de jour ou des IME qui ont des inter­nats. La majo­ri­té des IME en France sont des struc­tures pri­vées asso­cia­tives, que l’on appelle com­mu­né­ment « asso­cia­tions ges­tion­naires ». Les der­nières sta­tis­tiques dis­po­nibles que l’on peut retrou­ver sur le site du minis­tère de la Santé indiquent qu’il existe 1368 IME en France. Ils accueillent plus de 70000 enfants et adolescent·es.

La CNSA attri­bue aux ARS un bud­get annuel d’environ 30 mil­liards d’euros en 2023 pour les éta­blis­se­ments médi­co-sociaux (envi­ron 15 mil­liards € pour les per­sonnes âgées et 15 mil­liards € pour les per­sonnes handicapées).

Qu’est-ce qui m’a ame­né à tra­vailler en IME ?

Je suis entrée dans l’Éducation natio­nale en 2006, j’ai donc connu l’arrivée des élèves handicapé·es dans les classes avec les pre­mières accompagnant·es (AVS à l’époque !) des élèves dans les classes dites « ordi­naires ». La ques­tion de la défense d’un meilleur sta­tut de ces nou­veaux per­son­nels a été un de mes pre­miers com­bats syn­di­caux. Il y avait quelque chose d’insupportable pour moi à l’époque : des élèves par­mi les plus fra­giles et vul­né­rables les plus déconsidéré·es du sys­tème sco­laire, exac­te­ment comme pour les per­sonnes cen­sées s’occuper d’eux-elles.

Et puis plu­sieurs de mes proches (famille, ami·es) étaient enseignant·es du pre­mier degré et se sont orienté·es vers l’enseignement spé­cia­li­sé. J’ai eu beau­coup de récits inté­res­sants à cette époque. Et comme j’avais moi-même un sen­ti­ment d’insatisfaction per­ma­nent dans la classe dite « ordi­naire », sur­char­gée de dif­fi­cul­tés struc­tu­relles (édu­ca­tion prio­ri­taire sans moyens suf­fi­sants), je voyais dans les ESMS (éta­blis­se­ments médi­co-sociaux) un moyen de faire mieux mon tra­vail, parce que j’aurais moins d’élèves en charge et davan­tage de professionnel·les différent·es au quotidien.

Quels avan­tages j’y vois en tant qu’enseignante ?

Alors il faut rap­pe­ler que les enseignant·es en ESMS n’ont que très peu d’avantages finan­ciers : indem­ni­té dite « Segpa » de 147€ bruts par mois et, lorsque l’on est enseignant·e spécialisé·e, l’indemnité de fonc­tion de 73€ bruts par mois. Clairement, ce n’est donc pas la rému­né­ra­tion qui m’a ame­née à choi­sir un poste ASH !

Quand j’ai démar­ré en IME à la ren­trée 2019, j’ai eu effec­ti­ve­ment une forme de satis­fac­tion de me dire « ça y est, je suis là où je vou­lais être ». En fait, j’avais enfin la sen­sa­tion que j’avais le temps d’observer les élèves, leurs réus­sites, leurs blo­cages, leurs fonc­tion­ne­ments… J’avais beau­coup de col­lègues autour de moi avec qui je pou­vais par­ler « autre­ment » des élèves : l’infirmière, le kiné, la psy, l’éduc référent·e, la psy­cho­mo­tri­cienne… Bref, plein de professionnel·les dont je décou­vrais le métier et qui voyaient l’élève-enfant dans sa glo­ba­li­té. C’était très dif­fé­rent des échanges en salle des maitre·sses à l’école élé­men­taire. Là, j’avais l’impression qu’on pou­vait tout dire, ce qui n’est pas tou­jours le cas à l’école quand on est en dif­fi­cul­té avec un·e élève.

Il y avait éga­le­ment une ques­tion de rap­port au temps qui fait du bien au quo­ti­dien : finie la course au pro­gramme, à la période, à la séquence ceci, à la séance cela ! Dans la classe à l’IME, on fait avec les élèves, selon leurs dis­po­ni­bi­li­tés et il n’y a pas d’angoisse si la séance de lec­ture a raté, si on a dû s’arrêter pour chan­ter une chan­son, si on a mis sur pause la réso­lu­tion de pro­blèmes pour faire un tour dehors et s’aérer un peu. Cette liber­té-là, je ne la retrou­vais plus à l’école dite « ordi­naire », et j’ai eu l’impression de la retrou­ver à l’IME.

Et puis sur­tout, il y avait quelque chose de très nou­veau pour moi pro­fes­sion­nel­le­ment, c’est la ques­tion glo­bale du rap­port aux normes qui a pris une autre dimen­sion dans ma pra­tique au quo­ti­dien. Plus de débat sur la ques­tion du « niveau sco­laire », de « l’âge ». À l’IME, on arrête avec cette idée du « à 7 ans, la construc­tion du nombre, bla­bla­bla… », « à 6 ans, la fusion syl­la­bique, bla­bla­bla… ». Non, là, on remet en ques­tion toutes les normes qu’on nous a appris à prendre pour des injonc­tions pré­sentes dans cha­cun de nos dits « gestes pro­fes­sion­nels ». Tout l’enjeu est de main­te­nir un haut degré d’exigence en termes d’apprentissages pour chacun·e des élèves, mais en res­pec­tant les rythmes, les pro­grès, les centres d’intérêts, les dif­fi­cul­tés et les écarts à la norme sco­laire ! En tant qu’enseignante, cet aspect-là de mon métier en IME m’a appor­té beau­coup. C’est une prise de dis­tance très par­ti­cu­lière après 10 ans d’enseignement en classe dite « ordi­naire » alors que j’avais pour­tant expé­ri­men­té les pra­tiques coopé­ra­tives, la classe triple niveau en zone d’éducation prio­ri­taire, ins­pi­rée des modèles péda­go­giques type Freinet/​pédagogie ins­ti­tu­tion­nelle. J’avais l’impression d’avoir fina­le­ment tou­jours fait atten­tion aux besoins des élèves, aux besoins du groupe, j’avais cher­ché, notam­ment dans la classe mul­ti-âge, à gom­mer les caté­go­ri­sa­tions faciles des élèves, de leurs com­pé­tences. Mais en me confron­tant aux élèves de l’IME, c’est comme si je m’autorisais enfin à ne plus ten­ter de répondre aux injonc­tions para­doxales de notre sys­tème sco­laire. Je pre­nais enfin com­plè­te­ment en compte les « à côtés » de l’apprentissage à pro­pre­ment par­ler : com­ment l’élève se sent aujourd’hui, qu’est-ce qu’il-elle ramène dans la classe ce matin d’un point de vue sen­so­riel et/​ou émo­tion­nel, quelles sont les inter­ac­tions, les rituels, les gestes, les mots, les images, qui vont per­mettre la mise en acti­vi­té, l’écoute, la concen­tra­tion, à quel moment il va fal­loir stop­per, cou­per, faire une pause, lâcher prise…

Mais j’ai bien conscience que si je suis par­ve­nue à prendre conscience de tous ces aspects, et d’adapter mes pro­po­si­tions péda­go­giques aux élèves, c’est aus­si parce que le contexte d’exercice a été faci­li­tant au sein de la struc­ture IME : effec­tif réduit (8 élèves maxi­mum dans la classe), pré­sence d’adultes ren­for­cée, apports plu­ri-pro­fes­sion­nels, for­ma­tions (Cappei entre autres)…

Je décris un peu l’organisation de mon tra­vail à l’IME

Aujourd’hui, je tra­vaille dans un petit IME qui dépend de l’Unapei et qui accueille une cin­quan­taine d’enfants et d’adolescent·es âgé·es de 6 à 15 ans. Nous sommes 2 enseignant·es titu­laires du Cappei sur l’établissement. Nous sco­la­ri­sons envi­ron 40 élèves (les autres étant soit non scolarisé·es, soit sur d’autres prises en charge sco­laires avec Sessad, en Ulis…).

L’IME pos­sède une UEE en école élé­men­taire dans laquelle nous emme­nons 6 élèves sur 5 demi-jour­nées par semaine. Ce groupe béné­fi­cie de 18h de sco­la­ri­sa­tion par semaine sur l’école élé­men­taire et à l’IME (1 enseignant·e + 1 édu­ca­trice en per­ma­nence sur ce groupe). Pour les autres élèves, nous les pre­nons en charge sur le site de l’IME, dans une salle de classe dédiée. Les « cré­neaux sco­laires » varient selon les élèves : de 1 à 6 par cré­neau, de 30 minutes à 3 heures par cré­neau. Pour résu­mer, 6 élèves sont scolarisé·es 18h, les 30 autres au maxi­mum 6h15 par semaine.

Mon temps de ser­vice est celui d’une PE : 24 heures face élèves + 3 heures heb­do­ma­daires de réunions avec l’équipe plu­ri­pro­fes­sion­nelle. Les temps de for­ma­tion conti­nue sont selon les années très inégaux et sont la plu­part du temps pla­cés par la cir­cons­crip­tion sur le temps de ser­vice face élèves puisque les IEN savent que nos 3 heures de réunions heb­do­ma­daires à l’IME sont indis­pen­sables au bon fonc­tion­ne­ment du ser­vice. Je suis rat­ta­chée admi­nis­tra­ti­ve­ment à une cir­cons­crip­tion ASH et donc à une Inspectrice ASH. Mais j’ai une auto­ri­té hié­rar­chique sup­plé­men­taire dite fonc­tion­nelle puisque sou­mise au règle­ment inté­rieur de l’IME dans lequel je travaille.

Quelles sont les limites de la prise en charge en ins­ti­tu­tion spé­cia­li­sée que tu constates ?

Maintenant que j’ai un peu d’expérience et de recul sur l’IME, et que j’ai com­men­cé à me for­mer aux ques­tions anti­va­li­distes, je me rends compte des nom­breux écueils, dys­fonc­tion­ne­ments, limites qui me ques­tionnent beau­coup quant à ma place en tant qu’enseignante et militante.

Le men­songe institutionnel
En fait, l’IME n’est plus aujourd’hui une ins­ti­tu­tion glo­bale, totale comme elle avait été ima­gi­née. Certes, les enfants sont accueilli·es de 9h à 16h30 tous les jours (et la moi­tié des vacances sco­laires), mais le manque de moyens et les pro­blèmes de recru­te­ment de per­son­nels ont consi­dé­ra­ble­ment dégra­dé la prise en charge dite « totale ».

Par exemple, dans mon éta­blis­se­ment, il y a en moyenne 2 à 3 éducs absent·es par jour (en géné­ral 1 remplacé·e par du per­son­nel inté­ri­maire sou­vent non diplô­mé). Le poste d’orthophoniste est vacant, la pédo-psy­chiatre est pré­sente une demi-jour­née par semaine, la psy­cho­logue à 80% mais sur 3 struc­tures de l’association dif­fé­rentes, idem pour l’assistante sociale. Il y a un poste de psychomotricien·ne pour­vu par 2 professionnel·les.

En fait, cer­tains enfants/​jeunes n’ont pas l’accompagnement néces­saire sur les aspects médi­caux et sociaux. Ou bien tout le monde en interne se plaint d’une forme de « sau­pou­drage » d’accompagnement. C’est une réa­li­té peu connue, y com­pris par les familles qui ne sont par­fois pas infor­mées que leur enfant n’a plus telle ou telle prise en charge car le-la professionnel·le est absent·e et non remplacé·e ou bien que le poste est vacant. En consé­quence, on pousse à l’externalisation des soins.

Concernant la sco­la­ri­sa­tion, la réa­li­té est bien loin de l’affichage qui peut être fait depuis le point de vue de l’école ordi­naire. Les temps de sco­la­ri­sa­tion sont faibles, en moyenne 6 heures par semaine. Et par exemple, dans le pré­cé­dent IME dans lequel j’ai tra­vaillé, chaque enseignant·e avait une classe de 8 jeunes mais comme nous étions 3, 24 enfants/​jeunes étaient scolarisé·es 24 heures par semaine. Par consé­quent, plu­sieurs dizaines d’enfants/jeunes n’avaient tout sim­ple­ment jamais classe alors qu’ils-elles étaient en âge de la sco­la­ri­sa­tion obligatoire !

La mas­ca­rade de l’ouverture vers le milieu dit « ordinaire »
Dans l’IME dans lequel je tra­vaille, il y a une UEE en école élé­men­taire. Le pro­jet a été impo­sé à l’équipe ensei­gnante de l’école élé­men­taire, sans concer­ta­tion, juste « parce qu’il y avait des locaux dis­po­nibles », c’est ain­si qu’on me l’a racon­té. Dans la réa­li­té, il y a une classe qui nous est réser­vée pour les 6 élèves de l’IME, un·e enseignant·e et l’éducatrice réfé­rente. Nous avons mis en place des cré­neaux de par­tage d’activité en com­mun entre élèves de l’IME et élèves des autres classes, 30 minutes par jour. Nous par­ta­geons un temps de can­tine par semaine et les temps de récréa­tion. C’est beau­coup et si peu à la fois ! L’équipe ensei­gnante est débor­dée, les cré­neaux sont régu­liè­re­ment oubliés, nous pei­nons à assis­ter aux réunions, conseils d’école, des maître·esses. Les temps fes­tifs de l’école sont posés sys­té­ma­ti­que­ment en fonc­tion des familles de l’école, pas celles de l’IME qui de fait, ne connaissent même pas les locaux puisque nous y venons chaque jour en mini­bus depuis l’IME. Aucun temps de concer­ta­tion ne nous est don­né pour tra­vailler réel­le­ment ensemble. Nous ne fai­sons offi­ciel­le­ment pas par­tie de l’effectif de l’école, ni du côté Éducation natio­nale, ni du côté mairie.

Entrer en IME, y res­ter, ne pas en sortir…
Avant de tra­vailler en ESMS, je n’avais pas réa­li­sé à quel point les struc­tures étaient fer­mées sur elles-mêmes. Enseigner en IME, c’est tous les jours ren­con­trer un public d’élèves qu’on ne voit pas « ailleurs ». Toutes ces per­sonnes avec des corps et des com­por­te­ments « en dehors de la norme », on ne les voit pas dans la rue, au res­to, à la ter­rasse d’un café, à un concert… ou de manière si excep­tion­nelle que c’est alors « remarquable ».

Cet enfer­me­ment des enfants et jeunes handicapé·es his­to­ri­que­ment construit en France est en fait légi­ti­mé par un dis­cours des ins­ti­tu­tions. La direc­tion du pre­mier IME dans lequel je tra­vaillais était claire sur ce sujet en réunions ins­ti­tu­tion­nelles. En gros, les IME récu­pèrent les élèves handicapé·es qui ont été cassé·es par l’école ordi­naire, donc on ne va pas les y remettre, cela trau­ma­ti­se­rait les jeunes et les familles qui ont des expé­riences dou­lou­reuses sur ce sujet. Donc on les garde ! Et ce dis­cours est inté­rio­ri­sé par les professionnel·les qui tra­vaillent en IME et qui, pour beau­coup, ne peuvent que faire le constat d’une école ordi­naire qui n’a de toutes façons pas les moyens actuel­le­ment de les accueillir.

De ce fait, les « retours » à l’école, les ini­tia­tives pour des sco­la­ri­tés par­ta­gées abou­tissent très rare­ment, tout le monde se satis­fai­sant d’avoir « enfin » la place en IME. C’est par­ti­cu­liè­re­ment vrai pour les familles qu’on a convain­cues que l’institution était la seule pos­si­bi­li­té de prise en charge pour leur enfant, la plus adap­tée. Enfin, les enfants partent le matin et rentrent le soir à la mai­son, « comme les autres ». Enfin les mamans peuvent envi­sa­ger de retrou­ver du tra­vail, enfin, une ins­ti­tu­tion a dit « oui » pour l’enfant.

Mais en réa­li­té, dans cette bulle désor­mais si sélec­tive que peut repré­sen­ter un IME, per­sonne n’en sort. J’ai vu des adultes âgé·es de 35 ans qui étaient arrivé·es dans la struc­ture à l’âge de 8 ans !

La ques­tion de « l’après IME » est un tabou extrê­me­ment com­pli­qué dans l’institution spé­cia­li­sée, pour les professionnel·les, les familles. Il y a en réa­li­té très peu de solu­tions pour les jeunes et les adultes en IME. D’autres types de struc­tures existent : IMPro, foyers de vie…

Mais les « pas­sa­tions » se font au compte-goutte, sou­vent dans des condi­tions impo­sées aux familles (« une place se libère dans 48h donc untel par demain », c’est ce que je constate régu­liè­re­ment là où je tra­vaille actuel­le­ment). Et lorsque les situa­tions d’enfants, de jeunes sont dégra­dées, faute d’accompagnements, de soins, de per­son­nels, il n’est pas rare qu’après l’IME, ce soit « retour à la mai­son ». De ce point de vue, les annonces gou­ver­ne­men­tales sont fortes (exemple des « 50000 solu­tions » annon­cées en 2023) mais sur le ter­rain, il n’en est rien !

Le tri social des institutions
De mon expé­rience pro­fes­sion­nelle depuis 6 ans en IME, le constat d’analyse est sans appel. Dans les IME, les enfants et jeunes qui sont présent·es sont très mas­si­ve­ment issu·es de familles mono­pa­ren­tales (absences, rup­tures avec le père), pro­ve­nant de milieux popu­laires voire extrê­me­ment défa­vo­ri­sés socia­le­ment et éco­no­mi­que­ment, avec une majo­ri­té d’enfants racisé·es.

J’ai fait mes petits cal­culs récem­ment pour véri­fier si sta­tis­ti­que­ment, on retrouve ces obser­va­tions faites sur le ter­rain. Prenons un indi­ca­teur, les enfants sui­vis par l’ASE (aide sociale à l’enfance).

11,4% des enfants d’IME sont pris en charge par l’ASE
4,4% des enfants sco­la­ri­sés dans le 1er et 2nd degré sont pris en charge par l’ASE
Les don­nées sont sans appel…

Effectivement, là où je tra­vaille, beau­coup d’enfants et d’adolescent·es sont en situa­tions de grande pré­ca­ri­té (loge­ment, papiers d’identités, par­cours migra­toires trau­ma­tiques, accès à la san­té, maî­trise du fran­çais oral et écrit…).

L’analyse que j’en fais pour l’instant c’est que les familles qui ont un capi­tal éco­no­mique, cultu­rel et sco­laire éle­vé connaissent davan­tage le sys­tème sco­laire et ses logiques d’orientation. Elles font davan­tage de démarches pour main­te­nir une sco­la­ri­té dans l’ordinaire le plus pos­sible et ont accès à des prises en charge exter­na­li­sées (soins médi­caux ou para­mé­di­caux, éducateur·trices spécialisé·es à domi­cile, AESH pri­vées pour l’école…) coû­teuses qui per­mettent d’aider à ce maintien.

Pour les familles n’étant pas dans cette situa­tion, l’IME est la solu­tion « sym­bo­li­que­ment » obligatoire.

Le silence assour­dis­sant des per­sonnes concernées
Je ne sou­haite pas géné­ra­li­ser ici mon pro­pos car il convient de pré­ci­ser que les choses avancent sur ce point. Néanmoins, je peux attes­ter que la parole de l’enfant, à l’IME, est peu écou­tée, enten­due, com­prise par les adultes encadrant·es. Je fai­sais déjà ces constats lorsque je tra­vaillais dans les écoles dites « ordi­naires ». Sauf qu’à l’IME, les consé­quences du déni des adultes sont sou­vent bien plus terribles.

