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Une révolution énergétique à mener
La crise climatique nous impose un changement radical de comportement vis-à-vis de l’énergie. D’ici 2050, nous devons atteindre la neutralité carbone, c’est-à-dire réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre et compenser le reliquat par des « puits carbones ». C’est l’objectif inscrit dans la Stratégie Nationale Bas Carbone, qui décline pour la France l’accord de Paris de 2015 (au niveau mondial). Cela passe par deux leviers principaux :
1) Diviser par deux notre consommation énergétique d’ici 2050
2) Décarboner totalement notre production d’énergie.
La division par deux de notre consommation énergétique va nous conduire à revoir l’ensemble de nos modes de vie et tous les secteurs de notre modèle social : relocaliser l’industrie, se déplacer moins et mieux (transports en commun et mobilité douce), développer les circuits courts et le recyclage, isoler nos bâtiments, etc. D’autant plus qu’il faut également réduire notre impact écologique global pour tenir compte de l’effondrement de la biodiversité, l’épuisement des ressources, la pollution de l’air et de l’eau, etc.
La décarbonation de notre production énergétique est, elle aussi, une révolution puisque la moitié de l’énergie primaire consommée est aujourd’hui carbonée (pétrole et gaz naturel principalement). Cette part monte même aux trois quarts en Europe et 80% à l’échelle mondiale.
Progressivement, l’énergie sera principalement issue du soleil et du vent, plus éventuellement de l’uranium – via le vecteur électricité et de la biomasse (pour la chaleur et le transport). L’électricité, qui représente aujourd’hui environ un quart de l’énergie consommée, va devenir majoritaire.
Prôner un choix démocratique parmi les « futurs énergétiques » possibles
Plusieurs voies sont possibles pour mener cette transformation profonde Mais, quelles que soient les options, il faut dès aujourd’hui lancer des investissements lourds pour garantir, dans les prochaines décennies, que le parc de production permettra de répondre à la demande à chaque instant, que le réseau et les moyens de stockage seront adaptés. Ces contraintes nécessitent une planification de long terme, sur la base de scénarios décrivant les « futurs possibles ».
Plusieurs organismes ont aujourd’hui fait ce travail. Nous pouvons citer notamment les scénarii de l’association NegaWatt, toutes énergies, qui vise une réduction forte de la consommation et la sortie du nucléaire ; les scenarios toutes énergies de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), avec et sans nucléaire ; et surtout les scénarios électriques 2050 de RTE, avec et sans nucléaire, intégrant des variantes de consommation autour de l’hypothèse de base de réduction de moitié.
Ces scénarios font l’objet d’une analyse détaillée sous l’angle technique, économique, écologique et sociétal. Nous pouvons en extraire quelques grands messages :
1) Quel que soit le choix du parc de production, avec ou sans nucléaire, il faudra baisser drastiquement notre consommation d’énergie et partir des besoins. Il faudra également développer fortement les énergies renouvelables. En effet, de l’aveu même des acteurs de la filière nucléaire (Areva, EDF), celle-ci ne pourra pas couvrir plus de la moitié de la production électrique pour des contraintes industrielles (temps de développement).
2) Toutes les filières de production ont un impact écologique et sociétal : par exemple, consommation des ressources, occupation des sols et impact sur les paysages pour le renouvelable ; risques d’accident, gestion des déchets pour le nucléaire, auquel on pourrait ajouter l’incapacité à généraliser cette solution à l’échelle mondiale.
Tous les scénarios comportent également des paris et des risques industriels et technologiques : faisabilité de la mise en service des nouveaux réacteurs nucléaires (EPR) et risques de défauts génériques comme c’est le cas actuellement, développement important de moyens de stockage de longue durée pour les scénarios 100% renouvelables (hydrogène ou méthane de synthèse).
3) Les scénarios 100% renouvelables sont aujourd’hui crédibles techniquement, aux dires mêmes de RTE. Ils ne sont plus l’apanage d’organismes militants.
