[Brochure n°92] Des repères pour comprendre la crise écologique

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Le réchauffement climatique

L’effet de serre est un phénomène naturel et nécessaire à la vie. Cependant, depuis la révolution industrielle au XIXe siècle, les activités humaines ont conduit à rejeter dans l’atmosphère massivement plus de gaz à effet de serre (GES) : du dioxyde de carbone (CO2), mais aussi du méthane, du protoxyde d’azote ou des gaz fluorés. Ces gaz proviennent de combustions (centrales électriques, déforestation par le feu, moteurs à essence, chauffage...), de l’industrie et de l’agriculture intensive.
La révolution industrielle a ainsi bouleversé le cycle du carbone. Les végétaux sont des pièges à carbone, grâce à la photosynthèse. Les énergies fossiles (houille, charbon, pétrole, gaz) proviennent d’êtres vivants morts il y a des dizaines, voire des centaines de millions d’années. La révolution industrielle a reposé sur la puissance de ces sources d’énergie, qui concentrent ce qui ne pourrait être obtenu qu’en brûlant des quantités de bois qui ne peuvent être reconstituées à une telle vitesse. Mais ce faisant, elle a entraîné une hausse inédite du carbone dans l’atmosphère, engendrant un réchauffement d’une rapidité jamais vue. Dans le même temps, toutes les activités impliquant de couper ou brûler la végétation (artificialisation des sols, déforestation pour créer des terres agricoles) diminuent le piégeage du carbone.
D’autres réchauffements climatiques ont eu lieu dans l’histoire de la planète. Cependant, ceux-ci se sont opérés sur des milliers, voire des dizaines de milliers d’années. La particularité du réchauffement que nous vivons réside dans sa rapidité, donc dans la brutalité de ses conséquences et les difficultés pour les êtres vivants à s’y adapter. Il est aggravé par des boucles de rétroaction : par exemple, le réchauffement engendre la fonte du permafrost (ou pergélisol, les glaces qui ne fondent ordinairement pas), qui entraîne la libération de gaz à effet de serre qui y étaient piégés, accélérant le réchauffement climatique. Ou encore : le réchauffement fait reculer les forêts, capteurs de carbone, ce qui augmente à son tour le réchauffement. Ces boucles de rétroaction rendent plus difficiles les prévisions, et les estimations qui sont faites sur le réchauffement s’affinent en général vers le pire.
Les conséquences du réchauffement climatique sont de plusieurs ordres. Ce sont la multiplication et l’intensification des épisodes de sécheresse et de canicule, mais aussi l’augmentation des pluies dans les zones humides : l’océan étant plus chaud, il y a plus d’évaporation, plus de nuages, donc plus de précipitations. Le risque d’inondations est augmenté, et c’est aussi la force des cyclones qui est accrue. La montée des eaux, du fait notamment de la fonte des glaces, menace de nombreux territoires côtiers.

Des certitudes scientifiques

Ces mécanismes sont des résultats scientifiques désormais bien établis, notamment par l’intermédiaire des travaux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’Évolution du Climat). Créé en 1988, il rassemble des experts qui représentent les États membres. Il ne fait pas un travail de laboratoire de recherche, c’est-à-dire de production de connaissances, mais un travail de synthèse et d’évaluation des travaux de recherche des différentes sciences apportant des connaissances sur les changements climatiques, leurs causes, leurs effets et ce qu’on peut faire face à cela. C’est une institution transparente, qui dévoile l’ensemble de son fonctionnement sur son site internet, et très prudente : elle a travaillé des années pour pouvoir avancer ses conclusions avec certitude. Celles-ci se résument de la façon suivante : il y a un dérèglement climatique aux conséquences considérables ; son origine réside dans les activités humaines ; nous pouvons agir pour enrayer ce mécanisme et pour nous adapter à ce que nous ne pourrons pas éviter, à condition de mettre en œuvre des transformations majeures de nos sociétés et de nos économies.

Quelles sont les solutions ?