Qu’il s’agisse des choix de sco­la­ri­sa­tion, d’orientation en IME, d’emplois du temps au sein de l’IME… les enfants sont glo­ba­le­ment peu consulté·es, par­ti­cu­liè­re­ment lorsqu’il y a des dif­fi­cul­tés liées au langage.

Par exemple, lorsque des pro­jets sont mis en place à l’IME (spor­tifs, cultu­rels…), ce sont les adultes qui prennent les déci­sions quant à la consti­tu­tion des groupes de participant·es. Certes, les déci­sions sont prises au regard des objec­tifs défi­nis dans le pro­jet de l’enfant. Mais dans la réa­li­té, il s’agit sou­vent d’adapter les contraintes logis­tiques et RH de l’IME à l’emploi du temps de l’enfant.

L’aspect le plus inac­cep­table dans ce fonc­tion­ne­ment enfan­tiste se révèle dans la prise en compte de la parole des enfants lorsqu’ils-elles s’expriment sur des vio­lences intra-fami­liales et/​ou sexuelles subies. J’ai assis­té à plu­sieurs situa­tions d’enfants en dan­ger pour les­quels on a :

  • Remis en cause les paroles de l’enfant
  • Minimisé la parole de l’enfant
  • Refusé de faire un signalement/​une infor­ma­tion préoccupante
  • Tardé à faire un signalement/​une infor­ma­tion préoccupante
  • Finalement pas trai­té la situa­tion connue par tous·tes les professionnel·les

Certes, la ques­tion des vio­lences faites aux enfants concerne tous les milieux dans les­quels évo­lue un·e enfant (famille, école, loi­sirs, ins­ti­tu­tions…). Mais par exemple, « 9 % des femmes han­di­ca­pées déclarent avoir été vic­times de vio­lences phy­siques ou sexuelles au cours des deux années pré­cé­dant l’en­quête, soit 3,2 points de plus que les femmes non han­di­ca­pées. À âge et situa­tion com­pa­rable, l’é­cart est de 4,8 points ».

Ou encore « Les femmes en situa­tion de han­di­cap sont au moins deux à trois fois plus sus­cep­tibles que les autres femmes de subir des vio­lences, notam­ment par la famille, les par­te­naires intimes, les soi­gnants et les éta­blis­se­ments institutionnels ».

Ces chiffres sont désor­mais connus de tous·tes, et en tant que professionnel·les de l’éducation cela doit nous inter­ro­ger et nous obli­ger à la prise en compte sys­té­ma­tique de la parole de l’enfant en IME comme ailleurs.

6.8 - Témoignage d’une enseignante spécialisée en UEE (Unité d’enseignement externalisée)

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Je témoigne ici d’une expé­rience péda­go­gique, fon­da­trice dans mon par­cours pro­fes­sion­nel, mili­tant et de vie. Je raconte la dyna­mique réflexive autour du concept d’inclusion dans laquelle m’ont enga­gée les élèves que j’accompagnais alors. Consciente que du contexte par­ti­cu­lier, voire limite, ici évo­qué, je n’ai pas la pré­ten­tion d’une démarche transférable.

Par ce récit, je par­tage un pro­ces­sus de ren­contre avec mes élèves et com­ment celui-ci est venu bous­cu­ler mes repré­sen­ta­tions, géné­rer un ques­tion­ne­ment sur le fon­de­ment de mes bonnes inten­tions péda­go­giques et l’orientation du tra­vail pres­crit. Génératrice d’inconfort, cette expé­rience m’a obli­gée à com­po­ser avec le réel et en pre­mier celui d’élèves invisibilisé·es, expert·es de leurs condi­tions, les mieux placé·es pour nous invi­ter, éducateur·rices, à co-ima­gi­ner des pra­tiques inclu­sives plus incarnées.

Pendant cinq ans, j’ai ensei­gné auprès d’enfants avec poly­han­di­cap, IMC, troubles moteurs, troubles asso­ciés et/​ou mala­dies rares et inva­li­dantes, au sein de l’Unité d’Enseignement d’un IEM-EEAP , au départ, dans le cadre de la for­ma­tion CAPPEI. Ainsi, j’étais volon­taire pour tra­vailler spé­ci­fi­que­ment auprès d’enfants en situa­tion de han­di­cap sans avoir envi­sa­gé le public qui m’attendait.

Avant le Cappei, des lec­tures, ren­contres et quelques expé­riences en ESMS m’avaient ame­née à me posi­tion­ner du côté du modèle social du han­di­cap. Ce modèle induit de pen­ser le han­di­cap comme une construc­tion sociale qui sépare les per­sonnes et crée les caté­go­ries valides et inva­lides en oppo­si­tion au modèle médi­cal, encore puis­sant en France, qui a ancré une vision indi­vi­dua­li­sée et natu­ra­liste du handicap.

Dans l’histoire récente, les mou­ve­ments sociaux et l’influence inter­na­tio­nale, ont par­ti­ci­pé à la pri­mau­té du modèle social du han­di­cap sur le modèle médi­cal dans les dis­cours et les ins­truc­tions offi­cielles fran­çais. Progressivement, l’émergence d’un regard davan­tage cen­tré sur les contextes et les envi­ron­ne­ments géné­rant des situa­tions de han­di­cap, au détri­ment du regard stig­ma­ti­sant sur les indi­vi­dus à répa­rer car « por­teurs » de han­di­cap, incite à s’emparer du pro­jet inclu­sif et du concept d’accessibilité uni­ver­selle pour une par­ti­ci­pa­tion de tou·tes à la vie en socié­té, dans toutes ses dimen­sions. Il n’empêche que l’écart reste immense entre les inten­tions offi­cielles et les réa­li­tés de ter­rain. Au-delà des besoins criants de moyens humains et maté­riels, il y a tout un tra­vail de décons­truc­tion de l’autorité du modèle médi­cal à pour­suivre. Se posi­tion­ner du côté du modèle social implique en effet d’interroger les repré­sen­ta­tions qui par­ti­cipent de cette construc­tion sociale et les sépa­ra­tions sym­bo­liques et maté­rielles entre les caté­go­ries (valide/​invalide) tou­jours opé­rantes. Penser le modèle social du han­di­cap oblige à pen­ser le vali­disme, à savoir le sys­tème qui place les per­sonnes valides comme la norme sociale et qui légi­time les dis­cri­mi­na­tions envers les per­sonnes assi­gnées dans une posi­tion invalide.

À mon arri­vée à l’IEM-EEAP, il ne m’a tou­te­fois pas été pos­sible d’incarner les convic­tions que je bran­dis­sais haut et fort. L’écart entre ma pos­ture théo­rique et la manière avec laquelle j’accueillais ce que je décou­vrais était trou­blant : Je per­ce­vais d’abord et seule­ment les corps au tra­vers des limi­ta­tions motrices, des para­ly­sies, des hypo­to­nies, des appa­reillages ortho­pé­diques et res­pi­ra­toires, des cris, des cris sans les mots, des mots qui ne se récu­pèrent pas, des dif­fi­cul­tés d’élocution, des convul­sions, des fausses routes, des couches et des odeurs, des regards non adres­sés, du bavage, des intru­sions par diverses sondes, de l’énigme des lésions céré­brales, de la mala­die infan­tile dégé­né­res­cente… Médusée, je décou­vrais la grande dépen­dance, les vies cachées de per­sonnes dont on ne soup­çonne pas l’existence, au dehors des ins­ti­tu­tions fran­çaises. Coincée dans la peur de l’étrange et de l’étrangeté, je ne voyais pas tout à fait mes élèves comme des per­sonnes, je les objec­ti­vais par leurs limi­ta­tions et ce, de manière frag­men­tée. Une col­lègue che­vron­née m’avertit : « Tu vas voir, avec ces enfants, il faut avoir le feu sacré. Si tu ne l’as pas, il fau­dra pas­ser à autre chose. »

La plu­part de mes élèves étaient non-oralisant·es voire ne com­mu­ni­quaient peu ou pas. Iels étaient en grande dif­fi­cul­té pour expri­mer de l’intentionnalité, mani­pu­ler et se mou­voir. Tout droit sor­tie de dix ans d’enseignement en mater­nelle, où les enfants bougent et s’affirment à mesure qu’iels inves­tissent les lan­gages, qu’allais-je donc pou­voir pro­po­ser à ces enfants qui m’apparaissaient emmuré·es dans leur corps et contenu·es par leurs appa­reillages ? Je man­quais d’éclairage pour construire des situa­tions péda­go­giques inté­res­santes et adap­tées dans ce contexte hété­ro­gène et com­plexe. En com­pa­rai­son au tra­vail indi­vi­dua­li­sé de mes col­lègues rééducateur·rices, en quoi mon inter­ven­tion, non experte, pou­vait trou­ver de la légi­ti­mi­té ? Clairement, ma créa­ti­vi­té péda­go­gique se trou­vait entra­vée par les limi­ta­tions appa­rentes, et je me per­sua­dais de leur fixi­té intrin­sèque (me concer­nant : mes affects, mon igno­rance, et concer­nant mes élèves, leur mode appa­rem­ment étrange d’accès/non-accès au monde) et extrin­sèque (le manque d’accompagnement humain, d’adaptation ergo­no­miques de l’espace, de for­ma­tion, de connais­sances acces­sibles, de modèle). Bref, ni la grâce ni le feu sacré ne sem­blaient m’avoir touchée.

Accrochée à mes convic­tions de départ, je refu­sais qu’une sen­si­bi­li­té ou un don eurent été néces­saires pour construire une pré­sence avec ces élèves plus qu’avec les autres. Il m’était impos­sible de céder au prin­cipe du feu sacré qui vali­dait une vision défi­ci­taire du han­di­cap et empê­chait de recon­naître ces élèves à éga­li­té d’humanité avec les autres enfants jusqu’ici rencontré·es.

Je cher­chais : Pourquoi la rela­tion était plus com­pli­quée, qu’est-ce qui m’empêchait de consi­dé­rer ces enfants autre­ment que depuis leurs corps « abî­més » ? Étais-je défi­ni­ti­ve­ment une sale vali­diste ? J’ai pen­sé : L’enfermement et l’invisibilisation des per­sonnes en situa­tion de han­di­cap choi­sis et construits par la socié­té fran­çaise dans les ins­ti­tu­tions spé­cia­li­sées ren­force un « rap­port d’altérité radi­cal au han­di­cap » (Ployé, A., 2021). Je n’étais ain­si pas seule res­pon­sable des repré­sen­ta­tions qui me tra­ver­saient et peut-être alors allais-je pou­voir les dépasser.

Par un patient tra­vail d‘écriture expres­sive, j’ai ten­té d’identifier ce que je pro­je­tais sur les élèves, leurs parents, et leur envi­ron­ne­ment médi­ca­li­sé. Il s’agissait de cher­cher les effets de la fra­gi­li­té et de l’étrange per­çue chez l’autre, de cher­cher les racines de mon dégoût, de ma pitié et de mon misé­ra­bi­lisme. Être tra­ver­sée par tout cela n’est pas très glo­rieux, c’est violent, mais c’eût été une erreur de me consi­dé­rer seule maçonne des murs de sépa­ra­tion d’avec ces élèves. Il fal­lait me sou­ve­nir, depuis la concep­tion sociale du han­di­cap, que je n’étais qu’un maillon d’une socié­té héri­tière et pro­duc­trice de rap­port sociaux de han­di­cap, emprunts de domi­na­tion. Pour autant, s’il était inutile de m’attribuer la mater­ni­té de ces affects, j’avais la res­pon­sa­bi­li­té de les mettre à jour pour les trans­for­mer, c’est-à-dire, comme dans une pers­pec­tive fémi­niste, de ne pas faire l’impasse sur le tra­vail de décons­truc­tion. Doucement, je com­men­çais ain­si à dévoi­ler, pen­ser et assu­mer ce qui ne l’est pas tout à fait mais qui conti­nue d’agir, dans une socié­té qui se vou­drait déjà inclu­sive. On peut tou­te­fois regret­ter que ce mou­ve­ment de décons­truc­tion repose sur la bonne volon­té indi­vi­duelle et se réa­lise de manière iso­lée et il va sans dire que l’absence d’analyse de pra­tique dans un tel éta­blis­se­ment est plus que problématique.

S’il est vrai que j’ai réus­si ain­si à agir sur mes propres résis­tances à la rela­tion, la part des élèves dans l’émergence de celle-ci a été déter­mi­nante. Ce sont elleux, in fine, qui ont ouvert le che­min de la rela­tion, notam­ment quand il m’a fal­lu arti­cu­ler ma pra­tique d’enseignante spé­cia­li­sée à la pers­pec­tive inclusive.

La deuxième année, en plus des temps de classe en interne auprès des enfants avec poly­han­di­cap, j’intervenais à mi-temps, en externe, au sein de l’UEE rat­ta­chée à l’école proche de l’IEM-EEAP. Chaque matin, j’accueillais dans une salle dédiée, sept enfants de l’IEM. Les attentes ins­ti­tu­tion­nelles concer­nant l’UEE étaient claires. Je devais déve­lop­per les inclu­sions par­ti­cu­liè­re­ment indi­vi­duelles (valo­ri­sées car per­çues comme plus sco­laires), construire des actions de sen­si­bi­li­sa­tion sur le han­di­cap, et enfin pour­suivre le tra­vail de convic­tion auprès des col­lègues enseignant·es et rééducateur·ices pour accom­pa­gner le chan­ge­ment vers l’inclusion et la dés­ins­ti­tu­tio­na­li­sa­tion. Les deux ensei­gnantes de l’UEE qui m’avaient pré­cé­dée s’étaient atte­lées à appli­quer ce tra­vail pres­crit. Ainsi, tou·tes les élèves se joi­gnaient à la cho­rale de l’école, les élèves aux pro­fils les plus sco­laires béné­fi­ciaient de temps d’inclusion indi­vi­duelle et des actions de sen­si­bi­li­sa­tion au han­di­cap étaient réa­li­sées chaque année par les professionnel·les de l’IEM-EEAP aux élèves des classes de l’école.

Entre ce que mes col­lègues ensei­gnantes spé­cia­li­sées m’avaient racon­té du génial de l’affaire qui roule et ce que j’ai obser­vé à mon arri­vée, il y avait comme un déca­lage malai­sant. Il est impor­tant d’indiquer que les enfants se ren­daient seul·es en inclu­sion indi­vi­duelle, l’aide humaine res­tant sur l’UEE afin d’assurer les soins. Cela limi­tait les pos­si­bi­li­tés d’adaptation et de com­pen­sa­tion pour assu­rer la par­ti­ci­pa­tion des élèves inclus·es. Ainsi, en inclu­sion indi­vi­duelle, mes élèves étaient accueilli·es en auditeur·rices libres, quand bien même ce qui était abor­dé n’était pas du tout adap­té à leur par­cours d’apprentissage et/​ou à leurs besoins édu­ca­tifs par­ti­cu­liers. Les col­lègues qui m’avaient pré­cé­dée me ras­su­raient : « Ne t’inquiète pas, ce qui compte, c’est l’inclusion sociale, iels sont content·es d’aller dans la classe, c’est ça qui compte. »

Effectivement, iels étaient content·es. Mais que vivaient-iels tout à fait ? Étaient-iels content·es ou se conten­taient-iels de la place qu’on leur concé­dait ? Les enfants de l’IEM étaient là, à l’école, allaient en inclu­sion mais n’y appre­naient pas ou rien. Il aurait fal­lu co-construire les inclu­sions mais les obs­tacles se révé­laient multiples.

Je ne pou­vais pas assu­mer cette « forme de sco­la­ri­sa­tion se satis­fai­sant d’une inté­gra­tion de l’élève à besoins édu­ca­tifs par­ti­cu­liers fai­sant de cel­leux-ci des élèves qui sont « dans l’école », mais qui ne sont pas membres « de l’école » » (Foreman, 2001 ; Hegarty, 1993). Je déci­dais alors de sus­pendre les inclu­sions, le temps de trou­ver des pistes de par­ti­ci­pa­tion inté­res­santes pour mes élèves, consciente de me pla­cer en défaut par rap­port au tra­vail prescrit.

Les col­lègues PE par­ta­geaient tou·tes leur admi­ra­tion : « Moi, je ne pour­rais pas tra­vailler avec tes élèves, iels me font mal au cœur, quand je les vois dans la cour pei­ner à mar­cher, pei­ner avec leur fau­teuil. Et ton petit là, il a une mala­die ? Et celui avec la machine pour res­pi­rer aus­si ? Heureusement qu’il y en a qui peuvent. Toi, tu as la fibre, ça se sent. »

Partant de là, je retrou­vais ce que j’avais moi-même res­sen­ti, à savoir le regard défi­ci­taire et vul­né­ra­bi­liste du modèle médi­cal et à nou­veau l’idée du feu sacré. Je com­pre­nais qu’à ce stade, le rap­port social de han­di­cap res­tait impen­sé et impen­sable. Comme on ne peut pas pro­vo­quer leur petite révo­lu­tion à la place des autres, j’ai concen­tré mon atten­tion sur les élèves et leur manière de se vivre à l’école.

Le moment le plus atten­du était la récréa­tion. Mes élèves la récla­maient et y par­taient gaie­ment. J’y obser­vais les moda­li­tés de rela­tions et non-rela­tions éta­blies avec les autres. Du côté des élèves de l’école, je remar­quais les CP s’approcher de M. pour jouer à se faire peur avant de repar­tir en hur­lant. Lorsqu’il y avait un pro­blème, on venait me voir pour me par­ler des « zan­di­ca­pés », sans recherche auto­nome de régu­la­tion. Adultes et enfants me par­laient d’elleux, devant elleux. Il y avait autant de gestes de sou­tien qui s’imposaient à mes élèves sans qu’elleux n’aient expri­mé de demande d’aide (pous­ser les fau­teuils, ramas­ser à leur place un objet tom­bé). Je ne pou­vais m’empêcher de faire un lien entre cer­tains céré­mo­nials de poli­tesse à l’initiative d’enfants et la condes­cen­dance dont les adultes sont capables dans les inter­ac­tions avec des per­sonnes dési­gnées han­di­ca­pées. Les enfants de l’école étaient acculturé·es aux actions de sen­si­bi­li­sa­tion au han­di­cap, conçues dans un esprit de caté­chisme ver­ti­cal. Je pen­sais : Donnons-nous le droit aux enfants d’exprimer leur rap­port d’altérité (radi­cale) au han­di­cap ? Les adultes n’attendent-iels pas des enfants une atti­tude d’emblée décons­truite qu’elleux-même n’ont pas encore atteinte ?

Du côté de mes élèves, je remar­quais des errances, une frus­tra­tion puis­sante face à la dif­fi­cul­té de par­ti­ci­per aux jeux col­lec­tifs, de la pré­ci­pi­ta­tion, de la colère d’être incompris·e/incompréhensible, de l’expulsion de cer­tains appa­reillages, de l’évitement de cer­taines inter­ac­tions et beau­coup, beau­coup de bagarre.

Lorsque nous reve­nions en classe, les élèves étaient emprunt·es d’une frus­tra­tion qui n’avait pu être adres­sée. En réponse, j’ai pro­po­sé un temps quo­ti­dien spé­ci­fique, la papote récré. Par la conver­sa­tion cri­tique, issue de la péda­go­gie d’initiation, je déci­dais de par­tir de ce qui mobi­li­sait les enfants de l’UEE, à savoir les dif­fi­cul­tés ren­con­trées pour par­ti­ci­per au temps de récréa­tion. Converser ensemble était loin d’être envi­sa­geable pour ces élèves. Après un accueil enthou­siaste, L. a réagi, fâché, à l’ouverture de la pre­mière papote récré : « Nous pas par­ler, pas possible ! ».