4) Ils ne sont pas significativement plus chers que ceux comportant une part de nucléaire, avec un surcoût de l’ordre de 15% à l’horizon 2050, marginal par rapport aux variations de prix de l’énergie que nous avons connues tout récemment. Il est donc contre-productif de prétendre que les renouvelables sont moins chères que le nucléaire (en omettant souvent les surcoûts liés aux besoins d’équilibrage) et de renforcement de réseau): il suffit de reprendre les conclusions de RTE - un écart de 15%, sous réserve du respect de nombreuses hypothèses, pour conclure donc dans l’épaisseur du trait – fin des débats.
LE CHOIX DU SCÉNARIO N’EST DONC PAS ÉCONOMIQUE ET LE CRITÈRE DE CHOIX PRÉDOMINANT DEVRAIT ÊTRE LA RECHERCHE D’UNE EMPREINTE ÉCOLOGIQUE MINIMALE.
Au-delà, puisque la réduction de la consommation n’est pas principale « négociable », la principale question qui se pose est la suivante : préférons-nous le risque d’accident nucléaire et les déchets radioactifs, auquels s’ajoutent la difficulté à trouver un modèle généralisable aux pays en développement ou bien les difficultés d’accès aux ressources et d’utilisation de l’espace liées à la construction massive de panneaux solaires et d’éoliennes ? C’est un choix complexe sur lequel chacun peut avoir une position. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, les deux options sont techniquement et économiquement acceptables.
POUR L’UNION SYNDICALE SOLIDAIRES, LE CHOIX EST FAIT : CELUI DE LA SORTIE DU NUCLÉAIRE.
SUD-Energie ne se détermine pas en tant que syndicat. Mais nous pensons que ce choix doit être démocratique et se matérialiser par un referendum sur la base de scénarios. Ce referendum devrait bien sûr être précédé d’un large débat, et éventuellement d’une préparation des scénarios à soumettre par une convention citoyenne sur la base des travaux existants (RTE, Ademe, négaWatt, etc.) et d’auditions des différentes parties. Trop longtemps, les choix énergétiques, structurants pour notre avenir, ont été préemptés par une « élite éclairée ». Il est tant que les citoyens se saisissent de cette question : cela redonnerait un élan à une démocratie moribonde et susciterait une prise de conscience collective des défis auxquels nous sommes confrontés, de l’absence de solutions simples et indolores.
Pour une transition énergétique socialement soutenable, sortir du financement privé et des marchés
Un recours très coûteux à l’investissement privé
Un autre enseignement des « futurs énergétiques 2050 » de RTE est que, contrairement à l’idée répandue, la transition écologique ne devrait pas entraîner une explosion des coûts (donc des factures), tout au moins pour l’électricité. Et il n’y a pas de raison qu’il en soit différemment pour les autres énergies, principalement la biomasse.
Ainsi, RTE estime entre 15% et 30% l’augmentation des coûts par kWh consommé d’ici 2050 : 15% pour le scénario de référence avec nucléaire, 30% pour le scénario 100% renouvelable, soit moins de 1% par an !
En revanche, le paramètre économique essentiel est le « coût du capital» (ou coût de financement), c’est-à-dire les intérêts d’emprunts bancaires et le coût de rémunération des capitaux apportés par les actionnaires. Ainsi, si le système électrique est financé à 4%, son coût total annuel augmente de 29% par rapport à un financement à 1%, et de 64% pour un financement à 7%. Cela pour le scénario de référence 100% renouvelable (scénario n°M23). Pour le scénario de référence avec nucléaire (N2), le surcoût est encore plus élevé (+38% pour un financement à 4% et +82% pour un financement à 7%). Ces surcoûts liés aux conditions de financement (ou coût du capital) sont bien supérieurs aux surcoûts liés au fait de se passer de nucléaire.
