Cet article est extrait de la brochure n°94 : la coopérative pédagogique.
Origine de l’évaluation par ceintures de compétence
Quand on parle de ceinture et d’évaluation par ceinture, on fait référence dans un premier temps à une approche inspirée du Judo fondé par le japonais Jigoro Kano. Dans cette discipline, les grades correspondent à des ceintures de couleurs jusqu’à la ceinture noire représentant l’entrée dans la catégorie des yudansha (gradé·es à partir du 1er dan).
En pédagogie, l’approche de l’évaluation par ceinture est due à Fernand Oury, un instituteur qui avec son frère et quelques enseignant·es sont à l’origine de ce qu’on appelle la pédagogie institutionnelle (v. fiche sur la Pédagogie Institutionnelle).
Isabelle Andriot dans son article “Une évaluation qui laisse le temps de réussir” (2008) donne une définition qui correspond à la philosophie de ce qui est exposé dans cette fiche : « Chaque élève peut passer sa ceinture une, deux, trois fois jusqu’à réussite, sans que le nombre de passations ait le moindre effet sur le résultat final. Ce qui fait souvent la différence entre le « bon élève » et l’autre, c’est que le premier sait d’instinct ce qu’attend de lui le système, quand le second peine à le décrypter. Avec ce système, les voici égaux, à la durée près. »
Les raisons de ce choix
Quand j’ai commencé cette pratique, cela répondait à un questionnement sur ma pratique de l’évaluation, dans laquelle je ne trouvais plus mon compte. En effet, dans un contrôle, l’élève n’apprend rien, et dans sa note chiffrée, il n’y a pas non plus d’apprentissage. La notation me paraît une pratique violente dans sa réception, si l’élève obtient un 3/20 iel va se dire qu’iel est nul·le et ne peut pas y arriver. Je cherchais donc une manière d’essayer de faire passer ce blocage aux élèves.
Enseignant en REP+, je me suis confronté à la question de l’adaptation pour des élèves en grande difficultés scolaires. Ce qui m’a fait présenter et obtenir un CAPPEI en candidat libre. J’ai présenté ce qui suit dans le cadre de mon CAPPEI. Au bout de 3 ans, le système est stabilisé.
Avant de me lancer, il a fallu que je crée un fichier d’activité pour ma discipline en fin de cycle 3, ce fichier était inexistant. Aujourd’hui, le fichier est opérationnel, avec quelques ajustements marginaux chaque année sur certaines fiches de ceintures. Les fiches de ceintures sont conçues en lien avec le programme dans leur contenu, ce qui permet de suivre une progression dans la chronologie et d’adapter le contenu des fiches aux connaissances étudiées en classe.
Depuis un an et demi, des ceintures de connaissances (de la blanche à la violette) sont venues compléter les fiches de compétences, je devais m’assurer que les élèves assimilent un certain nombre de repères et de connaissances. Pour chacune des fiches, il existe deux parcours : un parcours Athéna pour les élèves que je repère comme étant le plus en difficulté, dans lequel les exercices sont adaptés (par exemple à de petit·es lecteur·rices/scripteur·rices) ; et un parcours plus classique qui correspond aux attendus de fin de cycle 3. Le fait d’être en parcours Athéna n’est pas une fin en soi, ce parcours est conçu pour permettre une progression plus grande et une prise de confiance de l’élève, un·e élève qui progresse bien peut sortir du parcours Athéna. Je peux également varier les supports proposés, notamment en fabriquant des cartes à jouer ou des supports avec des étiquettes plastifiées à manipuler, pour certains élèves avec des besoins plus spécifiques.
Pour la deuxième année, ma salle est organisées en îlot de 5 élèves, ce qui correspond à la limite d’effectif par classe possible en REP+, chaque îlot a un nom qui correspond à un hybride de la mythologie Grecque (Échidna, Chimère, Griffon, Pégase, Sphynge). La constitution des îlots est faite pour essayer d’équilibrer différents niveaux. Je fonctionne tout le temps en îlot, ce qui me permet de mener plus facilement des tâches coopératives dans le déroulement de mon enseignement.
