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Dans l’Éducation nationale, on parle peu de “dérèglement climatique” ou de “crise écologique”. La circulaire du 29 septembre 2020 cadre l’action de l’Éducation nationale autour de la notion de “développement durable” qui ne fait pourtant pas l’unanimité et est même souvent un frein à l’appropriation par les équipes pédagogiques des questions écologiques. Le concept de “développement durable” est obsolète, il date de 1987. Il fait l’impasse sur les racines de la crise écologique et ne permet donc pas d’y répondre. Le “développement durable” désigne la tentative pour le gouvernement de concilier une écologie de vitrine à la poursuite d’un système économique capitaliste et productiviste. Cette opération de verdissement de l’école est l’occasion pour le ministère d’imposer et de généraliser sa logique de labellisation via le dispositif “E3D”.
La labellisation E3D : comment ça marche?
La labellisation s’obtient sur la base du volontariat. Elle s’inscrit dans la dynamique de projets impulsée par le ministère et récompense des écoles ou établissements scolaires qui montent des projets en lien avec le “développement durable” et qui les intègrent au projet d’école ou d’établissement.
Il y a six conditions à remplir pour demander la labellisation :
1. L’adaptation aux programmes scolaires
2. La formation de tous les usager•es, enseignant•es, élèves et éco-délégué•es, personnels d’éducation, de direction, d’encadrement, administratifs, de santé, sociaux et techniques, parents, associations partenaires (“stage d’équipes”, “formation d’initiative locale”...)
3. La mobilisation des élèves via les éco-délégué·es
4. La qualité du lien collaboratif avec la collectivité territoriale de rattachement dans la gestion durable du bâti scolaire (fournitures, énergie, eau, nourriture, déchets et recyclage, maintenance et nettoyage, etc.) avec la réalisation de projets communs
5.Les partenariats extérieurs
6. L’anticipation et la valorisation des projets par une communication institutionnelle.
Les écueils de la labellisation
Ces six conditions sont particulièrement difficiles à remplir. SUD éducation porte des revendications et construit des argumentaires pour se réapproprier les actions des équipes mais aussi pour se défendre face aux exigences de l’administration lorsque les personnels veulent agir pour la transformation écologique de l’école.
Contre le travail gratuit
Les conditions pour accéder à la labellisation nécessitent d’engager un temps bénévole important pour les personnels. Dans le second degré, le ou la chef•fe d’établissement peut décider de flécher une IMP pour le développement durable pour rémunérer un•e référent•e E3D ou une équipe de référent•es. Cela reste insuffisant malgré tout.
Pourtant on sait que selon le territoire dans lequel on travaille, les conditions de travail ne sont pas les mêmes. Les personnels qui exercent dans des quartiers populaires ont une charge de travail supérieure (en REP+, décharge horaire ? attention vigilance) en assurant un accompagnement social qui n’est souvent pas assuré par les personnels médico-sociaux faute de personnel en nombre suffisant. De même, les femmes disposent en moyenne moins librement de leur temps que leurs collègues hommes en raison des inégalités dans les tâches domestiques. Enfin, on remarque que les personnels en situation de handicap ne peuvent généralement pas étendre leur temps de travail en assurant des missions supplémentaires.
Pour SUD éducation il faut impérativement gagner du temps de formation, de concertation, d’élaboration de projets sur le temps de travail en gagnant des temps banalisés. L’administration compte sur le bénévolat des personnels pour construire des projets écologiques. Or, il faut gagner les moyens pour qu’un maximum de personnel puisse s’investir. Ce travail réalisé doit être reconnu par l’institution qui doit donner au personnel les moyens techniques humains et financiers de les porter et de les faire perdurer.
Des inégalités sur le territoire
On observe que la labellisation repose en partie sur la collaboration avec les services déconcentrés, les collectivités territoriales et les partenaires extérieurs. Pourtant on sait que selon les académies et les territoires, les possibilités de débloquer des moyens sont très hétérogènes. Or, les collectivités territoriales pourraient être un pivot pour que ces labellisations ne soient pas juste des opérations de sensibilisation à la crise écologique et une éducation aux petits gestes. Ce sont elles qui ont les informations (factures d’eau, d’énergie ) et les vrais leviers d’action (ampoules leds chasses d’eau, isolation énergétique, chauffage, politique d’achat, gestion des déchets…) Les personnels doivent déployer du temps et de l’énergie pour trouver des contacts et des informations par leurs propres moyens. Dans le 2nd degré, les représentants du département et de la région viennent rarement en CA et répondent toujours par la même réponse : budgétisation triennale, manques de moyens...