Petit à petit, le recours à dif­fé­rents lan­gages (danse, parole et CAA, étayage par la pro­duc­tion d’hypothèses, des­sin codés, car­to­gra­phie, théâtre, boîtes à his­toire), leur a per­mis d’investir des formes de récits acces­sibles et de racon­ter avec grand sérieux les nœuds rela­tion­nels ren­con­trés pen­dant les épi­sodes de récréa­tion. Puis, les élèves, peut-être rassuré·es quant à leur capa­ci­té de nar­ra­tion, ont inves­ti leurs outils res­pec­tifs de com­mu­ni­ca­tion alter­na­tive, n’ayant plus sys­té­ma­ti­que­ment besoin de recou­rir aux autres formes de récit et béné­fi­ciant d’une soli­da­ri­té gran­dis­sante de la part des pairs plus auto­nomes, qui s’associaient à la pro­duc­tion d’hypothèses pour les enfants non-oralisant·es, réa­li­sée exclu­si­ve­ment par mes soins au départ. Ensemble, les enfants cher­chaient à construire du récit sin­gu­lier et com­mun de leur vécu social sco­laire. Iels reve­naient chaque jour déçu·es, frustré·es de vivre des expé­riences éloi­gnées de ce qu’iels avaient espé­ré. À par­tir de ces décep­tions, nous recen­sions les pro­blèmes, les obs­tacles. De là, des ques­tions émer­geaient et je m’attachais à mobi­li­ser le groupe pour encou­ra­ger l’émergence d’une recherche col­lec­tive en favo­ri­sant l’appui sur les réfé­rences com­munes de l’histoire par­ta­gée et cumu­lée du groupe. Est-ce qu’on peut obli­ger quelqu’un·e à être notre copain·ine ? Est-ce que c’est pareil de rire avec les autres et de rire des autres ? Comment faire pour mon­trer qu’on n’est pas d’accord, si on ne peut pas dire ? ….

Enseignante spé­cia­li­sée, je trou­vais alors la piste d’une posi­tion qui me sem­blait por­teuse, celle de média­trice cher­chant à sou­te­nir les élèves pour qu’iels trouvent des moyens de par­ti­ci­pa­tion à ce temps par­ti­cu­lier de récréa­tion, ce temps où tou·tes les enfants se retrouvent, éloigné·es du contrôle social, (re)trouvent un peu de liber­té d’agir et d’interagir spon­ta­né­ment, par­fois en déca­lage avec les com­por­te­ments dociles et nor­més exi­gés des adultes.

De ques­tions assez géné­ra­listes, les papotes récré ont avan­cé vers des ques­tion­ne­ments plus arti­cu­lés et plus étroi­te­ment liés à la condi­tion sin­gu­lière des élèves de l’UEE dont voi­ci un exemple :

Un jour, P, de retour de récréa­tion, n’a plus ses chaus­sures ortho­pé­diques mais ses chaus­sures du commerce.

L. com­mente : « pas pos­sible, pas les bonnes. ».

P. détourne la tête, pas vu pas pris.

Mais L. insiste : « ce n’est pas normal ! »

P. au moyen de son tableau de com­mu­ni­ca­tion nous explique qu’il ne veut plus mettre ses chaus­sures ortho­pé­diques, car elles ne sont pas pareilles.

Je me tourne vers le groupe et demande : « Et vous, est ce que ça vous arrive aus­si de ne plus vou­loir mettre vos chaussures ? ».

Le groupe s’engage dans une longue conver­sa­tion ponc­tuée d’affirmations, de ques­tions sans réponses et sur­tout de l’incidence du regard des autres enfants.

« Nos chaus­sures, elles sont pas pareilles, elles sont moches, on veut des chaus­sures comme les autres ».

Des com­pa­rai­sons avec les fau­teuils, les attelles, les coquilles arrivent pro­gres­si­ve­ment. Comme d’habitude, j’écris toutes les ques­tions au tableau, à mesure. À la fin de la conver­sa­tion, il n’y a plus de place sur le tableau, les élèves sont impressionné·es de tout ce qui est écrit.

Je leur par­tage : « Les chaus­sures, les coques et les attelles, c’est un sujet impor­tant, ça vous inté­resse. Qui pour­rait aider à répondre à vos ques­tions, à com­prendre pour­quoi on vous demande de les porter ? ».

Iels finissent par s’accorder sur l’expertise des ortho­pro­thé­sistes qu’iels connaissent bien car ceux-ci sont pré­sents tous les lun­dis, au centre. On décide de les sol­li­ci­ter mais avec la forme qui convient : Une lettre est rédi­gée en dic­tée à l’adulte et leur est envoyée. Le lun­di sui­vant, les ortho­pro­thé­sistes enthou­siastes, nous répondent en direct en pro­po­sant un ren­dez-vous à leur cabinet.

Une occa­sion en or pour don­ner du sens aux appa­reillages que les enfants n’acceptent pas de manière linéaire. Le jour J, une visite « mise en situa­tion » nous atten­dait. Les enfants ont enfi­lé des blouses et se sont gri­més en ortho­pro­thé­sistes réa­li­sant toutes les étapes de la fabri­ca­tion des attelles, des coques et des chaussures.

L’attention n’a pas été évi­dente à main­te­nir tout au long de la visite mais les élèves ont tou·tes attra­pé quelque chose per­met­tant à pos­té­rio­ri une recons­ti­tu­tion nar­ra­tive de l’expérience. Surtout, iels ont eu des réac­tions spon­ta­nées éton­nantes : « Maintenant, on aime nos chaus­sures, on sait pour­quoi. ». « Maîtresse, il faut qu’on dise aux enfants de l’école de venir. Il faut qu’on leur fasse la visite pour qu’ils com­prennent nos chaussures. ».

À la suite de cet épi­sode, P. a remis ses chaus­sures ortho­pé­diques sans pro­blème, les enfants de l’UEE ont invi­té les autres enfants de l’école et le pro­jet d’une nou­velle visite chez les ortho­pro­thé­sistes a démar­ré. À la suite aus­si, les papotes récré ont été plus mar­quées par des ques­tions réson­nantes : L, atteint de myo­pa­thie de Duchêne a pu racon­ter sa détes­ta­tion du fau­teuil, étape pro­chaine de l’évolution de sa mala­die. M. a rebon­di en disant que lui aus­si détes­tait les fau­teuils. G., déjà en fau­teuil, a pleu­ré en expli­quant qu’elle trou­vait ça très méchant, parce que son rêve, c’était de mar­cher mais qu’elle ne pour­rait jamais.

Je n’ai pas l’espace ici pour détailler toutes les inter­ac­tions et dépla­ce­ments que ces inter­ven­tions ont géné­rés mais ce qui sem­blait sti­mu­lant pour les enfants, c’était d’avoir inves­ti pro­gres­si­ve­ment cette papote récré pour par­ler leur condi­tion et les prises de conscience de leurs écarts à la norme. À mesure que ces conver­sa­tions s’étoffaient et que des pro­jets de ce type en décou­laient, il aurait été inté­res­sant de mener une étude eth­no­gra­phique afin d’objectiver l’éventuelle inci­dence de leur effet sur la qua­li­té des rela­tions entre enfants en récréation.

Si ces conver­sa­tions se sont dérou­lées en non-mixi­té, je n’ai pas pen­sé celle-ci comme une fin en soi, mais plu­tôt en réfé­rence aux luttes, qui la mobi­lisent comme un outil pour viser à terme une mixi­té éga­li­taire. Une simple étape donc, qui n’empêche pas la pra­tique de la conver­sa­tion cri­tique en mixi­té à l’école afin, par exemple, de pro­vo­quer une pre­mière recherche néces­saire à la rela­tion entre enfants com­mu­ni­quant dif­fé­rem­ment : Comment conver­ser ensemble quand on ne com­mu­nique pas pareil ? Une remarque me semble impor­tante : Si la non-mixi­té est un outil d’émancipation poten­tiel pour les enfants désigné·es handicapé·es, quid de l’accès à ce type d’espace pour les nombreux·ses enfants inclus·es de manière individuelle ?

Les inclu­sions ont repris, petit à petit. En inclu­sion inver­sée, mes élèves invi­taient les autres à par­ti­ci­per à des pro­jets, que, du fait de l’hétérogénéité des BEP au sein de l’UEE, nous co-conce­vions en acces­si­bi­li­té uni­ver­selle. À mesure qu’iels appre­naient à par­ler leur condi­tion, mes élèves deve­naient en effet capables de par­ti­ci­per à la réflexion à prio­ri et à pos­te­rio­ri autour des adap­ta­tions les concer­nant indi­vi­duel­le­ment et collectivement.

Modestement, je ne peux que remer­cier mes élèves qui m’ont invi­tée à ne plus les regar­der avec ce qui me sem­blait leur man­quer mais à davan­tage encou­ra­ger l’expression de leur curio­si­té, ter­reau de l’activation de leurs res­sources ! Grâce à leur déter­mi­na­tion, j’ai pu trou­ver une place d’enseignante spé­cia­li­sée, ali­gnée à mes convic­tions, celle de sou­tien à la recherche reven­di­ca­tive et col­lec­tive des condi­tions de par­ti­ci­pa­tion sociale de tou·tes les élèves à l’École.

7 - Ecole et handicap : comparaisons internationales…

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7.1 - Historique des politiques éducatives liées au handicap dans le monde

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Les pre­mières réponses aux besoins des per­sonnes handicapées

L’éducation des per­sonnes en situa­tion de han­di­cap a long­temps repo­sé sur des approches ségré­ga­tives. Avant le XXᵉ siècle, ils et elles étaient sou­vent excluEs des sys­tèmes édu­ca­tifs tra­di­tion­nels. Les pre­mières réponses étaient prin­ci­pa­le­ment cari­ta­tives ou médi­cales, consi­dé­rant les per­sonnes han­di­ca­pées comme des êtres à soi­gner ou à assis­ter. Les pre­mières ins­ti­tu­tions spé­cia­li­sées, créées au XIXᵉ siècle, visaient à réédu­quer et insé­rer ces « popu­la­tions » dans la socié­té. Cependant, ces éta­blis­se­ments fonc­tion­naient en paral­lèle des sys­tèmes édu­ca­tifs géné­raux, ren­for­çant la ségrégation.

Les débuts de la nor­ma­li­sa­tion et de l’intégration

Un tour­nant signi­fi­ca­tif inter­vient dans les années 1960 – 1970 avec l’émergence de mou­ve­ments en faveur de la nor­ma­li­sa­tion et de l’intégration. Inspirés par des ini­tia­tives pion­nières en Suède et aux États Unis, ces cou­rants visaient à rap­pro­cher les condi­tions de vie des per­sonnes han­di­ca­pées de celles du reste de la popu­la­tion. La nor­ma­li­sa­tion implique que les per­sonnes han­di­ca­pées puissent vivre et apprendre dans des condi­tions aus­si proches que pos­sible de celles de leurs pairs. Par exemple, aux États-Unis, la Loi sur l’éducation des enfants handicapéEs de 1975 (Individuals with Disabilities Education Act) a garan­ti le droit à une édu­ca­tion publique gra­tuite et adap­tée grâce aux luttes d’émancipation orga­ni­sées par les per­sonnes concer­nées elles-mêmes.

En Europe, des pays comme l’Italie et la France ont com­men­cé à modi­fier leurs poli­tiques. En France, la loi d’orientation de 1975 a recon­nu le droit à l’éducation pour touTEs les enfants handicapéEs, mais ce droit était majo­ri­tai­re­ment exer­cé dans des éta­blis­se­ments spé­cia­li­sés. En Italie, le rap­port Falcucci de 1975 a jeté les bases d’une édu­ca­tion inclu­sive, avec la sup­pres­sion pro­gres­sive des écoles spé­cia­li­sées au pro­fit de l’intégration dans les écoles ordinaires.

La décla­ra­tion de Salamanque et la notion d’éducation inclusive

Les années 1990 marquent un véri­table chan­ge­ment de para­digme avec la décla­ra­tion de Salamanque adop­tée en 1994 lors d’une confé­rence orga­ni­sée par l’UNESCO : il s’agit de pas­ser d’une prise en charge cen­trée sur les troubles ou défi­ciences à une approche foca­li­sée sur les besoins édu­ca­tifs spé­ci­fiques des élèves. Ce texte fon­da­teur prône une édu­ca­tion inclu­sive, esti­mant que les écoles ordi­naires consti­tuent le meilleur cadre pour accueillir les enfants à besoins édu­ca­tifs spé­ciaux (BES), et sont le moyen le plus effi­cace de lut­ter contre les dis­cri­mi­na­tions et de favo­ri­ser la socia­li­sa­tion et la citoyenneté.

La décla­ra­tion appelle les États à adap­ter leurs sys­tèmes édu­ca­tifs afin de répondre à la diver­si­té des besoins, affir­mant que l’inclusion est non seule­ment une ques­tion d’égalité, mais aus­si d’efficacité sociale.

D’après Marcel Calvez (2018), elle vise à encou­ra­ger l’intégration sco­laire de ces enfants et à com­battre l’exclusion dans laquelle ils sont le plus sou­vent tenus. Elle dis­pose ain­si que « les per­sonnes ayant des besoins édu­ca­tifs spé­ciaux doivent pou­voir accé­der aux écoles ordi­naires, qui doivent les inté­grer dans un sys­tème péda­go­gique cen­tré sur l’enfant, capable de répondre à ses besoins ». Cette décla­ra­tion repose sur la concep­tion d’un sys­tème édu­ca­tif devant être en capa­ci­té de répondre à la diver­si­té de carac­té­ris­tiques, d’aptitudes et de besoins d’apprentissage des enfants. Elle consi­dère que « les écoles ordi­naires ayant une orien­ta­tion inté­gra­trice consti­tuent le moyen le plus effi­cace de com­battre les atti­tudes dis­cri­mi­na­toires en créant des com­mu­nau­tés accueillantes, en édi­fiant une socié­té inté­gra­trice et en attei­gnant l’objectif de l’éducation pour tous ».

En 2006, la Convention des Nations Unies rela­tive aux droits des per­sonnes han­di­ca­pées a ren­for­cé cette vision en fai­sant de l’éducation inclu­sive un droit fon­da­men­tal (rati­fi­ca­tion par la France en 2010). L’article 24 de la conven­tion sti­pule que les États par­ties doivent garan­tir un sys­tème édu­ca­tif inclu­sif à tous les niveaux, en veillant à ce que les enfants handicapéEs puissent apprendre aux côtés de leurs pairs dans des écoles ordi­naires : les États signa­taires de la conven­tion doivent veiller à ce que « les per­sonnes han­di­ca­pées ne soient pas exclues, sur le fon­de­ment de leur han­di­cap, du sys­tème d’enseignement géné­ral » (ensei­gne­ment pri­maire et secon­daire) ; ils doivent éga­le­ment veiller à ce que les enfants han­di­ca­pés puissent « sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès dans les com­mu­nau­tés où [ils] vivent à un ensei­gne­ment pri­maire inclu­sif, de qua­li­té et gra­tuit et à l’enseignement secon­daire ». (M Calvez, 2018).

Nous note­rons ici que la ver­sion anglaise de la conven­tion uti­li­se­ra le terme d’ « inclu­sion » tan­dis que la ver­sion fran­çaise gar­de­ra le terme « inté­gra­tion » dans la tra­duc­tion du texte international.

Les évo­lu­tions récentes et la diver­si­té des approches

Trois grandes ten­dances se des­sinent dans l’histoire récente des poli­tiques édu­ca­tives liées au handicap :

  • Le pas­sage de l’approche médi­cale à l’approche sociale : Le han­di­cap est de plus en plus per­çu comme une inter­ac­tion entre les limi­ta­tions indi­vi­duelles et les bar­rières envi­ron­ne­men­tales. Cette vision pousse les sys­tèmes édu­ca­tifs à s’adapter aux besoins des élèves, plu­tôt que l’inverse.
  • La recon­nais­sance des droits : L’éducation inclu­sive est désor­mais ancrée dans les droits humains, grâce à des ins­tru­ments juri­diques inter­na­tio­naux comme la Convention des Nations Unies.
  • La diver­si­fi­ca­tion des modèles : Les pays explorent dif­fé­rentes voies pour mettre en œuvre l’inclusion, allant de la créa­tion d’unités loca­li­sées pour l’inclusion sco­laire (Ulis) en France à des approches tota­le­ment inclu­sives en Suède ou au Nouveau-Brunswick (Canada).
    Les légis­la­tions natio­nales dif­fèrent dans la manière d’organiser ces sou­tiens, car les sys­tèmes sco­laires sont influen­cés par des concep­tions dis­tinctes du han­di­cap, des fina­li­tés du sys­tème édu­ca­tif et des repré­sen­ta­tions du lien social. Cette diver­si­té de visions conduit à des approches variées, mais elles peuvent être regrou­pées selon deux approches du han­di­cap (Rapport du CNESCO de 2016, centre natio­nal d’é­tude des sys­tèmes scolaires) :
    • Approche essen­tia­liste : Le han­di­cap est vu comme une défi­cience par rap­port à une norme. Le besoin édu­ca­tif par­ti­cu­lier est donc per­çu comme étant lié à la per­sonne han­di­ca­pée, et la solu­tion réside dans la com­pen­sa­tion, la cor­rec­tion ou l’adaptation des capa­ci­tés déficientes.
    • Approche uni­ver­sa­liste : Le han­di­cap est com­pris comme une forme de diver­si­té pré­sente dans la socié­té. Plutôt que de se concen­trer sur la défi­cience indi­vi­duelle, cette approche met l’accent sur la capa­ci­té du sys­tème édu­ca­tif à être inclu­sif et à s’adapter aux dif­fé­rents pro­fils d’élèves. Le défi réside dans l’accessibilité et l’accueil des élèves, indé­pen­dam­ment de leurs particularités.

7.2 - Alors c’est comment « ailleurs » ?

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Petit rap­pel en intro­duc­tion : touTEs les enfants handicapéEs ne vont pas à l’école…

Rapport mon­dial de sui­vi sur l’éducation : « Inclusion et édu­ca­tion : tous, sans excep­tion ! » (UNESCO 2020)

» Les enfants, les ado­les­cents et les jeunes han­di­ca­pés repré­sentent 12 % des effec­tifs sco­la­ri­sés mais 15% des effec­tifs non sco­la­ri­sés. En géné­ral, la pro­ba­bi­li­té que les enfants han­di­ca­pés figurent par­mi les effec­tifs non sco­la­ri­sés est d’autant plus éle­vée que le taux d’enfants non sco­la­ri­sés est faible, ce qui semble indi­quer que les enfants han­di­ca­pés sont les plus dif­fi­ciles à atteindre (figure 3.4). Par rap­port à leurs pairs en âge de fré­quen­ter le pri­maire, le pre­mier cycle du secon­daire et le second cycle du secon­daire, la pro­ba­bi­li­té de ne pas aller à l’école est plus éle­vée d’1 point de pour­cen­tage dans le pri­maire, de 4 points de pour­cen­tage dans le pre­mier cycle du secon­daire et de 6 points de pour­cen­tage dans le second cycle du secon­daire pour les enfants han­di­ca­pés ; cette pro­ba­bi­li­té est plus éle­vée de 4, 7 et 11 points de pour­cen­tage res­pec­ti­ve­ment dans le cas des enfants souf­frant d’une défi­cience sen­so­rielle, phy­sique ou intel­lec­tuelle. Mais pour ces enfants la pro­ba­bi­li­té de n’avoir jamais été sco­la­ri­sé est 2,5 fois plus éle­vée que dans le cas des enfants sans handicap. »

Aujourd’hui, les pays dif­fèrent dans leur approche des besoins édu­ca­tifs par­ti­cu­liers (BEP) en fonc­tion de leurs concep­tions du han­di­cap et de l’in­té­gra­tion des élèves. Certains pays, comme la Belgique et l’Allemagne, adoptent une approche essen­tia­liste, consi­dé­rant le han­di­cap comme une défi­cience qui néces­site des sou­tiens et des amé­na­ge­ments spé­ci­fiques. Ces pays tendent à avoir des sys­tèmes édu­ca­tifs plus sélec­tifs, où la diver­si­té est per­çue comme une excep­tion et le redou­ble­ment est plus fréquent.