Or l’Etat peut sans difficulté emprunter à 1%, et même moins. En revanche, 4% sont un minimum pour un financement privé et il est fréquent de monter à 7%, voire plus. Par exemple, EDF, qui se comporte comme un acteur privé au Royaume-Uni, a demandé un taux de rémunération de 9% pour le projet nucléaire Hinckley Point… Aux frais des usagers ou des contribuables britanniques, bien sûr, car à la fin, il faut bien que quelqu’un paye !
EN RÉSUMÉ, CE N’EST PAS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE QUI NOUS COÛTE CHER, MAIS LE RECOURS AU FINANCEMENT PRIVÉ !
Une mise en concurrence catastrophique
A cela s’ajoutent les coûts de la mise en concurrence du système électrique, imposée par des directives européennes de 1996. Il a fallu découper l’acteur public EDF en morceaux, filialiser la gestion du réseau qui reste en monopole (Enedis pour le réseau de distribution et RTE pour le réseau de transport Haute Tension). Puis faire apparaître de force des « fournisseurs alternatifs », « concurrents » d’EDF qui, dans la très grande majorité, ont une activité purement commerciale et financière : ils ne produisent pas, ne stockent pas, ne transportent pas, ne livrent pas l’électricité. Ils ne la choisissent même pas ni ne comptent la consommation de leurs « clients ». Ils spéculent sur les marchés – créés pour leur permettre de s’approvisionner, démarchent les clients avec des techniques très largement décriées par les associations de consommateurs (pas facile de se démarquer quand on ne fait rien !) et font du lobbying pour obtenir des dérogations invraisemblables. Ils ont par exemple obtenu le droit d’acheter à EDF un quart de sa production nucléaire à prix coûtant quand les prix de marché sont hauts. Et quand ils sont bas … et bien ils achètent au prix de marché et EDF se débrouille (mécanisme de l’ARENH, augmenté cette année). Ils ont aussi obtenu la disparition de la plupart des tarifs réglementés et la transformation radicale de ceux qui restent (pour l’électricité des particuliers et des très petites entreprises) : la loi impose que ces tarifs soient « contestables, c’est-à-dire suffisamment hauts pour permettre aux fournisseurs parasites de faire une offre moins chère ! Dans cet objectif, les tarifs reflètent désormais la manière dont ils s’approvisionnent – en partie à prix coûtant du nucléaire et en partie sur les marchés. Or les prix de marché sont « aberrants », aux dires même de notre ministre de l’Economie, Bruno Le Maire (qui a mis quand même 20 ans à s’en rendre compte) : ils sont indexés au prix du gaz, qui n’entre pourtant que pour quelques pour cent dans les coûts de l’électricité. C’est ainsi que les tarifs de l’électricité se sont envolés, dans la suite des prix de marché de l’électricité qui suivent eux-mêmes les cours mondiaux du gaz… L’Etat a dû intervenir en pompier en inventant une fois de plus des mécanismes coûteux pour la collectivité pour « contenir » cette hausse à 4%… alors que les coûts du système électrique n’ont augmenté que de… 4% entre 2020 et 2021, et de moins de 5% en 2 ans.
EN PLUS DES PRIX ÉLEVÉS, LES CLIENTS PRÉCAIRES SONT MOINS BIEN ACCOMPAGNÉS, L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT ENTRE USAGERS A VOLÉ EN ÉCLAT, CETTE DÉSORGANISATION ET CETTE VOLATILITÉ DES PRIX ENTRAVENT LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE …
Leur seul argument ? Les textes européens nous l’imposent, donc on devrait continuer à accepter ce saccage !
Nous ne pouvons plus attendre : syndicats comme associations d’usagers et représentants politiques doivent imposer une gestion publique de ce bien essentiel qu’est l’énergie. Cela passe par une sortie du marché et de la concurrence.
Dans Solidaires écologie : bulletin n°9, par Anne Debrégeas de SUD énergie.