Ce sont les écoles et établissements des territoires les plus pauvres qui auront le plus de difficultés à monter des projets avec des collectivités territoriales sans moyens. De même, l’offre de formation en matière d’éducation à l’écologie est très diverse selon les académies. Ces exigences favorisent un certain clientélisme. Les écoles et établissements doivent “faire leur promotion” pour obtenir des financements et un accompagnement.
L’exigence de partenariat extérieur doit pousser les personnels à se montrer très vigilants. Dans un contexte de greenwashing, les entreprises élaborent des partenariats éducatifs pour diffuser l’idéologie du capitalisme vert et pour se donner une meilleure image. Les élèves sont alors encouragés à ramasser des déchets autour de centres commerciaux, à planter des arbres financés par des entreprises…
Partons du terrain !
Ces exigences introduisent progressivement une pratique descendante. Les personnels ne sont plus libres de déterminer selon les besoins des élèves le projet qu’ils souhaitent construire et développer, ils se retrouvent à satisfaire aux contraintes académiques et ministérielles. Or, on sait qu’un projet a besoin de répondre au terrain pour que les personnels et les élèves y adhèrent. De même, la lourdeur administrative des multiples dossiers, autorisations, demandes de subvention à formuler pour chaque sortie ou pour chaque projet, découragent les équipes. Le chemin vers la labellisation s’apparente à un dédale de dossiers administratifs à remplir.
Responsabiliser l’administration
De plus, on remarque que l’administration encourage à construire des projets qui visent à changer les comportements des élèves qu’il faudrait rendre plus “écoresponsables”. Or, le fonctionnement même des écoles et établissements scolaires est à revoir. L’exemple du tri des déchets est particulièrement intéressant. Dans certains établissements, les personnels ont mis en place des dispositifs de sensibilisation des élèves au tri des déchets. On observe pourtant que si les élèves trient leurs déchets, les agent·es d’entretien ne disposent que d’une même poubelle pour tous les déchets.
Les élèves ne peuvent être l’unique cible de ses projets sinon ils risquent de rester vains.
Contre la mise en concurrence des équipes
Enfin, le principe même de la labellisation induit une mise en concurrence des personnels et des équipes puisque la labellisation et ses exigences impliquent que tous les établissements et écoles ne peuvent y avoir accès.
Pour SUD éducation, la transformation écologique de l’école doit être une priorité. Un des principaux écueils de la démarche de labellisation est de conditionner la prise en charge des enjeux écologiques au volontariat des équipes. La lutte contre le dérèglement climatique ne peut rester optionnelle : elle doit être intégrée au temps scolaire, sinon ce serait faire peser sur les personnels la responsabilité de participer ou non, bénévolement, à la reconversion écologique du service public d’éducation.
Alors comment agir ?
Il n’est pas question pour SUD éducation de dire au personnel de participer ou non à la démarche de labellisation E3D. Si la démarche de labellisation peut permettre de gagner des avancées pour reconversion écologique de l’école, c’est une avancée. Cette démarche peut être un argument face aux chef·fes d’établissement pour obtenir leur aval dans les actions que l’on mène, pour mettre en débat l’écologie auprès des collègues même les plus réticent·es et surtout pour créer du collectif dans les équipes autour de l’écologie. On peut aller au-delà de la démarche institutionnelle de la labellisation grâce à l’action syndicale et collective.
Continuons à porter collectivement des revendications pour que chacun·e puisse se saisir des enjeux écologiques :
• par la formation : exigeons des formations sur temps de travail et la diffusion des supports de formation aux personnels
• par des temps de concertation : exigeons du temps de concertation sur temps de travail
• par une communication transparente des moyens fléchés par les académies et les collectivités territoriales pour la reconversion écologique des écoles et établissements scolaires
• par un allégement des procédures administratives dans l’élaboration de projets.