À l’op­po­sé, des pays comme la Suède et l’Irlande adoptent une approche uni­ver­sa­liste, où le besoin édu­ca­tif par­ti­cu­lier est per­çu comme une ques­tion sociale et la diver­si­té des élèves, incluant celles et ceux issuEs de milieux sociaux défa­vo­ri­sés ou avec des dif­fi­cul­tés lin­guis­tiques, est vue comme une richesse. Ces sys­tèmes édu­ca­tifs sont plus inté­gra­tifs, met­tant l’ac­cent sur l’au­to­no­mie et la par­ti­ci­pa­tion sociale des élèves. Dans ces pays, les éta­blis­se­ments sco­laires sont conçus comme des espaces de vie où les enseignantEs jouent un rôle de par­te­naires dans l’ac­com­pa­gne­ment des élèves, favo­ri­sant ain­si leur inclu­sion dans la classe.

Les pays inté­gra­tifs, comme ceux scan­di­naves, cherchent à ren­for­cer la cohé­sion sociale et à favo­ri­ser un cli­mat de confiance entre élèves et enseignantEs. En revanche, les pays ayant une approche plus essen­tia­liste tendent à iso­ler les matières ensei­gnées et à pri­vi­lé­gier les savoirs sco­laires, rédui­sant l’im­pact des acti­vi­tés péri­sco­laires et des sou­tiens à une mino­ri­té d’élèves en difficultés.

Cette diver­si­té dans les approches du besoin édu­ca­tif par­ti­cu­lier reflète les concep­tions sous-jacentes des sys­tèmes édu­ca­tifs, qui peuvent soit favo­ri­ser la cohé­sion sociale, soit iso­ler les élèves en dif­fi­cul­tés, celles et ceux qui ne sont pas « dans la norme ».

Alors que cer­tains pays pri­vi­lé­gient une sco­la­ri­sa­tion inclu­sive, où les élèves à BEP sont intégréEs dans les mêmes classes que les autres (comme en Islande ou à Malte), d’autres, comme la Grèce et le Danemark, pré­fèrent des classes spé­cia­li­sées. Certains pays, comme la Belgique, l’Allemagne ou les Pays-Bas, optent pour un milieu spé­cia­li­sé, sépa­rant les élèves à BEP des élèves traditionnelLEs. La France, quant à elle, adopte une approche mixte.

Quand le minis­tère de l’Éducation Nationale fait son « auto-pro­mo » … critique ?

Dans un col­loque de 2018 orga­ni­sé par le minis­tère de l’Éducation natio­nale, la France se pré­sente comme ins­crite dans une dyna­mique inclu­sive, en s’o­rien­tant vers un sys­tème plus acces­sible, cen­tré sur l’au­to­no­mie des élèves. Les prin­cipes abor­dés lors de la confé­rence incluent : l’ac­com­pa­gne­ment vers l’au­to­no­mie, l’im­por­tance du par­te­na­riat entre les acteurICEs éducatifIVEs et sociauxALES, la for­ma­tion ini­tiale et conti­nue des enseignantEs, ain­si que l’in­ser­tion pro­fes­sion­nelle comme étape clé de l’in­clu­sion sociale.Trois modèles natio­naux sont ana­ly­sés pour illus­trer les approches contras­tées de l’inclusion sco­laire en Europe :

Italie : Pionnière de l’intégration totale

Depuis les années 1970, l’Italie se dis­tingue par une inté­gra­tion com­plète des élèves à BES dans les écoles ordi­naires. La loi de 1977 a abo­li les écoles spé­cia­li­sées, éta­blis­sant la pré­sence d’enseignants de sou­tien dans les classes. Les muni­ci­pa­li­tés garan­tissent l’accessibilité et les écoles béné­fi­cient d’une auto­no­mie péda­go­gique pour répondre aux besoins indi­vi­duels des élèves.

Les ensei­gnants de sou­tien repré­sentent 13,2 % du per­son­nel édu­ca­tif en 2014, et leur nombre a dou­blé en une décennie.
Chaque élève béné­fi­cie d’un plan édu­ca­tif indi­vi­dua­li­sé, éla­bo­ré avec la famille et les experts, inté­grant des res­sources péda­go­giques adaptées.Malgré les défis, tels que le coût éle­vé ou l’équilibre entre inclu­sion et indi­vi­dua­li­sa­tion, l’Italie reste un modèle exem­plaire dans la mise en œuvre d’une inclu­sion généralisée.

Allemagne : Un sys­tème segmenté

En Allemagne, la ségré­ga­tion sco­laire demeure mar­quée : 54 % des élèves à BES sont orien­tés vers des écoles spé­cia­li­sées, tan­dis que 46 % par­tagent par­tiel­le­ment leur temps avec des élèves ordi­naires. Ce modèle reflète une dua­li­té entre inclu­sion par­tielle et édu­ca­tion spé­cia­li­sée, sou­vent fon­dée sur une approche médi­cale des troubles.

Les déci­sions sont prises au niveau des Länder, entraî­nant des dis­pa­ri­tés régio­nales notables.
Les Förderschulen (écoles spé­cia­li­sées) accueillent les élèves iden­ti­fiés comme ayant des troubles spé­ci­fiques, après un avis col­lé­gial incluant ensei­gnants, psy­cho­logues et parents.Malgré des efforts récents pour pro­mou­voir l’inclusion, notam­ment dans cer­taines régions comme Brême, le sys­tème édu­ca­tif alle­mand reste carac­té­ri­sé par une forte ségrégation.

Suède : Une inclu­sion quasi-totale

Depuis les années 1970, la Suède a mis en place un sys­tème inclu­sif qui intègre 99 % des élèves à BES dans des classes ordi­naires. Contrairement à d’autres pays, ces élèves ne reçoivent pas de sta­tut spé­ci­fique, et leurs besoins sont abor­dés comme une adap­ta­tion péda­go­gique universelle.

Les muni­ci­pa­li­tés, res­pon­sables des ser­vices édu­ca­tifs, béné­fi­cient de l’appui d’agences spé­cia­li­sées pour orga­ni­ser les res­sources nécessaires.
La loi de 2010 affirme que les écoles doivent répondre aux besoins de tous les élèves et col­la­bo­rer avec les ser­vices sociaux et de san­té pour sou­te­nir ceux ayant des besoins spécifiques.
Une détec­tion pré­coce des troubles, dès la petite enfance, per­met des inter­ven­tions rapides et adaptées.Ce modèle décen­tra­li­sé favo­rise une approche inté­grée de l’éducation, bien que des écoles spé­cia­li­sées existent pour cer­tains cas rares (enfants sourds, aveugles).
Enjeux et ten­sions pré­sen­tés en conclu­sion du colloque :

L’inclusion sco­laire pose des défis com­plexes, notamment :

  • Ressources et moyens : Les approches inclu­sives néces­sitent des inves­tis­se­ments consé­quents en ensei­gnants, infra­struc­tures et accompagnement.
  • Coordination ins­ti­tu­tion­nelle : La sépa­ra­tion entre les sys­tèmes sco­laires et médi­co-sociaux, comme en France ou en Allemagne, com­plique l’intégration.
  • Tensions entre inclu­sion et spé­cia­li­sa­tion : Les parents d’enfants à besoins très spé­ci­fiques plaident par­fois pour des dis­po­si­tifs spé­cia­li­sés, per­çus comme mieux adaptés.
    Pour les chercheurEUSEs du Cnesco, les dis­pa­ri­tés dans les modes de sco­la­ri­sa­tion montrent que l’in­té­gra­tion des élèves à BEP dépend lar­ge­ment des concepts édu­ca­tifs et des poli­tiques d’in­clu­sion. La for­ma­tion des enseignantEs joue un rôle clé. Certains pays (comme la Finlande, le Royaume-Uni ou le Danemark) ont une approche plus ouverte à la péda­go­gie inclu­sive, avec des pra­tiques comme le tra­vail en petits groupes ou l’a­dap­ta­tion des consignes, contrai­re­ment à des pays comme la France ou la Belgique, où ces pra­tiques sont moins fréquentes.

L’inclusion ne se limite cepen­dant pas à l’ac­cès phy­sique aux éta­blis­se­ments sco­laires, et il est cru­cial que les sou­tiens péda­go­giques aident les élèves à déve­lop­per leur auto­no­mie et à par­ti­ci­per plei­ne­ment à la socié­té. Une concep­tion de l’in­clu­sion qui se contente de garan­tir l’ac­cès aux écoles, néglige les fac­teurs sociaux et péda­go­giques qui condi­tionnent réel­le­ment la réus­site et l’in­té­gra­tion des élèves. Les pra­tiques péda­go­giques et les sou­tiens doivent être adap­tés pour garan­tir l’é­ga­li­té des chances et ne pas condam­ner les élèves à une invi­si­bi­li­té sociale.

Les ana­lyses de com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales des modèles sco­laires ont per­mis de mettre en avant trois concep­tions idéales-typiques : la concep­tion édu­ca­tive, la socio-édu­ca­tive et la socio-éco­no­mique, cha­cune ayant des impli­ca­tions dif­fé­rentes pour l’ac­cès à l’é­du­ca­tion et à l’in­té­gra­tion sociale des élèves à besoins particuliers.

  • La concep­tion édu­ca­tive : Elle repose sur une vision citoyenne de l’in­clu­sion, affir­mant que la diver­si­té enri­chit col­lec­ti­ve­ment. Elle consi­dère prin­ci­pa­le­ment le han­di­cap comme une forme d’i­nac­ces­si­bi­li­té des ins­ti­tu­tions, plu­tôt que comme une défi­cience. Cette approche met l’ac­cent sur la per­son­na­li­sa­tion des pra­tiques péda­go­giques, sou­te­nue par une légis­la­tion non dis­cri­mi­na­toire et une vision holis­tique de l’ac­ces­si­bi­li­té. Les pays comme la Norvège incarnent cette approche, avec un pro­jet indi­vi­dua­li­sé pour chaque étudiantE à BEP. Toutefois, dans un contexte éco­no­mique aus­té­ri­taire, la mon­tée du nombre d’étudiantEs et d’élèves à besoins spé­ci­fiques pour­rait engen­drer des contraintes bud­gé­taires, ris­quant de rendre l’in­clu­sion plus dif­fi­cile sans un sou­tien adéquat.
  • La concep­tion socio-édu­ca­tive : Elle relie l’in­clu­sion à une approche essen­tia­liste du han­di­cap, dans laquelle les élèves et étudiantEs sont sou­vent perçuEs comme ayant une défi­cience ou un trouble de la san­té. Les finan­ce­ments visent à com­pen­ser les inca­pa­ci­tés, mais les éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment pri­maire, secon­daire et supé­rieur ne consi­dèrent pas la diver­si­té comme un fac­teur de réus­site col­lec­tive. Les étudiantEs à BEP dépendent lar­ge­ment de l’en­ga­ge­ment per­son­nel des éducateurICEs et du sou­tien fami­lial, sou­vent en rai­son de l’ab­sence de for­ma­tion adé­quate. Cette approche abou­tit à une inclu­sion qui reste excep­tion­nelle, où l’accessibilité phy­sique prime, sans néces­sai­re­ment garan­tir une recon­nais­sance sociale ou professionnelle.
  • La concep­tion socio-éco­no­mique : Cette approche mar­chande voit l’in­clu­sion comme un moyen d’ef­fi­ca­ci­té éco­no­mique, où le han­di­cap est per­çu comme un besoin de ser­vice contri­buant à la réus­site sco­laire. Les éta­blis­se­ments édu­ca­tifs sont moti­vés par des inci­ta­tions finan­cières à ouvrir leurs portes à la diver­si­té, mais cette logique peut aus­si favo­ri­ser les uni­ver­si­tés spé­cia­li­sées, exa­cer­bant les inéga­li­tés entre les étudiantEs à BEP et le reste de la popu­la­tion. Le han­di­cap devient un vec­teur de dif­fé­ren­cia­tion et de qua­li­té, sou­vent en lien avec la concur­rence économique.

7.3 - Les grandes tendances mondiales

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En conclu­sion, l’histoire des poli­tiques édu­ca­tives liées au han­di­cap reflète une évo­lu­tion vers une plus grande inclu­sion et recon­nais­sance des droits des élèves et étudiantEs handicapéEs. Cependant, cette trans­for­ma­tion reste inégale selon les régions et les contextes sociaux, poli­tiques et économiques.

Les sys­tèmes édu­ca­tifs adoptent des approches variées face à l’éducation des élèves handicapéEs. Trois modèles prin­ci­paux se dis­tinguent désor­mais : le modèle ségré­ga­tif (type Belgique ou Allemagne), le modèle inté­gra­tif (type Italie) et le modèle inclu­sif (type Suède).

  • Modèle ségré­ga­tif : Ce modèle repose sur des éta­blis­se­ments spé­cia­li­sés qui accueillent uni­que­ment des élèves handicapéEs. Ce modèle se pré­sente comme per­met­tant une réponse adap­tée aux besoins indi­vi­duels, mais il limite sou­vent la socia­li­sa­tion et l’égalité des chances. Il demeure contraire aux textes inter­na­tio­naux concer­nant le droit des per­sonnes handicapées.
  • Modèle inté­gra­tif : Ce modèle vise à insé­rer les élèves handicapéEs dans les écoles ordi­naires tout en leur four­nis­sant un sou­tien spé­ci­fique. Ce modèle favo­rise la socia­li­sa­tion tout en pré­ser­vant une aide ciblée, mais son suc­cès dépend de la qua­li­té des res­sources finan­cières allouées.
  • Modèle inclu­sif : Le modèle inclu­sif, pro­mu par la décla­ra­tion de Salamanque, repose sur l’idée que le sys­tème édu­ca­tif doit s’adapter à la diver­si­té des élèves, et non l’inverse. Ce modèle favo­rise une éga­li­té des chances et une cohé­sion sociale accrues, mais il sup­pose des inves­tis­se­ments éle­vés et une coor­di­na­tion effi­cace entre les acteurICEs de terrain.
    D’autres approches hybrides existent, comme au Canada, où le Nouveau-Brunswick com­bine inclu­sion et sou­tien spécialisé.

La France, quant à elle, adopte un modèle mixte avec des uni­tés loca­li­sées pour l’inclusion sco­laire (Ulis) au sein des écoles ordi­naires tout en main­te­nant des espaces de vie et de sco­la­ri­sa­tion ségré­gués au sein des éta­blis­se­ments médi­co-sociaux (ESMS). Nous rap­pe­lons ici que le sys­tème sco­laire fran­çais a été remis en cause à de nom­breuses reprises concer­nant le non-res­pect des droits des per­sonnes han­di­ca­pées (ONU en 2021, Comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe en 2023, Sous-Comité des Nations unies pour la pré­ven­tion de la tor­ture en 2024).

7.4 - Les enjeux actuels entre école et handicap

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La ques­tion des moyens !
La mise en œuvre de l’inclusion sco­laire exige des inves­tis­se­ments consi­dé­rables en matière de for­ma­tion des enseignantEs, d’adaptation des infra­struc­tures et de recru­te­ment d’accompagnantEs. Dans de nom­breux pays, les moyens alloués res­tent insuf­fi­sants, com­pro­met­tant la qua­li­té de l’éducation pour les élèves à BES.

Formation des enseignantEs, de touTEs les professionnelLEs !
L’éducation inclu­sive néces­site une for­ma­tion spé­cia­li­sée pour les enseignantEs, afin qu’ils et elles puissent adap­ter leurs pra­tiques péda­go­giques à la diver­si­té des besoins. Si des pays comme l’Italie ou le Canada ont mis en place des pro­grammes dédiés, d’autres, comme la France, peinent encore à géné­ra­li­ser ces formations.

Coordination inter-ins­ti­tu­tion­nelle
Un autre enjeu clé est la coor­di­na­tion entre les dif­fé­rents acteurICEs impliquéEs : sys­tèmes édu­ca­tifs, ser­vices sociaux et sec­teur médi­co-social. Dans des pays comme la France, cette sépa­ra­tion ins­ti­tu­tion­nelle freine sou­vent la mise en œuvre effec­tive de l’inclusion. À l’inverse, la Suède montre qu’une coopé­ra­tion inter­sec­to­rielle bien orga­ni­sée peut amé­lio­rer l’évolution du sys­tème sco­laire adap­té aux besoins de touTEs.

Fin de la spé­cia­li­sa­tion, dés­ins­ti­tu­tio­na­li­sa­tion et acces­si­bi­li­té universelle
Le res­pect des droits des per­sonnes han­di­ca­pées exige d’entamer par­tout les pro­ces­sus de fer­me­ture des éta­blis­se­ments spé­cia­li­sés ségré­ga­tifs. L’accessibilité uni­ver­selle à l’école, dans les trans­ports, la san­té, la culture, la jus­tice, l’emploi, l’alimentation, la culture… dans tous les espaces de vie indi­vi­duels et col­lec­tifs doit deve­nir un enjeu prio­ri­taire de toute déci­sion poli­tique, locale, natio­nale et internationale.

Acceptation sociale, lutte contre le validisme
L’acceptation sociale des élèves handicapéEs dans les écoles ordi­naires reste actuel­le­ment un défi dans de trop nom­breux pays. La sen­si­bi­li­sa­tion, la for­ma­tion des élèves, des enseignantEs et des familles est essen­tielle pour lut­ter contre les pré­ju­gés. La lutte contre l’handiphobie, le vali­disme est essen­tielle pour garan­tir la fin des dis­cri­mi­na­tions liées au(x) handicap(s) à l’école comme ailleurs.

Bep, une appel­la­tion inclu­sive ou ségrégative ? 

L’appellation Bep pour dési­gner les élèves à besoins par­ti­cu­liers est appa­rue dans le sys­tème édu­ca­tif fran­çais à l’occasion des der­nières réformes concer­nant l’inclusion. La ques­tion s’est posée aus­si­tôt de savoir s’il s’agissait de prendre en consi­dé­ra­tion la dif­fi­cul­té sco­laire dans son ensemble ou de dénier au han­di­cap sa spé­ci­fi­ci­té et les moyens qui lui sont alloués. Était-ce par exemple une manière impli­cite d’augmenter les mis­sions des AESH ? Ou au contraire cela per­met­tait-il de sor­tir d’une caté­go­ri­sa­tion des élèves ségré­ga­tive, à tout le moins man­quant de souplesse ?