L’arrêt des émissions de gaz à effets de serre est un préalable inévitable. Un pays comme la France s’est ainsi engagé à diviser par deux sa consommation d’énergie et à décarboner sa production à l’horizon 2050 : c’est la Stratégie nationale Bas Carbone, inscrite dans la loi depuis 2015.
Comment y parvenir ? Le GIEC a notamment proposé des scénarios socio-économiques, en évaluant leurs effets sur le réchauffement climatique. Le scénario le plus efficace pour limiter le réchauffement climatique repose sur une transformation de l’économie, qui cesse de prendre la croissance économique pour objectif pour lui substituer le bien-être humain et la réduction des inégalités sociales. Pourtant, le terme de « décroissance » continue d’être manié comme un épouvantail par la plupart des décideurs politiques et économiques. Or il s’agit simplement de sortir du productivisme comme modèle de société, où il s’agit de produire et de vendre toujours plus, nécessairement en captant toujours plus de ressources naturelles, bien au-delà de ce que la planète est capable de reconstituer dans le même temps.
L’inaction climatique des décideurs politiques et économiques ne peut se comprendre que par le souci, dans un système capitaliste, de maintenir à tout prix la logique d’accumulation de richesses, et les profits d’un petit nombre. Par la certitude, aussi, qu’ils trouveront les moyens de protéger une élite privilégiée des conséquences les plus graves de la crise climatique. Elle est adossée à une croyance dans des solutions techniques, qui ne sont ni certaines, ni toutes souhaitables. Ainsi, la filière nucléaire reconnaît elle-même qu’elle ne pourra pas faire plus que la moitié de notre production d’énergie, donc qu’elle ne pourra pas à elle seule remplacer les énergies fossiles. Une autre technique est parfois évoquée : la géo-ingénierie solaire. Il s’agit de créer une sorte de bouclier de particules aérosols qui occulte une partie de la lumière du Soleil. Les scientifiques sont très circonspects sur cette technique, que nous ne sommes pas certains de pouvoir faire aboutir, et qui serait surtout très complexe et coûteuse, rendant l’humanité encore plus vulnérable aux crises économiques ou politiques. En effet, l’arrêt de l’envoi de particules entraînerait la remontée presque immédiate des températures d’un seul coup, sans aucune possibilité d’adaptation.
Les deux seules solutions viables qui s’offrent à nous sont donc la réduction de la consommation d’énergie, cette « sobriété » qui est aujourd’hui dans toutes les bouches, mais qui doit devenir un socle de notre système économique sur le long terme, et dans l’adaptation au réchauffement climatique. Notre vie n’en serait d’ailleurs pas forcément plus triste, si l’on pense par exemple au fait que la réduction du temps de travail est l’une des voies pour la réduction de la consommation : elle est aussi dans l’intérêt des travailleurs et travailleuses.

Une crise écologique pas seulement climatique

L’urgence climatique ne doit pas être traitée isolément des autres questions environnementales. Le nucléaire, par exemple, procède de choix qui font peser de nombreuses menaces sur nous et sur les générations futures : gestion des déchets radioactifs, éventualité d’accidents aux conséquences dévastatrices. Le risque zéro n’existe pas dans les centrales nucléaires, comme l’a montré la catastrophe de Fukushima en 2011. Elles peuvent être des enjeux, voire des cibles en cas de guerre, comme aujourd’hui en Ukraine.
La Terre est un système et l’on ne peut pas se satisfaire de solutions au réchauffement climatique qui mettent en danger d’autres conditions de son habitabilité. Pour le faire comprendre, un groupe de 28 scientifiques menés par le chercheur suédois Johan Rockströlm a proposé en 2009 de définir 9 « limites planétaires », qui sont les frontières au sein desquelles la planète peut absorber les effets des activités humaines tout en maintenant des conditions de vie supportables pour l’humanité1. Au-delà de ces frontières, le risque de perturbation des processus de régulation planétaire s’accroît. Passer en revue ces frontières permet de dresser un panorama des défis que nous avons aujourd’hui à affronter. Celles-ci forment un système, dans la mesure où les processus en jeu ont aussi des effets, d’atténuation ou d’aggravation, les uns sur les autres.

1. Le changement climatique est lui-même une frontière planétaire, qui agit à son tour sur d’autres, comme l’acidification des océans.
2. L’introduction d’entités artificielles (ou pollution chimique). On désigne par là des éléments fabriqués ou modifiés par les activités humaines : substances chimiques, plastiques, insecticides, nanoparticules, OGM, ou éléments naturels concentrés comme les métaux lourds. Ceux-ci s’incorporent aux cycles du vivant. Les conséquences nocives sont plus complexes à établir puisqu’il faut raisonner au cas par cas, en fonction de la durée d’exposition, des effets cocktails entre produits, etc. Ce qui signifie aussi que nous les produisons et utilisons massivement sans toujours connaître leurs effets sur le long terme.
3. L’érosion de la couche d’ozone. C’est le premier risque environnemental qui a fait l’objet d’une prise de conscience internationale. C’est le « trou dans la couche d’ozone », couche d’ozone qui nous protège des effets néfastes des rayons du Soleil. Les molécules d’ozone sont détruites par les molécules chlorées, interdites en 1987. Depuis, la couche d’ozone s’est ré-épaissi, essentiellement parce que les molécules en cause pouvaient facilement être remplacées par d’autres, ce qui n’est pas toujours le cas.
4. La charge atmosphérique en aérosols. C’est ce qu’on appelle la pollution atmosphérique aux particules fines, dangereuses pour les voies respiratoires.
5. L’acidification des océans. Le CO2 se dissout dans les océans, de sorte que ces derniers sont un puits de carbone qui atténue le réchauffement climatique. Mais le carbone à son tour acidifie l’eau, avec des effets sur la biodiversité marine et, par exemple, les récifs coralliens.
6. Le cycle de l’azote et le cycle du phosphore. L’azote est un élément chimique indispensable à la production des plantes. Au début du XXe siècle, des procédés chimiques permettant l’apport artificiel d’azote dans les terres agricoles (engrais azotés) ont permis de démultiplier la productivité agricole. À tel point que le cycle de l’azote se trouve déséquilibré. C’est notamment l’origine de la pollution en nitrates des sols et des eaux, et de la prolifération des algues vertes, qui dégagent des gaz nocifs lorsqu’elles pourrissent en amas. Comme pour le cycle de l’azote, c’est notre modèle de production agricole intensive qui est en cause. Le phosphore est le premier nutriment de la photosynthèse et il est aussi utilisé dans les engrais chimiques, avec pour conséquences un épuisement des ressources de phosphore, mais aussi des pollutions de l’eau.
7. Le cycle de l’eau douce. L’été 2022 l’a montré de façon criante : des territoires en France qui s’estimaient à l’abri des pénuries d’eau potable ont vu leurs réserves s’épuiser. Nous prélevons trop d’eau douce, entraînant des compétitions pour l’accès à cette ressource entre activités humaines, mais aussi entre espèces.
8. Le changement d’occupation des sols. C’est la déforestation et l’urbanisation. La déforestation est notamment la conséquence de notre modèle agricole, et de certaines activités en particulier comme l’élevage, l’huile de palme, le café ou les agrocarburants. L’artificialisation des sols menace et segmente les habitats de la biodiversité. Elle altère aussi le cycle de l’eau, car elle modifie les capacités d’infiltration du sol et le climat.
9. L’intégrité de la biosphère. Elle comprend l’érosion de la biodiversité, avec la sixième grande extinction, que nous sommes en train de vivre. La biodiversité est elle-même menacée par les autres dépassements, comme le réchauffement climatique, la perturbation du cycle de l’eau, ou encore le changement d’occupation des sols.