Comment ça marche dans ma classe ?
Au collège, en sixième, nous avons un volume horaire de trois heures hebdomadaires, pour la troisième année je consacre une heure (toujours la même dans la semaine) au plan de travail en autonomie sur mes trois classes de sixième. Dans le même temps, je ne fais plus de contrôle au sens classique du terme, les élèves ont un plan de travail pour 2 semaines. Iels ont normalement toujours deux séances d’une heure en classe et la possibilité d’emporter le plan de travail avec elleux et de l’avancer à la maison. Les élèves laissent leurs classeurs dans ma salle dans des bacs dédiés par classe et par îlots, iels peuvent y laisser leur plan de travail s’iels ne souhaitent pas le prendre avec elleux ou ont peur de le perdre. Les compétences qu’iels travaillent dans les plans de travail me servent à les évaluer. Avec ce fonctionnement, je les évalue plus souvent (tous les 15 jours). Les compétences de l’année sont affichées sur un tableau dans la classe (voir ci-dessus).
Au début, pour familiariser les élèves à la pratique du plan de travail et au fonctionnement de la classe, je leur donne une feuille de route avec les compétences à travailler dans ce plan de travail. Par la suite, iels pourront faire leur plan de travail en repassant les compétences non validées.
Pendant les séances de plan de travail, les élèves sont en îlot de 5, et disposent chacun·e d’un tétra’aide qui leur permet de me communiquer leur état ressenti dans le travail, un fond sonore calme nous sert d’indicateur de niveau sonore, le code son associé à cette pratique est “chuchoter”. Chaque îlot dispose d’une jardinière qui contient des outils pour apprendre : lexiques, dictionnaires et des sous-mains (aides méthodologiques).
Au fond de ma salle de classe, il y a des classeurs d’autonomie qui contiennent l’ensemble des fiches réparties en entraînement, pré-ceintures et ceintures, et un classeur parcours Athéna, dans lesquels les élèves seront amené·es à aller chercher les fiches dont iels auront besoin. Pour savoir où iels en sont de leur progression, iels peuvent se reporter à l’affichage sur le panneau (fig) à côté de mon bureau, l’ensemble des compétences, ils se reportent à l’affichage des compétences pour avoir les correspondances. Le tableau est évolutif, quand une compétence est repassée et validée, la date de validation est indiquée dans le tableau, l’élève peut suivre son évolution. Pour certain·es élèves cela peut créer des déclics, iels vont se mettre à consommer de la fiche de compétence pour valider ce qui ne l’est pas.
Pour les élèves les plus avancé·es, iels peuvent venir en aide à leurs camarades, sans me demander la permission de bouger dans la salle. Le temps de plan de travail est un peu plus libre quant aux déplacements dans la salle de classe.
Une expérience qui se construit avec les élèves
Dans le cadre de la préparation de mon CAPPEI, j’avais sondé de façon anonyme les élèves qui utilisaient les plans de travail proposés, voici le fruit des questionnaires anonymes que j’avais récolté.
Le premier diagramme (page ci-contre) présente la population d’élève qui a répondu, parmi lesquel·les des élèves en PPRE et des élèves pré-orienté·es SEGPA.
L’information tirée de ce second graphique (page ci-contre) permet de constater que les élèves sont dans une zone de confort, les fiches sont d’une difficulté qui leur semble moyenne, ce qui les placent dans la “zone proximale de développement”. Les confinements et les deux dernières années compliquées ne m’ont pas permis de refaire l’enquête auprès des élèves, ce que je compte refaire cette année.
Le fonctionnement que je propose dans le cadre de l’évaluation par ceinture en plan de travail, permet de moins mettre les élèves sous pression de la note, ou du contrôle. D’ailleurs, quand on est en plan de travail, les élèves oublient souvent que c’est ce qui va servir à leur évaluation, ce qui n’empêche pas qu’iels fassent le travail sérieusement.