En réa­li­té, la notion d’élèves à besoins par­ti­cu­liers est appa­rue pré­co­ce­ment en Grande-Bretagne en 1978 dans le rap­port Warnock (« spe­cial needs »). Cette notion pre­nait en compte que dans les pays de l’OCDE 15 à 20 % d’élèves connaî­tront des dif­fi­cul­tés par­ti­cu­lières au cours de leur sco­la­ri­té. Rien d’étonnant à ce que cette notion soit appa­rue dans le monde anglo-saxon où les col­lec­tifs de per­sonnes han­di­ca­pées ont lut­té pour la défense de leurs droits civiques et où des tra­vaux de recherches (disa­bi­li­ties stu­dies) ont été menés. C’est ain­si qu’est née en Grande-Bretagne l’Union of the Physically Impaired Against Segregation (UPIAS) en 74, à la suite de quoi le socio­logue et acti­viste Mike Oliver a pro­po­sé en 1983 le modèle social du han­di­cap. En 1994 La décla­ra­tion de Salamanque et cadre d’action pour l’éducation et les besoins spé­ciaux ins­crit dans le marbre pour la pre­mière fois que le han­di­cap est une dif­fé­rence plu­tôt qu’une défi­cience ou inca­pa­ci­té, qui néces­site des besoins particuliers.

Mais les signa­taires de la décla­ra­tion de Salamanque se sont positionnéEs his­to­ri­que­ment et se posi­tionnent encore aujourd’hui dif­fé­rem­ment par rap­port à cette notion. Si la Grande-Bretagne a été pré­cur­seure en matière de recon­nais­sance des besoins édu­ca­tifs par­ti­cu­liers, elle peine encore à sco­la­ri­ser aujourd’hui les élèves en situa­tion de han­di­cap. L’Italie a contra­rio a sco­la­ri­sé en milieu ordi­naire les élèves en situa­tion de han­di­cap dès les années 70, mais n’a pris en consi­dé­ra­tion les élèves à besoins par­ti­cu­liers que très récem­ment. La défi­ni­tion même d’élèves Bep ne recouvre pas les mêmes réa­li­tés d’un pays à l’autre. Par exemple en France les élèves en situa­tion de han­di­cap entrent dans la caté­go­rie des élèves à besoins par­ti­cu­liers ; en Allemagne on y adjoint les élèves avec des dif­fi­cul­tés de lec­ture ; dans d’autres pays les élèves à besoins par­ti­cu­liers ne dési­gnent que les élèves scolariséEs dans les classes spécialisées.

On le voit, l’étendue cou­verte par l’appellation Bep va géné­rer ou non telles ou telles solu­tions adap­tées. Cette fluc­tua­tion de ce que recouvre la notion de Bep rend d’ailleurs com­pli­quée la com­pa­rai­son entre les sys­tèmes édu­ca­tifs euro­péens ou de l’OCDE.

La France semble quant à elle oscil­ler ces der­nières années entre trai­ter la dif­fi­cul­té sco­laire de manière glo­bale à tra­vers l’appellation Bep (mise en place du livret du par­cours inclu­sif, qui pro­pose des réponses péda­go­giques aux besoins édu­ca­tifs par­ti­cu­liers) et caté­go­ri­ser les dif­fi­cul­tés comme le montrent les dif­fé­rents PAP (plan d’accompagnement per­son­na­li­sé), PAI (pro­jet d’accueil médi­ca­li­sé) et PPRE (pro­gramme per­son­na­li­sé de réus­site édu­ca­tive) ou la ques­tion de savoir si les élèves notifiéEs IME/​Itep peuvent ou non béné­fi­cier d’un dis­po­si­tif Ulis.

De manière géné­rale, il ne fau­drait pas que cette notion d’élèves à besoins par­ti­cu­liers se retourne contre elle et finisse par légi­ti­mer une école à deux vitesses plu­tôt qu’une école pour touTEs.

Bibliographie :

  • Handicap : l’amnésie col­lec­tive : La France est-elle encore le pays des droits de l’homme, Bachir Kerrouni et Stéphane Forgeron, Editions Dunod, Septembre 2021
  • Apprendre (dans) l’école inclu­sive, Ife n°127, Janvier 2019, par Catherine Reverdy

8 - École inclusive : le modèle italien

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Parmi les pays euro­péens ayant fait le choix d’une école inclu­sive, l’Italie est consi­dé­rée comme une réfé­rence. Le rap­port n°2017 – 118 de l’Inspection géné­rale sur « l’inclusion des élèves en situa­tion de han­di­cap en Italie » le montre. Certaines réformes récentes s’en ins­pirent. D’abord parce que ce choix poli­tique a été opé­ré pré­co­ce­ment et per­met d’avoir du recul : en 1977 les classes spé­cia­li­sées ont été abo­lies, le sys­tème inclu­sif repo­sant sur la co-inter­ven­tion avec unE enseignantE de soutien.

Ensuite parce qu’il s’agit d’un choix d’inclusion totale. La qua­si-tota­li­té des élèves en situa­tion de han­di­cap (99%) sont scolariséEs en milieu ordi­naire, ce qui repré­sente 3% de la tota­li­té des élèves (chiffre de 2017). Contrairement au modèle inclu­sif sué­dois, les élèves, y com­pris les porteurTEuses d’autisme et polyhandicapéEs, sont inclusEs aujourd’hui en classe ordi­naire et non en classes spé­cia­li­sées. Ils et elles passent au moins 80% de leur temps avec leurs pairs.

8.1 - « Integrazione scolastica »

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Les années 60 et 70 en Italie sont mar­quées par une période effer­ves­cente de luttes pour la recon­nais­sance des droits civiques. Sous l’impulsion des tra­vaux du psy­chiatre Franco Basaglia, direc­teur de l’hôpital de Trieste, naît en 1973 le mou­ve­ment social de la psy­chia­trie démo­cra­tique, qui inter­pelle forces poli­tiques et syn­di­cales. Ce mou­ve­ment s’oppose à l’institution psy­chia­trique tra­di­tion­nelle. L’hôpital psy­chia­trique de Trieste, sépa­ré de la ville par un mur, où étaient inter­nées 1200 per­sonnes, sur les­quelles s’exerçait un mélange de soin et de contrôle, sans effet thé­ra­peu­tique, ferme ses portes. Les pre­miers centres de san­té men­tale ouvrent. Ces com­mu­nau­tés thé­ra­peu­tiques donnent au malade un sta­tut social, que lui dénie la psy­chia­trie tra­di­tion­nelle en l’enfermant. Pour Basaglia, cette der­nière repose sur une rela­tion d’oppression, d’exclusion et de déva­lo­ri­sa­tion par rap­port à une norme. Il s’agit de res­ti­tuer une pleine citoyen­ne­té effec­tive aux per­sonnes inter­nées, d’empêcher des formes d’exclusion en trou­vant des solu­tions adap­tées sur leurs milieux de vie, et de modi­fier les repré­sen­ta­tions asso­ciées aux troubles men­taux. En 1978, le Parlement ita­lien vote la Loi 180, dite loi Basaglia, qui encadre la fer­me­ture de tous les hôpi­taux psy­chia­triques, diri­gés géné­ra­le­ment par des congré­ga­tions catho­liques dans des éta­blis­se­ments asilaires.

C’est sous l’impulsion de ce mou­ve­ment qu’à la fin des années 70 com­mencent à fer­mer les ins­ti­tuts spé­cia­li­sés, à l’exception des ins­ti­tuts pour sourdEs muetTEs et pour aveugles. Le magni­fique film de Bortone, « Rouge comme le ciel » (2004), basé sur la vie de l’ingénieur du son Mirco Mencacci, ren­du aveugle à la suite d’un acci­dent, est une dénon­cia­tion du fonc­tion­ne­ment de ces institutions.

Dès le début des années 60, dans un contexte de crois­sance éco­no­mique, l’Italie porte le pro­jet d’une école pour touTEs. On est dans une période d’expérimentation péda­go­gique et l’école est réor­ga­ni­sée de façon col­lé­giale. En 1971, la loi pré­voit que « l’instruction obli­ga­toire se déroule pour tous les enfants et les ado­les­cents, sans dis­tinc­tion, dans les classes nor­males de l’école publique », à l’exception alors des enfants ayant des défi­ciences men­tales et des inca­pa­ci­tés phy­siques sévères. En 1974 l’enseignante de lettres clas­siques Franca Falcucci, une démo­crate chré­tienne qui devien­dra la pre­mière femme ministre de l’Éducation natio­nale en Italie, mène une enquête natio­nale sur les pro­blèmes des élèves handicapéEs.

Suite à son rap­port, on passe en 1975 d’« une école pour touTEs » à une « école adap­tée à chaque indi­vi­du ». La sco­la­ri­sa­tion est pré­sen­tée comme la condi­tion sine qua non de l’intégration sociale : « l’école, devant rap­por­ter l’action édu­ca­tive au poten­tiel de chaque élève, appa­raît comme la struc­ture la plus appro­priée pour dépas­ser les condi­tions de la mar­gi­na­li­sa­tion aux­quelles seraient autre­ment condam­nés les enfants han­di­ca­pés ». La Loi 517 de 77 ins­taure la sco­la­ri­sa­tion des enfants en milieu ordi­naire de la mater­nelle au col­lège, puis s’étend aux lycées au début des années 80 et à la crèche et aux uni­ver­si­tés dans les années 90. Les écoles sont amé­na­gées pour pou­voir accueillir les ser­vices socio-psy­cho­pé­da­go­giques et se mettent à for­mer des enseignantEs de soutien.

En 1992 la Loi 104 pré­voit la prise en charge de l’enfant handicapéE dès l’âge de 3 ans sur tous ses lieux de vie en impli­quant les ser­vices sani­taires et médi­caux et les équipes édu­ca­tives à qui revient la pleine res­pon­sa­bi­li­té péda­go­gique. Ce n’est qu’à cette date que sont fer­mées réel­le­ment toutes les classes spé­cia­li­sées. Le sys­tème pré­voit que l’État garan­tisse aux régions 80% des finan­ce­ments néces­saires aux moyens à mettre en place pour l’école inclu­sive. En 1997 on assiste à une réforme glo­bale du sys­tème édu­ca­tif qui confère aux écoles la pleine auto­no­mie (tout en les met­tant en concur­rence), cha­cune d’entre elles devant rédi­ger un plan d’offre de for­ma­tion qui pré­voit le suc­cès de touTEs les élèves et des par­cours didac­tiques indi­vi­dua­li­sés pour les élèves handicapéEs. En 2015 la Loi dite Buona Scola a redé­fi­ni et redé­ployé les mis­sions des enseignantEs. La valo­ri­sa­tion des com­pé­tences numé­riques ain­si que la filière pro­fes­sion­nelle sont éga­le­ment ins­crites dans cette loi qui a déve­lop­pé des outils d’évaluation de la poli­tique inclusive.

On peut donc dire que la poli­tique d’inclusion sco­laire, même si elle est confron­tée aux oukazes de la poli­tique libé­rale comme par­tout en Europe en matière de réduc­tion des moyens et d’évaluation, a conduit à une trans­for­ma­tion en pro­fon­deur de l’école ita­lienne, pas­sant pro­gres­si­ve­ment d’un sys­tème ségré­gué à un sys­tème inclu­sif, au moins juri­di­que­ment. On en ver­ra les limites plus loin.

8.2 - Buona scola

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Si l’Italie entre dans le groupe des pays euro­péens qui défendent un modèle social du han­di­cap, le diag­nos­tic est d’abord médi­cal. Mais il ne s’agit pas comme en France d’orienter vers un éta­blis­se­ment spé­cia­li­sé, un dis­po­si­tif ou le milieu ordi­naire. Le but est d’anticiper les besoins.

Une fois le han­di­cap recon­nu ouvrant droit à des com­pen­sa­tions (enseignantE de sou­tien /​maté­riel péda­go­gique et tech­no­lo­gique adap­té /​indem­ni­tés d’accompagnement), un diag­nos­tic fonc­tion­nel est éta­bli par les ser­vices sociaux et sani­taires avec la famille qui met en avant la fonc­tion­na­li­té et les poten­tiels des élèves handicapéEs pour anti­ci­per les adap­ta­tions néces­saires. Il est à noter que les troubles de l’apprentissage englo­bant les dif­fé­rents dys n’entrent pas comme en France dans le champ du handicap.

Avant de pro­cé­der à l’inscription sco­laire, les parents demandent une attes­ta­tion d’enfant en situa­tion de han­di­cap et four­nissent tous les docu­ments requis pour signa­ler les besoins par­ti­cu­liers à l’école ou l’établissement de sec­teur dont ils peuvent véri­fier l’offre de for­ma­tion. Après l’inscription, le ou la chefFE d’établissement invite le conseil de classe à for­ma­li­ser le pro­jet de sco­la­ri­sa­tion et peut faire une demande d’enseignantE de sou­tien et éven­tuel­le­ment unE assistantE de com­mu­ni­ca­tion ou unE assistantE éducatifIVE pour favo­ri­ser l’autonomie de l’élève. Un P.E.I. (plan édu­ca­tif indi­vi­dua­li­sé) est rédi­gé en début de chaque année par le GLHO, groupe de tra­vail atti­tré à telLE ou telLE enfant tan­dis que le GLI est un groupe de tra­vail inter­pro­fes­sion­nel dédié à l’inclusion sco­laire en géné­ral dans l’établissement.

La classe où est scolariséE unE enfant handicapéE ne peut dépas­ser un effec­tif de 25 élèves, voire 20 élèves et ce y com­pris au lycée. UnE enseignantE de sou­tien ne peut suivre plus de 4 enfants. On compte en Italie 15% d’enseignantEs de sou­tien dont le rôle est celui de co-enseignantE et de conseil de spé­cia­liste. Après une pre­mière phase d’observation, l’enseignantE de sou­tien orga­nise avec l’enseignantE de la classe la pro­gram­ma­tion didac­tique de toute la classe en pre­nant en compte les besoins édu­ca­tifs de la classe. Les enseignantEs de sou­tien suivent une for­ma­tion de deux ans et demi et touTEs les enseignantEs suivent une for­ma­tion spé­ci­fique (pour apprendre notam­ment à diag­nos­ti­quer pré­co­ce­ment). Cette for­ma­tion ini­tiale est com­plé­tée par une for­ma­tion à la carte (par l’intermédiaire d’une somme allouée à chaque enseignantE) et des pro­grammes d’études aux­quels les enseignantEs sont associéEs existent. Le per­son­nel ensei­gnant peut éga­le­ment s’appuyer sur des centres de res­sources. Le cur­sus sco­laire peut être allon­gé jusqu’à 20 ans. Programmes, méthodes et exa­mens sont amé­na­gés. Un cer­ti­fi­cat de com­pé­tences peut être déli­vré si l’équivalent du bac­ca­lau­réat ne peut être pas­sé. Un accès à la voie pro­fes­sion­nelle est garan­ti depuis une loi de 2003.

En 2018, une visite d’enseignantEs françaisEs dans le cadre d’Erasmus à l’école de Montechiarogulo a pu mettre en lumière 6 faci­li­ta­teurs de la mise en place de l’école inclusive :

  • un regard posi­tif et valo­ri­sant sur les élèves en situa­tion de handicap ;
  • des manuels adap­tés à l’inclusion ;
  • un tra­vail quo­ti­dien entre l’enseignantE titu­laire et l’enseignantE de sou­tien et un tra­vail heb­do­ma­daire d’équipe ;
  • des espaces aménagés ;
  • une auto­no­mie de l’établissement ;
  • une didac­tique inclu­sive : avec des leçons ancrées dans la langue et le corps pour être acces­sibles au plus grand nombre et une orga­ni­sa­tion de la classe basée sur la coopération.

Une étude éva­lua­tive de 2020 a mon­tré que le point fort en Italie reste la pla­ni­fi­ca­tion péda­go­gique et didac­tique : « La qua­li­té de l’inclusion est reliée à un cli­mat de col­la­bo­ra­tion et de séré­ni­té per­met­tant un véri­table appren­tis­sage ain­si qu’un accueil et un dia­logue entre élèves et enseignantEs. »

8.3 - Les limites

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Cette poli­tique inclu­sive a été frei­née en 2008 par le gou­ver­ne­ment Berlusconi qui a dété­rio­ré l’image des enseignantEs et a pro­cé­dé à des coupes bud­gé­taires sur les effec­tifs du per­son­nel édu­ca­tif. Le fon­de­ment de l’école ita­lienne qui repose sur la co-inter­ven­tion et le tra­vail d’équipe a été tou­ché : la pré­ca­ri­té des postes d’enseignantE de sou­tien, le manque de for­ma­tion, le nombre insuf­fi­sant d’heures allouées à chaque enfant et le défaut de syner­gie avec les auto­ri­tés admi­nis­tra­tives locales font par­tie comme en France des limites posées à la poli­tique inclu­sive. Mais grâce à l’action syn­di­cale et une sai­sine auprès de la Cour euro­péenne en 2015, l’Italie vient d’être tra­duite devant la Cour de jus­tice de l’Union euro­péenne pour ne pas avoir mis fin à l’utilisation exces­sive de contrats à durée déter­mi­née et à des condi­tions de tra­vail dis­cri­mi­na­toires dans l’enseignement.

Il existe éga­le­ment des dis­pa­ri­tés géo­gra­phiques impor­tantes, cer­taines régions n’attribuant pas la tota­li­té des moyens alloués au handicap.

On n’échappe pas non plus à la per­sis­tance de repré­sen­ta­tions archaïques liées aux images véhi­cu­lées par la « mal­for­ma­tion », la « folie », les « ano­ma­lies ». L’influence chré­tienne est éga­le­ment déter­mi­nante en ce qu’elle char­rie de repré­sen­ta­tions asso­ciées à une « faute » ou qu’elle ren­voie à des actions de « charité ».

L’autre écueil est que l’école ita­lienne, si elle a mis l’accent his­to­ri­que­ment sur la sco­la­ri­sa­tion des élèves en situa­tion de han­di­cap en y allouant des moyens impor­tants, a négli­gé l’ensemble des élèves à BEP, qui n’ont été reconnuEs qu’en 2010 et ont pu être scolariséEs dans des classes spé­cia­li­sées jusque dans les années 90, comme c’est encore le cas en France pour les élèves scolariséEs en Segpa. Aujourd’hui elle dis­tingue trois situa­tions : les per­sonnes por­teuses de han­di­cap, les per­sonnes avec des troubles spé­ci­fiques d’apprentissage comme les porteurEuses de troubles dys et les élèves avec des besoins spé­ci­fiques comme les enfants migrantEs. Pour chaque caté­go­rie d’élèves les moyens alloués et les accom­pa­gne­ments ne sont pas équi­va­lents. Par exemple, unE enseignantE de sou­tien n’intervient pas auprès des élèves dys. On peut dire que l’école ita­lienne n’a pas ter­mi­né sa mue vers une école véri­ta­ble­ment inclu­sive et qu’elle n’est pas encore adap­tée à touTEs les élèves.

Enfin la poli­tique inclu­sive n’est effi­cace que jusqu’à la fin du col­lège et montre qu’elle n’est pas asso­ciée à un véri­table pro­jet de socié­té. Comme en France, au lycée géné­ral on retrouve un envi­ron­ne­ment éli­tiste non favo­rable aux élèves en situa­tion de han­di­cap, qui sont majo­ri­tai­re­ment orientéEs vers des filières tech­no­lo­giques et pro­fes­sion­nelles. Plus grave, sur l’ensemble des per­sonnes han­di­ca­pées en âge de tra­vailler, seule­ment 12% ont accès à l’emploi (indi­ca­teurs démo­gra­phiques pour l’année 2022 publiés par l’Istat le 7 avril 2023). Une famille avec au moins une per­sonne han­di­ca­pée reçoit en moyenne un reve­nu moyen équi­valent de 19 500 euros par an, soit 1000 euros de moins que les familles sans per­sonnes han­di­ca­pées. Les familles devant assu­rer les dépenses de soin et d’assistance, cela a pour consé­quence que sur l’ensemble des per­sonnes han­di­ca­pées, 32,1 % sont mena­cées de pau­vre­té ou d’exclusion sociale et envi­ron un cin­quième se trouvent dans des condi­tions de pri­va­tion maté­rielle sévère.