Justice environnementale, justice sociale

Qui sont les responsables de cette situation ? De nombreuses sociétés humaines ont causé des dommages sur leur environnement. Cependant, la révolution industrielle au XIXe siècle, sa logique productiviste reposant sur l’extraction massive de ressources naturelles en vue de l’accumulation capitaliste, nous a fait passer un cap dont nous percevons aujourd’hui les limites. Les causes et les conséquences de la crise environnementale épousent les frontières de classe. Ce sont les pays les plus riches, les plus consommateurs, qui émettent le plus de CO2, ou qui délèguent en quelque sorte leurs émissions aux pays dont ils importent la production pour leur consommation. C’est aussi le cas si l’on observe les émissions de CO2 sur le long terme, pour pointer la responsabilité historique des pays occidentaux.
Ce sont aussi les classes sociales les plus riches qui ont les comportements les plus polluants, contrairement d’ailleurs à une idée répandue. Ce sont eux, par exemple, qui utilisent le plus la voiture ou l’avion. Les classes sociales les plus pauvres sont quant à elles déjà touchées par une sobriété subie, imposée : consommer moins, se chauffer moins... Enfin, ce sont quelques grandes entreprises qui sont responsables de la majorité des émissions mondiales de gaz à effet de serre : principalement les producteurs d’énergies fossiles, pétrole, charbon et gaz naturel. Leurs noms : Gazprom, Suncor, ExxonMobil, Total ou Shell.
Inversement, ce sont les pays et les classes sociales les plus pauvres qui paient et paieront le prix de la crise écologique. Ce sont par exemple les pays dont le climat est déjà le plus chaud, ou les zones tropicales, plus fragiles. Ce sont aussi les pays du Sud, et les populations déjà les plus vulnérables, qui ont le moins de ressources économiques pour faire face au changement climatique. Au contraire, les classes sociales les plus aisées, les pays les plus riches, auront davantage les moyens d’affronter l’inflation résultant des pénuries, de se préparer aux risques, y compris par des moyens qui aggravent le problème, comme l’installation généralisée de systèmes de climatisation pendant les épisodes caniculaires.
Aujourd’hui, la lutte écologique est donc l’un des fronts les plus avancés de la lutte des classes. Qu’on souhaite agir sur les causes ou sur les effets de la crise environnementale, on ne peut se passer d’un affrontement avec les classes sociales qui profitent de ce système économique sans en payer les coûts. On ne peut par exemple pas envisager sérieusement de lutter contre le réchauffement climatique sans mesures contraignantes pour les entreprises, ce à quoi les gouvernements se sont jusqu’à présent refusés. Mais il s’agit aussi d’imposer une autre société pour combattre les inégalités entre celles et ceux qui sont et seront les plus touchés, et les autres. C’est une reconversion écologique et sociale globale qu’il faut imposer, qui soit en même temps le levier vers plus de justice, plus de bien-être, moins d’exploitation des ressources et des habitant·es de la planète.
Pour aller plus loin : un manuel accessible pour maîtriser et transmettre les connaissances, issues de différentes sciences, utiles à la compréhension de la crise écologique : Pierre Charbonnier, Culture écologique, Paris, Presses de Sciences Po, 2022.

1. Voir le site du Stockholm Resilience Centre de l’Université de Stockholm, qui a popularisé cette approche en matière de limites planétaires :
stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries.html