8.4 - Conclusion

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Si l’élève handicapéE béné­fi­cie d’une école inclu­sive en Italie, l’adulte lui ne connaî­tra donc pas une socié­té inclu­sive. Le modèle ita­lien met en évi­dence l’opposition qui existe entre avan­cées pro­gres­sistes et poli­tiques libé­rales, celles-ci pou­vant réduire à néant des avan­cées struc­tu­relles en termes édu­ca­tifs. Il nous rap­pelle que le com­bat pour une édu­ca­tion pour touTEs est sans relâche et que céder sur ce prin­cipe et exclure de fac­to des caté­go­ries d’élèves, c’est céder au sys­tème capitaliste.

Au-delà, le modèle ita­lien met l’accent sur la néces­si­té d’une prise en charge glo­bale avec une répar­ti­tion des mis­sions bien défi­nies entre le sec­teur médi­cal, le sec­teur social et le champ sco­laire. L’accessibilité à l’école est assu­rée à la fois par l’intervention de per­son­nels nom­breux et for­més, ani­més par des valeurs inclu­sives bien ancrées, du maté­riel et des manuels adap­tés, des pra­tiques réflé­chies en équipe et des classes à petits effec­tifs. Les moyens res­tent donc une ques­tion cen­trale dans la réus­site d’une poli­tique inclusive.

Bibliographie

  • Apprendre (dans) l’école inclu­sive, Ife n°127, Janvier 2019, par Catherine Reverdy
  • L’école inclu­sive, des objec­tifs com­muns et des moda­li­tés dif­fé­rentes en Europe, Marcel Calvez, 2ème jour­née d’études du Cra Bretagne, Université Rennes 2, Novembre 2018.

9 - Associations gestionnaires : kesako ?

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La fédé­ra­tion SUD édu­ca­tion donne la parole aux col­lec­tifs de militantEs anti­va­li­distes.. Ce sont donc leurs posi­tions qui sont retrans­crites dans cet article. Il s’agit pour nous de visi­bi­li­ser la lutte des per­sonnes concer­nées afin de mieux com­prendre et débattre autour des concepts d’inclusion, d’accessibilité à l’école comme dans la société.

SUD édu­ca­tion a inter­ro­gé Elena Chamorro au sujet de l’épineuse ques­tion des asso­cia­tions ges­tion­naires, ins­ti­tu­tions fran­çaises qui, par une délé­ga­tion de mis­sion de ser­vice public « gèrent le han­di­cap en France ».

Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Elena Chamorro. Je suis pro­fes­seure agré­gée d’espagnol et j’ai fait presque toute ma car­rière comme PRAG, au sein d’Aix-Marseille Université.

Par ailleurs, direc­te­ment concer­née par le han­di­cap, j’ai cofon­dé en 2016 le Clhee (Collectif luttes et han­di­cap) que j’ai quit­té en 2024. C’est un col­lec­tif de lutte antivalidiste.

Actuellement, je milite au CUSE (Collectif Une Seule École), un col­lec­tif récent qui se bat pour la sco­la­ri­sa­tion incon­di­tion­nelle de touTEs les enfants dans l’école ordinaire.

Je suis aus­si syn­di­quée à SUD éducation.

Peux-tu défi­nir ce qu’est une asso­cia­tion gestionnaire ?
En France, dans le domaine du han­di­cap, il existe des petites asso­cia­tions mais aus­si des grosses struc­tures qui gèrent de nom­breux ser­vices et éta­blis­se­ments finan­cés par l’État. C’est parce qu’elles gèrent ces ser­vices et struc­tures qu’elles sont appe­lées asso­cia­tions gestionnaires.

Les plus impor­tantes par­mi ces asso­cia­tions sont recon­nues par l’État comme les repré­sen­tantes légi­times des per­sonnes han­di­ca­pées. À ce titre, elles sont pré­sentes dans toutes les ins­tances rela­tives au han­di­cap et elles sont consul­tées pour tout pro­jet de texte en lien avec le sujet.

Quelles sont les prin­ci­pales asso­cia­tions gestionnaires ?
L’APF France han­di­cap, L’UNAPEI, La LADAPT, l’APAJH sont par­mi les plus importantes.

Sont-elles com­pa­rables ?
Elles affichent toutes les mêmes objec­tifs, soi-disant l’inclusion sociale et la défense des droits des per­sonnes han­di­ca­pées mais elles s’adressent à des publics différents.

L’UNAPEI, par exemple, s’adresse à des per­sonnes avec troubles du neu­ro-déve­lop­pe­ment (défi­cience intel­lec­tuelle, autisme…), poly­han­di­cap ou han­di­cap psy­chique et c’est un réseau d’associations qui com­prend des asso­cia­tions fami­liales, des asso­cia­tions man­da­taires judi­ciaires à la pro­tec­tion des majeurs. L’APF s’adresse plu­tôt à des per­sonnes qui ont des han­di­caps phy­siques, moteurs…

Elles sont cepen­dant com­pa­rables quant aux valeurs catho­liques qui ont ins­pi­ré leurs fondateurICEs et qui sont encore bien ins­crites dans leur ADN. L’APF, par exemple, a été fon­dée par André Trannoy qui avait gran­di dans une famille très catho­lique. Même dans le milieu de Stanislas, à Paris, où il avait pour­sui­vi sa sco­la­ri­té, il était per­çu comme un « mys­tique ». Suzanne Fouché, l’une des fon­da­trices de la LADAPT avait, elle, une vision rédemp­trice de la mala­die, qui était pour elle un che­min vers Dieu. Les deux asso­cia­tions ont orga­ni­sé par le pas­sé des quêtes pour les­quelles elles comp­taient avec le sou­tien et l’aide du Secours catho­lique et sur la socié­té saint Vincent de Paul.

L’appel à la cha­ri­té est tou­jours d’actualité et l’APF, par exemple, finance de nom­breuses actions grâce à ce qu’elle appelle la géné­ro­si­té du public. En géné­ral, la main­mise his­to­rique des milieux catho­liques les plus conser­va­teurs sur le han­di­cap se pour­suit de nos jours et ins­pire l’approche du han­di­cap de la grande majo­ri­té de ces asso­cia­tions et des poli­tiques du han­di­cap aux­quelles elles par­ti­cipent. Par exemple, la pre­mière visite de la pre­mière secré­taire d’État aux per­sonnes han­di­ca­pées du gou­ver­ne­ment Macron, Sophie Cluzel, s’est dérou­lée dans une « mai­son par­ta­gée » gérée par l’association Simon de Cyrène qui pro­meut des valeurs cha­ri­tables et de fra­ter­ni­té chré­tienne et a été sou­te­nue par, entre autres, Philippe Pozzo di Borgo, Jean Vanier, fon­da­teur de l’Arche et Laurent de Cherisey, tous de fer­vents catholiques.

C’est le cas aus­si des Café Joyeux, qui disent employer des per­sonnes avec des han­di­caps cog­ni­tifs en emploi ordi­naire mais qui sous-traitent l’élaboration de leurs cap­sules à des Esat. Son fon­da­teur, Yann Bucaille est proche aus­si des milieux de la Manif pour tous. Pour rap­pel, Emmanuel Macron s’était ren­du à l’inauguration de l’un de ces cafés sur les Champs Élysées en 2020 et pour la petite his­toire, cette entre­prise a été lau­réate en 2019 du Voyage du bien com­mun, un évé­ne­ment qui avait réuni deux cents entrepreneurEuses et plu­sieurs évêques à Rome et au cours duquel, le Pape avait deman­dé aux patronNEs fran­çais de mettre en œuvre les valeurs évan­gé­liques dans leurs entre­prises, de sau­ver ce monde avec le Christ, d’éduquer le monde du tra­vail à un style nou­veau et de par­ti­ci­per aux déci­sions poli­tiques. Et dans ce but de mise en œuvre des valeurs évan­gé­liques, le « monde du han­di­cap », comme ils disent, fait par­tie de leurs cibles de prédilection.

Il va de soi que ces approches cha­ri­tables sont contraires aux approches des droits humains défen­dues par les militantEs anti­va­li­distes. D’ailleurs, par­mi les slo­gans les plus reven­di­qués par les acti­vistes du monde entier figure Rights, no cha­ri­ty, des droits, pas de la charité.

Quelles sont les struc­tures gérées par ces associations ?
L’APF gère des struc­tures spé­ci­fiques comme les foyers d’hébergement et foyers de vie (Fam), IME (ins­ti­tut médi­co-édu­ca­tif), des Sessad (ser­vices d’éducation et de soins à domi­cile), des Mas (mai­sons d’accueil spé­cia­li­sé), des Esat (éta­blis­se­ments ou ser­vices d’aide par le tra­vail), des entre­prises adap­tées. L’APF gère en tout 483 struc­tures d’accompagnement.

L’Unapei gère aus­si des Itep (ins­ti­tuts thé­ra­peu­tiques édu­ca­tifs et péda­go­giques). En tout, elle gère 3 000 éta­blis­se­ments et ser­vices médico-sociaux.

Toutes ces struc­tures com­posent le sec­teur du médico-social.

Pour ce qui est des Sessad, un cama­rade du Cuse, poin­tait récem­ment sur Twitter que les asso­cia­tions ges­tion­naires détournent à pré­sent ces dis­po­si­tifs de leurs objec­tifs ini­tiaux et recrutent, au lieu d’accompagner vers l’autonomie les élèves qu’ils et elles suivent, des enfants dans l’école ordi­naire pour les envoyer en IME.

On voit vrai­ment leur pro­pen­sion à prio­ri­ser l’institutionnalisation, leur désir de la per­pé­tuer, y com­pris sous des formes nou­velles comme l’habitat par­ta­gé. Et leur désir aus­si de l’élargir avec des « nou­veau­tés » telles que les Esat en prison.

Quels sont les liens entre l’État et les asso­cia­tions gestionnaires ?
Les asso­cia­tions ges­tion­naires sont des par­te­naires de l’État. Elles ont un rôle de délé­ga­tion de ser­vice public. Elles ont la res­pon­sa­bi­li­té, comme je l’ai dit, de la ges­tion des éta­blis­se­ments et ser­vices pour per­sonnes han­di­ca­pées et elles co-construisent, comme je l’ai aus­si évo­qué, les poli­tiques du han­di­cap. Elles siègent et ont une voix domi­nante dans des ins­tances de concer­ta­tion comme le CNCPH (Conseil natio­nal consul­ta­tif des per­sonnes han­di­ca­pées), elles par­ti­cipent aux tra­vaux des com­mis­sions dans les MDPH (Maisons dépar­te­men­tales des per­sonnes han­di­ca­pées), notam­ment à la Commission des droits et de l’autonomie des per­sonnes han­di­ca­pées, qui décide de l’attribution des droits et des pres­ta­tions, et des orien­ta­tions pour les per­sonnes han­di­ca­pées – éven­tuel­le­ment vers les struc­tures, bien évi­dem­ment. Elles siègent éga­le­ment dans les com­mis­sions rat­ta­chées aux ARS et contri­buent à l’élaboration des pro­grammes de san­té ou de pla­ni­fi­ca­tion de l’offre du médico-social.

Elles sont par­tout, sont toutes-puis­santes et gèrent abso­lu­ment tous les aspects de la vie des per­sonnes handicapées.

Les liens entre les asso­cia­tions ges­tion­naires et l’État sont en fin de compte des liens de subor­di­na­tion à ce der­nier. Les der­niers reculs en matière de droits se sont d’ailleurs faits avec la com­pli­ci­té des asso­cia­tions ges­tion­naires. Par exemple, en 2014, l’APF a accep­té les reculs des règles d’accessibilité que le gou­ver­ne­ment a fait pas­ser par voie d’ordonnance. L’APF a aus­si accep­té le prin­cipe d’un quo­ta de loge­ments acces­sibles à l’occasion de l’examen de la loi ELAN en 2018 en lieu et place du 100% acces­sible pour le bâti neuf que pré­voyait la loi de 2005.

Elles pro­testent timi­de­ment contre ces reculs mais loin d’être un contre-pou­voir, elles sont inféo­dées à l’État, de qui elles dépendent financièrement.

Pourquoi cette délé­ga­tion de ser­vice public en France ?
Les prin­ci­pales asso­cia­tions naissent dans les années 1940 – 1950 pour créer des struc­tures et des services.

La délé­ga­tion de la ges­tion des éta­blis­se­ments pour per­sonnes han­di­ca­pées aux asso­cia­tions ges­tion­naires en France remonte à l’après Seconde Guerre Mondiale. Comme l’explique Capucine Lemaire dans sa contri­bu­tion à l’ouvrage « En finir avec les idées fausses sur le han­di­cap », publié par les édi­tions de l’Atelier :

« C’est avec la créa­tion de la sécu­ri­té sociale que l’âge d’or des « ges­tion­naires » est pro­cla­mé, puisqu’une délé­ga­tion est don­née par l’État à ces asso­cia­tions pour créer des ins­ti­tu­tions, afin de prendre en charge les dif­fé­rents han­di­caps. L’installation mas­sive dans les années 50 et 60 dans toute la France d’établissements rem­place l’hospice ou l’asile.
On parle alors de « lieux ouverts » par rap­port à l’enfermement hospitalier. »
Les bud­gets alloués par l’État sont impor­tants et avec l’épidémie de polio­myé­lite anté­rieure aiguë qui sévit jusqu’en 1958 (date de l’arrivée du vac­cin) beau­coup d’enfants arrivent dans ces lieux.

Ensuite, la loi du 30 juin 1975 recon­naît offi­ciel­le­ment le rôle des asso­cia­tions dans la créa­tion et la ges­tion des éta­blis­se­ments spécialisés.

L’État et les col­lec­ti­vi­tés locales ont donc confié cette mis­sion aux asso­cia­tions qui béné­fi­cient de finan­ce­ments publics mais qui conservent une cer­taine auto­no­mie. C’est une forme de désen­ga­ge­ment de la part de l’État, jus­ti­fiée par la recon­nais­sance d’une exper­tise dans le domaine du han­di­cap à ces associations.

Quels pro­blèmes posent les asso­cia­tions ges­tion­naires pour les per­sonnes han­di­ca­pées ? Pourquoi les asso­cia­tions ges­tion­naires consti­tuent-elles un frein à l’émancipation des per­sonnes handicapées ?
Les militantEs anti­va­li­distes tiennent les asso­cia­tions ges­tion­naires pour res­pon­sables de leur ségré­ga­tion sociale et spatiale.

Le choix de l’institutionnalisation, autre­ment dit de l’enfermement, a eu et conti­nue d’avoir des réper­cus­sions sur le manque d’accessibilité de l’espace public, et il est aus­si au fon­de­ment de la jus­ti­fi­ca­tion de notre exclu­sion de la socié­té puisque le rai­son­ne­ment qu’il impose est que, s’il existe des lieux réser­vés, ven­dus comme étant des lieux adap­tés pour nous, pour­quoi ne pas nous y ren­voyer plu­tôt que de nous accueillir dans l’école ordi­naire, dans le tra­vail ordi­naire, etc…

Mais au-delà de l’institutionnalisation, les asso­cia­tions ges­tion­naires sont res­pon­sables de l’existence d’une culture vali­diste au sein de la socié­té qui, de fait, se tra­duit par ce que j’appelle « l’institutionnalisation hors les murs » ou « l’institutionnalisation de plein air ».

Quand on va dans un centre quel­conque qui pro­pose des loi­sirs, on ne pour­ra sou­vent pas y accé­der en tant que particulierE. Les acti­vi­tés seront pré­vues pour des groupes ; lorsqu’on va dans un théâtre, une salle de spec­tacles, on ne pour­ra pas se pla­cer avec les amiEs ou la famille qui vous accom­pagnent mais avec unE seulE « accompagnateurICE ». On sera placéEs, concentréEs, ségréguéEs avec d’autres per­sonnes han­di­ca­pées que l’on ne connaît pas parce que le théâtre en ques­tion aura été conçu pour que cela soit ain­si. Tout le « diri­gisme » que l’on ren­contre dans les poli­tiques à notre égard des éta­blis­se­ments et ser­vices de toute sorte vient de cette culture vali­diste de la ségré­ga­tion, cette culture vali­diste qui, au nom d’une pré­ten­due pro­tec­tion entrave nos choix, nos déci­sions, nos liber­tés indi­vi­duelles par­tout tout le temps.

Pour en reve­nir à l’institutionnalisation pro­pre­ment dite, dans les murs, celle mise en œuvre par les asso­cia­tions ges­tion­naires, elle est évi­dem­ment contraire à nos droits. L’observation n° 5 de l’ONU qui date de 2017 et qui expli­cite l’article 19 sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la socié­té de la Convention Internationale des droits des per­sonnes han­di­ca­pées, pré­cise que l’autonomie de vie et l’inclusion dans la socié­té sup­posent un cadre excluant toute forme d’institutionnalisation.

En réa­li­té, ces asso­cia­tions, loin d’œuvrer à la défense de nos droits sont une entrave à l’accès à nos droits.

À cet égard, les obser­va­tions du comi­té des droits des per­sonnes han­di­ca­pées de l’ONU, qui ont fait suite au rap­port ini­tial de la rap­por­teuse spé­ciale de l’ONU Catalina Devandas après sa visite de 2017, font état de la confu­sion qui existe en France entre les asso­cia­tions pres­ta­taires de ser­vices et ges­tion­naires d’établissements et les asso­cia­tions repré­sen­ta­tives des per­sonnes han­di­ca­pées. Cette confu­sion entraîne un conflit d’intérêts qui empêche le pas­sage de la vie en ins­ti­tu­tion à la vie auto­nome au sein de la com­mu­nau­té, avec le sou­tien néces­saire. Mme Devandas s’était mon­trée inquiète que l’institutionnalisation des per­sonnes han­di­ca­pées, contraire au droit inter­na­tio­nal, soit pri­vi­lé­giée en France.

Enfin, le Sous-Comité des Nations unies pour la pré­ven­tion de la tor­ture et autres peines ou trai­te­ments cruels, inhu­mains ou dégra­dants a récem­ment publié son Observation géné­rale n°1 sur l’article 4 du Protocole facul­ta­tif rela­tif aux lieux de pri­va­tion de liber­té. Il a clai­re­ment indi­qué que les per­sonnes han­di­ca­pées souffrent de pri­va­tion de liber­té dans les ins­ti­tu­tions. En plus, comme le rap­por­tait l’association ENIL, le sous-comi­té fait valoir que la pri­va­tion de liber­té ne concerne pas uni­que­ment l’enfermement phy­sique, mais aus­si les condi­tions dans les­quelles les per­sonnes han­di­ca­pées sont contraintes de vivre. Par exemple, si les per­sonnes han­di­ca­pées ne peuvent quit­ter leur domi­cile du fait d’un manque d’offre de sou­tien, cela doit être consi­dé­ré comme une pri­va­tion de liberté.

En pri­vi­lé­giant l’institutionnalisation au détri­ment de l’offre de ser­vices en dehors des éta­blis­se­ments, ces ges­tion­naires portent aus­si donc la res­pon­sa­bi­li­té d’une pri­va­tion de liber­té « hors les murs ».

Et il faut sur­tout savoir que l’institutionnalisation ne peut pas être un choix, contrai­re­ment à ce qu’affirment les asso­cia­tions gestionnaires.

L’institutionnalisation ne doit jamais être consi­dé­rée comme une forme de pro­tec­tion des per­sonnes han­di­ca­pées, ou un « choix » comme le pré­cisent les lignes direc­trices sur la dés­ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion qui com­plètent l’Observation géné­rale n° 5 de 2017 que j’ai men­tion­née auparavant.

Ces lignes direc­trices ont aus­si fait état d’un pro­blème majeur qui est celui de la vio­lence, la négli­gence, les abus, les mau­vais trai­te­ments et la tor­ture, y com­pris les contraintes chi­miques, méca­niques et phy­siques, que les per­sonnes han­di­ca­pées subissent dans les institutions.

Quelles repré­sen­ta­tions des per­sonnes han­di­ca­pées portent les asso­cia­tions gestionnaires ?
Les asso­cia­tions ges­tion­naires sont sur­tout dans une approche médi­cale et pater­na­liste du han­di­cap. Elles mobi­lisent le dis­cours de la pro­tec­tion pour jus­ti­fier l’institutionnalisation.

Pour le modèle médi­cal, le han­di­cap est une dévia­tion de la norme bio­lo­gique et c’est la logique de ce modèle qui a conduit à écar­ter les per­sonnes han­di­ca­pées de la socié­té et à les ins­ti­tu­tion­na­li­ser. Dans ce modèle, le rôle prin­ci­pal dans les choix de vie est don­né aux professionnelLEs.

On par­lait tout à l’heure de LADAPT. Il faut savoir que c’est cette asso­cia­tion qui, en 1954, fonde les pre­miers ate­liers pro­té­gés et les pre­miers CAT (centres d’aide par le tra­vail), appe­lés à pré­sent Esat (Établissement et ser­vice d’ac­com­pa­gne­ment par le travail).

Les ouvrier·ères d’Esat ont le sta­tut de travailleurEUSEs handicapéEs. Cependant, ils et elles ne relèvent pas du code du tra­vail, mais du code de l’ac­tion sociale et des familles, parce qu’ils et elles sont consi­dé­rés comme des usagerEs des éta­blis­se­ments qu’ils et elles fré­quentent. En 2022, le Comité des droits des per­sonnes han­di­ca­pées de l’ONU a ren­du une cri­tique détaillée du modèle des Esat et deman­dé au gou­ver­ne­ment de les éra­di­quer. Le comi­té ajou­tait que « les envi­ron­ne­ments de tra­vail ségré­gués sont incom­pa­tibles avec [le] droit » ins­crit à l’ar­ticle 27.

Il y a peu, avec deux autres mili­tantes anti­va­li­distes, nous avons réagi à un com­mu­ni­qué de l’Union Fédérale de l’Action Sociale de la CGT. Ces syn­di­ca­listes de gauche s’inquiétaient de l’éventualité de l’octroi du sta­tut par­tiel de travailleurEUSEs aux usagerEs d’Esat que l’on consi­dère comme des usagerEs mais qui sont en réa­li­té des travailleurEUSEs. La rhé­to­rique infan­ti­li­sante et pater­na­liste du com­mu­ni­qué laisse sans voix et force est de consta­ter que les repré­sen­ta­tions éma­nant de l’approche médi­cale sont pré­gnantes y com­pris à gauche.

Pourtant, il a exis­té des mou­ve­ments de per­sonnes han­di­ca­pées qui, dès les années 70, le CLH (Comité de lutte des han­di­ca­pés) notam­ment, ont dénon­cé l’exploitation en CAT, la culture cari­ta­tive des asso­cia­tions comme l’APF et qui avaient mani­fes­té avec force contre la loi de 1975.

Malheureusement, la majo­ri­té des par­tis de la gauche ignorent ces luttes his­to­riques pour la défense de nos droits, ignorent aus­si les col­lec­tifs qui actuel­le­ment les ont reprises et leurs poli­tiques ne voient pas d’incohérence à fré­quen­ter les lieux de ségré­ga­tion dénon­cés par l’ONU et gérés par des asso­cia­tions liées aux milieux catho­liques les plus conser­va­teurs. Ils relaient aus­si allè­gre­ment les visions essen­tia­li­santes, infé­rio­ri­santes, et plus géné­ra­le­ment la culture vali­diste issue du modèle médi­cal incar­né par les asso­cia­tions gestionnaires.

Quel est l’avenir social des élèves qui sont institutionnaliséEs, orientéEs dans des Itep ou des IME par exemple ?
Dans un article qui a trait aux luttes des per­sonnes han­di­ca­pées, Cécile Morin dit que le pla­ce­ment dès l’enfance en ins­ti­tu­tions spé­cia­li­sées conduit, par un effet de filière, à tra­vailler une fois adulte dans des Esat selon des cri­tères de ren­ta­bi­li­té et de type de han­di­cap éta­blis par les professionnelLEs du sec­teur, autre­ment dit à pré­sent par, entre autres, les asso­cia­tions ges­tion­naires qui siègent dans les MDPH.

Lili Guigueno, une autre mili­tante han­di­ca­pée, explique dans un article de son blog sur Médiapart que 30 % des tra­vailleurs et tra­vailleuses handicapéEs des Esat viennent des ins­ti­tuts médi­co-édu­ca­tifs (IME) dont les Instituts médi­co-pro­fes­sion­nels (IMpro) et que 30 % vivent ségréguéEs en ins­ti­tu­tions, dans des héber­ge­ments réser­vés aux tra­vailleurs et tra­vailleuses handicapéEs.

J’avais fait un tweet il y a quelque temps dans lequel je com­pa­rais l’emploi du temps en IME et l’emploi du temps dans un éta­blis­se­ment sco­laire. Il faut quand même rap­pe­ler à toutes celles et tous ceux qui pré­sentent l’IME comme une alter­na­tive à l’école que celui-ci n’est pas un lieu de sco­la­ri­sa­tion, d’apprentissage et que de ce fait, les IME ne dépendent pas de l’Éducation natio­nale. Leur ges­tion et leur finan­ce­ment dépendent de la Sécurité sociale. Et à celles et ceux qui mettent en avant le besoin de soins des enfants handicapéEs, il faut rap­pe­ler que ces enfants sont des sujets de droits et non pas des objets de soin et que la sco­la­ri­sa­tion avec les autres n’est pas incom­pa­tible avec la prise en compte des soins dont ils et elles auraient besoin.

En fait, les IME sont des lieux de dis-éman­ci­pa­tion et conduisent à la ségré­ga­tion à vie et à la mort sociale. Un lieu qui vous prive d’instruction, qui ne vous fait pas gran­dir ne peut pas être un lieu d’émancipation, mais un lieu d’entraînement à la sou­mis­sion à vie, un lieu de désempuissancement.

Une fois entréE dans la filière de la ségré­ga­tion, il est très dif­fi­cile d’en sortir.

Le rap­pro­che­ment asso­cia­tions ges­tion­naires /​école (ouver­ture d’UEE ou d’UEMA par exemple) est-elle une solu­tion pour désinstitutionnaliser ?
Je connais mal ces dis­po­si­tifs et je ne m’aventurerai pas à faire un pro­gramme de dés­ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion dans le cadre de cet entre­tien. Ce qui est clair est que la solu­tion pour abou­tir à une école pour touTEs passe par la volon­té d’un chan­ge­ment de para­digme, par le pas­sage d’une école du tri – le vali­disme en opère un – à une école pour touTEs les élèves.

Ce qui est clair aus­si est que d’autres pays ont avan­cé dans cette direc­tion et qu’ils ont mis en place des pra­tiques édu­ca­tives dont nous pou­vons nous inspirer.

10 - Tribune du collectif une seule école (CUSE) : La loi 2005, 20 ans après

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La fédé­ra­tion SUD édu­ca­tion donne la parole aux col­lec­tifs de militantEs anti­va­li­distes.. Ce sont donc leurs posi­tions qui sont retrans­crites dans cet article. Il s’agit pour nous de visi­bi­li­ser la lutte des per­sonnes concer­nées afin de mieux com­prendre et débattre autour des concepts d’inclusion, d’accessibilité à l’école comme dans la société‧

Il n’est pas facile de faire le bilan d’une loi et de ses consé­quences concrètes pour les per­sonnes han­di­ca­pées quand elle est pro­mul­guée dans un pays inca­pable d’affronter les dis­cri­mi­na­tions sys­té­miques qu’il pro­duit et de faire du han­di­cap un sujet poli­tique et non plus seule­ment médi­cal. Si la loi de 2005, très impar­faite, a pu être per­çue comme un pro­grès, son bilan met aus­si en évi­dence la manière dont les actrices et acteurs institutionnelLEs ont pu la détour­ner, la défor­mer et pro­duire, en se cachant der­rière des termes vidés de sens comme l’inclusion, des pri­va­tions de liber­té et des vio­lences, au sein du sys­tème sco­laire comme dans l’ensemble de la société.

Quand des dis­cours poli­tiques et aca­dé­miques prennent les mots sans la chose (inclu­sion, éman­ci­pa­tion, autonomie).

Quand des per­son­nels sont convain­cus que les élèves handicapéEs n’ont pas leur place dans les écoles, les col­lèges et les lycées et veulent sans cesse le démontrer.

Quand les asso­cia­tions ges­tion­naires rapaces sont prêtes à récu­pé­rer ces élèves pour les enfer­mer et en tirer un maxi­mum de profit.

Quand des orga­ni­sa­tions poli­tiques et syn­di­cales qui se pré­tendent éman­ci­pa­trices et/​ou de gauche décident que les luttes contre les dis­cri­mi­na­tions et les oppres­sions s’ar­rêtent aux per­sonnes handicapées.

Quand toute une socié­té vali­diste trouve nor­mal de pri­ver de droits, de parole poli­tique, de sco­la­ri­té et de liber­té des enfants puis des adultes dans des ins­ti­tu­tions parce que handicapéEs.

Le constat est plus acide qu’un citron mais il est nécessaire !

10.1 - La loi de 2005, 20 ans après

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La loi du 11 février 2005 dite « pour l’é­ga­li­té des droits et des chances, la par­ti­ci­pa­tion et la citoyen­ne­té des per­sonnes han­di­ca­pées » pro­met­tait l’accessibilité de l’en­semble de la socié­té aux per­sonnes han­di­ca­pées. La loi de 1975 pro­met­tait déjà l’accessibilité, mais, sans réelle volon­té poli­tique et sans échéance, elle est res­tée sans effet.

La loi de 2005 sem­blait por­ter un chan­ge­ment de para­digme : la bas­cule d’un modèle médi­cal du han­di­cap vers un modèle social. Elle confir­mait l’obligation d’accessibilité des lieux accueillant du public, des trans­ports publics et des loge­ments, obli­ga­tion immé­diate sur le neuf et avec un délai de 10 ans jusqu’en 2015 pour l’ancien, pour les éta­blis­se­ments rece­vant du public (ERP) et les trans­ports. Elle rem­pla­çait les Cotorep et CDES par les MDPH cen­sées faci­li­ter la vie des per­sonnes han­di­ca­pées en sim­pli­fiant les démarches admi­nis­tra­tives et en réunis­sant l’ensemble des acteurs au sein d’un gui­chet unique. Elle ins­ti­tuait un droit à com­pen­sa­tion via la pres­ta­tion de com­pen­sa­tion du han­di­cap (PCH). Elle affir­mait enfin le droit de chaque enfant à pou­voir être scolariséE, comme les autres, dans son école, son col­lège ou son lycée, au plus proche de son domicile.

Ce qui pou­vait appa­raître comme de réelles avan­cées pour les droits des per­sonnes han­di­ca­pées posait pour­tant déjà de nom­breux pro­blèmes dans la rédac­tion même de la loi.

D’abord dans le lien avec la Constitution et la Déclaration des droits de l’homme qui affirment l’égalité des droits et des chances des per­sonnes, qu’elles soient han­di­ca­pées ou non. La néces­si­té de rédi­ger une loi spé­ci­fique pour les droits des per­sonnes han­di­ca­pées montre que les per­sonnes han­di­ca­pées sont consi­dé­rées en France en dehors du reste de la socié­té quand elles devraient pou­voir jouir des mêmes droits humains.

Ensuite, la loi de 2005 ne don­nait pas une défi­ni­tion du han­di­cap conforme à la défi­ni­tion inter­na­tio­nale de la Convention ONU des droits des per­sonnes han­di­ca­pées. Le Guide-barême pour l’évaluation des défi­ciences et inca­pa­ci­tés des per­sonnes han­di­ca­pées (1993) issu de la CIH (Classification inter­na­tio­nale des défi­ciences, inca­pa­ci­tés, désa­van­tages), n’est pas remis en ques­tion. Il a juste été amé­lio­ré en 2007 par un nou­veau décret inté­grant les notions de la CIF (Classification inter­na­tio­nale du fonc­tion­ne­ment). La CIH avait pour­tant été aban­don­née depuis les années 2000 par l’ensemble des pays déve­lop­pés – à l’exception de la France – parce qu’elle se centre sur les inca­pa­ci­tés des per­sonnes et non sur l’inaccessibilité de la socié­té. Les clas­si­fi­ca­tions sont des outils de connais­sances des inca­pa­ci­tés et défi­ciences et pas des outils pour appré­cier les besoins de com­pen­sa­tion des han­di­caps. De ce point de vue encore, on mesure de quelle manière la loi de 2005 a une vision encore ancrée dans le trop res­treint modèle médi­cal du han­di­cap au lieu de chan­ger de para­digme pour aller vers le modèle social du handicap.

Enfin, la loi de 2005 ne remet­tait pas en ques­tion le rôle des asso­cia­tions ges­tion­naires, bien au contraire. Celles-ci ont besoin d’une socié­té inac­ces­sible et vali­diste. C’est la condi­tion au main­tien de leur fonds de com­merce basé sur une approche pure­ment éco­no­mique contraire aux droits humains : les struc­tures ségré­ga­tives où les per­sonnes han­di­ca­pées, vic­times d’un vali­disme sys­té­mique mas­sif, sont enfer­mées une fois exclues de leur école, de leur famille, du tra­vail ou de la socié­té en géné­ral. Parler d’accessibilité en réaf­fir­mant le rôle cen­tral des asso­cia­tions ges­tion­naires dans la ges­tion du han­di­cap en France, c’est donc évi­dem­ment tuer la loi dans l’œuf. L’un ne peut aller avec l’autre. Les asso­cia­tions ges­tion­naires parlent à la place des per­sonnes concer­nées. Les per­sonnes han­di­ca­pées ne sont pas écou­tées, elles n’ont pas la parole et ne décident pas pour elles-mêmes. Un exemple par­mi d’autres : en 2014, le Conseil éco­no­mique, social et envi­ron­ne­men­tal (CESE) man­date le pré­sident de l’UNAPEI, asso­cia­tion ges­tion­naire d’établissements ségré­ga­tifs pour per­sonnes han­di­ca­pées, pour rédi­ger un rap­port sur l’in­clu­sion. L’une des plus grosses asso­cia­tions ges­tion­naires a tout inté­rêt à main­te­nir le sys­tème fran­çais tel qu’il est : le gâteau à se par­ta­ger est de 20 à 25 mil­liards d’eu­ros annuel­le­ment. Son dis­cours n’a pour but que de pro­té­ger les ins­ti­tu­tions et les inté­rêts finan­ciers des éta­blis­se­ments, bibe­ron­nés à l’argent public. Le résul­tat était en pro­fond déca­lage avec les stan­dards inter­na­tio­naux, sans remise en ques­tion du modèle médical.

Il est impor­tant de noter que le gou­ver­ne­ment fait sem­blant de tenir compte du der­nier rap­port du comi­té des droits de l’ONU de sep­tembre 2021 à l’instar du CNCPH qui pré­tend s’être réfor­mé en assu­rant la pré­sence d’une majo­ri­té d’as­so­cia­tions repré­sen­ta­tives des per­sonnes han­di­ca­pées au sein d’un col­lège dédié mais on y retrouve par exemple l’APF, orga­ni­sa­tion ges­tion­naire qui ne répond abso­lu­ment pas aux cri­tères de l’observation géné­rale n° 7 de l’ONU.

Si la loi, dans sa rédac­tion même, pose un cer­tain nombre de pro­blèmes, il faut éga­le­ment conscien­ti­ser que la loi a de plus été détour­née par ordon­nances (école, emploi, acces­si­bi­li­té des bâtis…).

L’application de la loi et la manière dont la socié­té fran­çaise se l’est appro­priée par­ti­cipent à la per­pé­tua­tion du modèle médical.

Le han­di­cap reste per­çu comme un pro­blème de san­té, une par­ti­cu­la­ri­té indi­vi­duelle atta­chée à la per­sonne, et qui pense les per­sonnes han­di­ca­pées comme étant exclu­si­ve­ment des objets de soins, main­te­nues dans la dépen­dance des ser­vices paral­lèles et dans des espaces de vie réser­vés. Elle n’a pas per­mis d’o­pé­rer le chan­ge­ment de para­digme, qu’elle disait pour­tant por­ter, vers un modèle social du han­di­cap, modèle dans lequel le han­di­cap n’est plus envi­sa­gé comme la carac­té­ris­tique d’un indi­vi­du mais comme la consé­quence d’un envi­ron­ne­ment qui fait obs­tacle à la par­ti­ci­pa­tion sociale, modèle dans lequel le han­di­cap n’est pas stric­te­ment un pro­blème de san­té, mais aus­si une ques­tion de socié­té. Centrer le sujet sur l’incapacité des per­sonnes détourne des ques­tions sys­té­miques indis­pen­sables à construire le han­di­cap comme sujet politique.

Le bilan, vingt ans après la pro­cla­ma­tion de la loi, est sans appel. Pour les per­sonnes han­di­ca­pées, pas de droits effec­tifs à la sco­la­ri­té, pas de vie auto­nome, un chô­mage struc­tu­rel, une exclu­sion mas­sive du droit com­mun et une inac­ces­si­bi­li­té encore trop géné­ra­li­sée, donc excluante de la socié­té (loge­ment, trans­port, tra­vail, culture, sport, loi­sirs…). Et cela com­mence dès l’enfance avec, si ce n’est pas une désco­la­ri­sa­tion totale et un enfer­me­ment en ins­ti­tu­tion ségré­ga­tive, une sco­la­ri­té tel­le­ment par­tielle et empê­chée qu’elle aura des consé­quences sur la vie entière des per­sonnes concernées.

Face à l’i­nef­fi­ca­ci­té de la loi, des col­lec­tifs des per­sonnes handicapéEs se sont consti­tués et militent pour l’application de la CIDPH et contre les asso­cia­tions gestionnaires.

Plusieurs asso­cia­tions non ges­tion­naires d’établissements et des col­lec­tifs de militantEs handicapéEs se sont mobi­li­sés dans les années qui ont sui­vi le vote de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la par­ti­ci­pa­tion et la citoyen­ne­té des per­sonnes han­di­ca­pées de 2005. Leurs luttes ont été des réponses aux ten­ta­tives – plu­tôt réus­sies – des gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs de reve­nir sur les faibles avan­cées de la loi en matière d’égalité des droits.

En février 2014 voit le jour à tra­vers une page Facebook un col­lec­tif éphé­mère, le “Collectif Non au report de 2015”. Ils se pré­sentent comme un groupe de citoyenNEs handicapéEs sans attache poli­tique ou asso­cia­tive et affirment s’être réuniEs pour s’opposer au pro­jet de réforme du volet acces­si­bi­li­té de la loi de 2005. Le gou­ver­ne­ment pré­voyait d’a­dop­ter un report visant à don­ner aux équi­pe­ments publics ou pri­vés qui adhé­re­raient au dis­po­si­tif des Ad’AP (agen­das pro­gram­més d’accessibilité) des délais sup­plé­men­taires de 3, 6 à 9 ans pour effec­tuer les tra­vaux de mise en acces­si­bi­li­té. L’adhésion aux Ad’Ap leur per­met­trait éga­le­ment d’échapper aux sanc­tions pénales pré­vues par la loi de 2005, sus­pen­dues durant toute la durée des travaux.

En paral­lèle en mars 2014, Odile Maurin qui avait rejoint l’APF en 2013, lance des mobi­li­sa­tions basées sur la déso­béis­sance civile (blo­cage et occu­pa­tion de bâti­ments de l’État, opé­ra­tions péages gra­tuites, …) pour s’opposer à l’ordonnance acces­si­bi­li­té mais la direc­tion de l’APF fera son maxi­mum pour sabo­ter ces mobi­li­sa­tions puis exclu­ra Odile Maurin de l’APF, ce qui a per­mis ensuite à celle-ci de décou­vrir les luttes anti vali­distes via le CLHEE, des luttes qu’elle-même et Handi-Social, son asso­cia­tion retrou­vée, rejoindront.

De février 2014 jusqu’à l’adoption par ordon­nance du report de la loi en sep­tembre 2014, puis la rati­fi­ca­tion de l’ordonnance acces­si­bi­li­té en août 2015, le col­lec­tif Non au report de 2015 écrit des textes sur leur page Facebook pour dénon­cer notam­ment la com­pli­ci­té des ges­tion­naires dans le pro­jet de loi, se mobi­lise de diverses façons allant des actions coup de poing jusqu’à dif­fé­rentes cam­pagnes d’activisme via les réseaux sociaux dont ils et elles sont les précurseurEs en tant que col­lec­tif de per­sonnes handicapées.

Leur mobi­li­sa­tion s’est pour­sui­vie au-delà de 2014. En 2016, certainEs de ses membres créent le CLHEE (Collectif Lutte et han­di­caps pour l’é­ga­li­té et l’é­man­ci­pa­tion), un col­lec­tif qui affiche clai­re­ment son oppo­si­tion aux asso­cia­tions ges­tion­naires et le pre­mier col­lec­tif de per­sonnes han­di­ca­pées en France à se récla­mer de la lutte anti­va­li­diste et intersectionnelle.

En 2018, le CLHEE dénonce la loi ELAN qui a divi­sé par cinq la pro­duc­tion de loge­ments acces­sibles et consti­tue un net recul en matière d’accessibilité au loge­ment. C’est l’APF, asso­cia­tion ges­tion­naire qui, com­plice du gou­ver­ne­ment, a aidé à divi­ser la pro­duc­tion de loge­ments et pro­po­sé le terme de “loge­ments évo­lu­tifs” pour qua­li­fier des loge­ments inaccessibles.

En paral­lèle du vote de la loi ELAN, en par­te­na­riat tou­jours avec des asso­cia­tions ges­tion­naires, le gou­ver­ne­ment Macron déve­loppe des for­mules telles que les “habi­tats par­ta­gés”, les ”loge­ments inclu­sifs”, qui ne sont en somme que des nou­velles moda­li­tés d’institutionnalisation, comme le sou­lignent les rap­ports onu­siens qui ont éva­lué les poli­tiques du han­di­cap en France.

En 2018 éga­le­ment, le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Toulouse, lors d’un pro­cès que les militantEs de Handi-social avaient qua­li­fié de « pro­cès de la honte » en rai­son de pro­blèmes d’accessibilité et du trai­te­ment indigne qui leur avait été réser­vé, a pro­non­cé pour quinze des inculpéEs des peines de pri­son avec sur­sis pour les actions de déso­béis­sance civile non-vio­lentes qu’ils et elles avaient menées. Il s’agissait notam­ment du blo­cage d’un TGV en gare Matabiau à Toulouse pour récla­mer sa mise en acces­si­bi­li­té, après des années de pro­messes non tenues, et du blo­cage des pistes de l’aéroport de Blagnac pen­dant une heure, pour dénon­cer la loi Elan.

10.2 - La réalité dans les écoles, les collèges, les lycées et l’enseignement supérieur

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S’il est clair que cette loi a glo­ba­le­ment peu amé­lio­ré les condi­tions de vie des per­sonnes han­di­ca­pées, qu’elles res­tent tou­jours aujourd’­hui exclues de la socié­té et du droit com­mun, relé­guées dans des espaces sépa­rés, qu’en est-il plus pré­ci­sé­ment concer­nant la sco­la­ri­sa­tion ? La loi de 2005 est sou­vent pré­sen­tée comme un accrois­se­ment des droits des élèves handicapéEs à l’éducation. Il est éga­le­ment sou­vent écrit que ce droit avait déjà été affir­mé par la loi du 30 juin 1975 dite loi d’orientation en faveur des per­sonnes han­di­ca­pées. Rien n’est plus faux. Les lois de 1975 délé­guaient aux asso­cia­tions ges­tion­naires la prise en charge des per­sonnes han­di­ca­pées en France. Elles réaf­fir­maient l’institutionnalisation comme modèle lorsque, au même moment, dans d’autres pays (Suède ou Italie par exemple), on s’intéressait aux droits humains et à l’égale digni­té de tous les êtres humains en dépas­sant le vieux modèle médi­cal et cha­ri­table pour le modèle social du han­di­cap, outil bien plus poli­tique et émancipateur.

La loi de 2005, mal­gré l’invocation d’une école inclu­sive par les gouvernantEs, ne s’attaquait pas à la tri­par­ti­tion classe ordi­naire /​classes spé­cia­li­sées /​éta­blis­se­ments médi­co-édu­ca­tifs. Vingt ans après, le sys­tème demeure : les pou­voirs publics en France tra­vaillent tou­jours à main­te­nir l’existence des IME et des Itep. Alors même que l’ONU ne cesse de la condam­ner sur ce point, la France campe sur sa posi­tion : la ségré­ga­tion des enfants et adultes handicapéEs est sa poli­tique du handicap.

Le recours à la méde­cine pour trier et orien­ter les élèves demeure puis­sant et très peu remis en ques­tion, ce qui témoigne de la per­sis­tance du modèle médi­cal en France. Ceci alors que le corps médi­cal est lui-même peu for­mé aux han­di­caps. Les Commissions d’orientation vers les ensei­gne­ments adap­tés (CDOEA) pour l’orientation en Segpa et les com­mis­sions des droits et de l’autonomie des per­sonnes han­di­ca­pées qui décident de l’orientation des jeunes en Ulis sont majo­ri­tai­re­ment consti­tuées de professionnelLEs du médi­co-social et d’associations ges­tion­naires, et les per­sonnes han­di­ca­pées n’y ont pas la parole.

L’inclusion dans les éta­blis­se­ments sco­laires d’unE élève handicapéE est encore trop sou­vent condi­tion­née à la pré­sence d’unE accompagnantE dont on connaît la pré­ca­ri­té du sta­tut qui demeure depuis bien­tôt 20 ans éga­le­ment. L’accompagnement par unE AESH (accompagnantE d’élèves en situa­tion de han­di­cap) est la solu­tion très lar­ge­ment choi­sie pour per­mettre à unE élève handicapéE d’être scolariséE en milieu ordi­naire. S’il peut être néces­saire, il reste aujourd’hui trop sou­vent le seul outil d’accompagnement et de com­pen­sa­tion. Cela montre bien que nous avons du mal à sor­tir de la logique de com­pen­sa­tion du han­di­cap et à rendre acces­sible l’en­vi­ron­ne­ment pour entrer dans une approche sociale du han­di­cap. Le prin­cipe des amé­na­ge­ments rai­son­nables consa­crés par le droit euro­péen et inter­na­tio­nal n’est pas mis en œuvre. Les pra­tiques péda­go­giques, les espaces de classe et les fonc­tion­ne­ments toxiques qui ont cours à l’école sont trop peu inter­ro­gés : notations/​évaluations, nor­ma­li­sa­tion des atti­tudes et conduites, éli­tisme, pro­grammes et rythmes à suivre comme si l’école était une chaîne de pro­duc­tion, mythe méritocratique.

Et lorsque les jeunes sont inclusEs dans les écoles, on constate que beau­coup trop d’entre elleux sont isoléEs du reste de la com­mu­nau­té édu­ca­tive : isoléEs en Ulis par­fois au fin fond de l’établissement, placéEs sous la « sur­veillance » constante d’unE AESH, elles et ils ont de trop rares contacts avec leurs pairEs et ne peuvent créer de liens qu’avec les autres élèves handicapéEs et avec les adultes qui les accom­pagnent. De ce fait, incom­pré­hen­sion, moque­ries, peurs, rejets et exclu­sions des élèves handicapéEs res­tent une norme à l’école. La loi 2005 est à ce titre un échec : les pré­ju­gés à l’égard du han­di­cap res­tent per­sis­tants, chez les élèves comme chez les adultes.

Beaucoup (plu­sieurs mil­liers mais aucun chiffre offi­ciel pré­cis) de jeunes res­tent aujourd’hui non scolariséEs et/​ou n’ont pas d’accès à l’école. CertainEs sont à la mai­son, soit par absence de solu­tion, soit par sou­mis­sion à la logique de “tri” qui s’opère désor­mais à l’entrée des éta­blis­se­ments spé­cia­li­sés, ceux-ci cher­chant à prendre en charge les enfants qui néces­sitent le moins de moyens afin de ren­ta­bi­li­ser au maxi­mum leurs orga­ni­sa­tions. Quant à celles et ceux qui inté­gre­raient des IME, Itep, Mas ou CEM, iels sont mas­si­ve­ment déscolariséEs, perdent la socia­bi­li­té en étant éloignéEs de leur entou­rage et n’ont pas d’autres pers­pec­tives d’avenir que la vie en ins­ti­tu­tion ségré­ga­tive où l’on ne choi­sit pas plus ses acti­vi­tés, que ses soignantEs, ses repas ou les per­sonnes avec qui l’on sou­hai­te­rait vivre. En ne for­mant pas les enseignantEs et per­son­nels sco­laires, on orga­nise une vio­lence invi­sible à l’égard des enfants handicapéEs puis on s’étonne que leurs réac­tions puissent par­fois être vio­lentes. La vio­lence ori­gi­nelle est le regard que trop d’enseignantEs portent sur elleux, cou­plé à l’absence d’adaptation du milieu sco­laire au fonc­tion­ne­ment divers de ces enfants.

10.3 - Responsabilités politiques, hiérarchiques & syndicales

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L’échec de la loi 2005 est ins­ti­tu­tion­nel : en grande par­tie construit par les insuf­fi­sances poli­tiques et hié­rar­chiques, mais éga­le­ment por­té par les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, trop à la traîne sur les ques­tions de vali­disme et de handiphobie.

Nous obser­vons depuis plus de quinze ans des publi­ca­tions de textes offi­ciels (cir­cu­laires, arrê­tés, lois…) de plus en plus mar­qués par une rhé­to­rique inclu­sive forte, à l’école comme dans la socié­té en géné­ral mais, dans le même temps, nous consta­tons une école figée dans une orga­ni­sa­tion sys­té­mique qui conti­nue d’exclure, de stig­ma­ti­ser, de trier les élèves : les pro­grammes, les consti­tu­tions de classe, les effec­tifs, les manques de for­ma­tion des per­son­nels, les éva­lua­tions des élèves (diplô­mantes ou non), les logiques d’orientations subies, les manques de moyens… Les injonc­tions para­doxales per­sistent, essen­tiel­le­ment parce que ces textes offi­ciels sont construits avec les asso­cia­tions ges­tion­naires, seules inter­lo­cu­trices des pou­voirs publics. L’objectif prin­ci­pal reste le main­tien d’un sys­tème ségré­ga­tif sans que les per­sonnes han­di­ca­pées elles-mêmes ne soient jamais asso­ciées pour construire ce qui les concerne au pre­mier chef.

Il ne suf­fit pas de décré­ter l’école inclu­sive pour qu’elle soit plei­ne­ment mise en œuvre. Tout comme l’ac­ces­si­bi­li­té, elle n’a jamais été une réa­li­té. Pour opé­rer le tour­nant vrai­ment inclu­sif, une trans­for­ma­tion et une décons­truc­tion des repré­sen­ta­tions et un chan­ge­ment des pra­tiques sont néces­saires. Ces chan­ge­ments ne peuvent cepen­dant pas repo­ser sur la seule bonne volon­té de ceux et celles qui tra­vaillent à l’école. Nous avons besoin de moyens et de for­ma­tion. En ne déve­lop­pant qu’un dis­cours injonc­tif, la hié­rar­chie pro­voque (sciem­ment ?) des réac­tions de rejet d’une par­tie de nos col­lègues, qui retrouvent dans la longue his­toire sépa­ra­tiste de l’école et du han­di­cap en France un sen­ti­ment de sécu­ri­té. À croire que les inten­tions poli­tiques sont de décla­rer l’école inclu­sive pour très vite pou­voir consta­ter qu’elle est impos­sible et que nous puis­sions repar­tir dans un récit tota­le­ment fan­tas­mé d’une école répu­bli­caine faus­se­ment exi­geante et méritocratique.

De fait, trop de col­lègues estiment encore que l’école devrait être un unique lieu de trans­mis­sion, où des élèves normaliséEs devraient obéir, écou­ter, se taire et faire leurs devoirs à la mai­son. Les écueils rele­vant des condi­tions de vie, dont le han­di­cap, ne sont pas pris en consi­dé­ra­tion dans cette concep­tion de l’élève idéalE auquelLE les enseignantEs pour­raient déver­ser leur savoir sans avoir besoin de s’adapter.

Pire encore, mais plus fré­quem­ment, le milieu social comme le han­di­cap peuvent être mis en avant pour prou­ver une pré­ten­due inca­pa­ci­té et exclure l’élève au plus vite du par­cours ordi­naire : orien­ta­tion pro­fes­sion­nelle, mul­ti-exclu­sions, IME, etc.

C’est en cela que consiste en par­ti­cu­lier le vali­disme : « un réseau de croyances, de pro­ces­sus et de pra­tiques qui pro­duit un type par­ti­cu­lier de soi et de corps (la norme phy­sique) qui est pro­je­té comme par­fait, typique de l’espèce, et donc essen­tiel et plei­ne­ment humain. Le han­di­cap est alors pen­sé comme un état infé­rieur d’humanité » (Fiona Campbell, spé­cia­liste en études cri­tiques du han­di­cap). D’un point de vue vali­diste, étant considéréEs comme inférieurEs, moins capables, ces jeunes béné­fi­cient de moins d’école, moins de droits, moins de rela­tions sociales, moins d’autonomie. Elles et ils ne sont pas placéEs à éga­li­té avec les autres jeunes.

Plus encore, les per­sonnes han­di­ca­pées sont tou­jours vues comme dan­ge­reuses pour elles-mêmes et pour les autres, ce qui jus­ti­fie­rait leur exclu­sion et leur enfer­me­ment. C’est ce genre de dis­cours que peuvent tenir certainEs col­lègues à pro­pos de l’inclusion : élève qui mord, qui jette des chaises, qui frappe les autres. Et comme si ces situa­tions étaient mon­naie cou­rante dans les éta­blis­se­ments sco­laires, et du seul fait des élèves handicapéEs : on n’interroge jamais les condi­tions qui ont ame­né cetTE élève à de telles réac­tions (mépris, har­cè­le­ments, exclu­sion). C’est en cela que consiste la han­di­pho­bie : du dégoût, de l’hostilité et du rejet sans com­plexe à l’égard du handicap.

Les orga­ni­sa­tions syn­di­cales n’ont pas moins de res­pon­sa­bi­li­tés dans la per­ma­nence du vali­disme et de la han­di­pho­bie à l’école. Par le main­tien de leurs appels à ouvrir plus de places dans les éta­blis­se­ments spé­cia­li­sés, les orga­ni­sa­tions syn­di­cales entre­tiennent l’idée selon laquelle les enfants handicapéEs n’auraient pas leur place à l’école. Elles nour­rissent l’idée d’un tri et d’une sépa­ra­tion des élèves dès lors que le cri­tère est celui du han­di­cap. Par leur inca­pa­ci­té à tenir les deux bouts de la lutte pour les condi­tions de tra­vail des per­son­nels et de la défense du droit à l’école pour toutes et tous, les orga­ni­sa­tions syn­di­cales légi­ti­ment le rejet des élèves handicapéEs, considéréEs comme res­pon­sables d’une par­tie de la dégra­da­tion des condi­tions de tra­vail des enseignantEs. Pour avan­cer dans la défense d’une école et d’une socié­té réel­le­ment éga­li­taires et justes, donc non vali­distes, il est néces­saire que les orga­ni­sa­tions syn­di­cales par­viennent à construire des com­bats et des reven­di­ca­tions où le sou­ci des élèves, de leurs familles et le sou­ci des per­son­nels ne soient pas en oppo­si­tion. Ce n’est que de cette manière que les luttes seront plus col­lec­tives, plus mas­sives et per­met­tront de gagner de nou­veaux droits pour toutes et tous.

11 - Premières pistes de réflexions pour un syndicalisme accessible…

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SUD édu­ca­tion pro­pose un petit “mémen­to” non exhaus­tif afin d’avancer dans nos pra­tiques mili­tantes, sur l’accessibilité uni­ver­selle de tous nos évé­ne­ments, pro­duc­tions, publications…

  • Des locaux acces­sibles à touTEs
  • Dans nos for­mu­laires d’inscription (pour stages ou autres), pen­ser à ajou­ter des lignes d’expression pour les besoins spé­ci­fiques des per­sonnes (dépla­ce­ments, acces­si­bi­li­té, lumières, alimentation…)
  • En AG, aux CF, congrès, stages… uti­li­sa­tion du micro
  • Prévoir des formes hybrides de nos évé­ne­ments (en pré­sen­tiel ou en distanciel)
  • Au-delà des ques­tions démo­cra­tiques, être très attentifIVEs au res­pect des tours de paroles et au silence de celles et ceux qui ne parlent pas. Pour une per­sonne mal­en­ten­dante, le brou­ha­ha ou la confu­sion de deux ou trois voix qui parlent en même temps peut empê­cher la com­pré­hen­sion et peut être très fatiguant
  • Sous-titrer les vidéos
  • Décrire les images sur les réseaux sociaux ALT (texte alternatif)
  • Textes en FALC (Facile à lire et à comprendre)
  • Normes RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité)
  • Informer de l’ac­ces­si­bi­li­té ou non en amont des évè­ne­ments (accès du bâti­ment, toi­lettes acces­sibles, places de parking…)
  • Attention, pas de pdf image pour la lecture
  • Masques à dis­po­si­tion dans nos locaux militants
  • Attention au point médian pour l’écriture inclu­sive. Préférer les majus­cules (ex : les élèves handicapéEs). Sinon, pour les per­sonnes qui uti­lisent la lec­ture vocale, la lec­ture est très désa­gréable : « les élèves han­di­ca­pé, point médiant, e ». Sur un texte entier, c’est infer­nal ! Ou bien, il faut pro­po­ser une lec­ture enre­gis­trée des textes.

12 - Bibliographie

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SUD édu­ca­tion remer­cie touTEs les auteurs et autrices de cette bro­chure, adhérentEs, militantEs, professionnelLEs, ou ex-professionnelLEs de l’éducation et les membres de la com­mis­sion fédé­rale école inclu­sive de SUD éducation.