Déclaration du Conseil fédéral de SUD éducation sur le télétravail et l’enseignement à distance

3 avril 2020

 

La « continuité pédagogique » : un dangereux mirage qui met en lumière de nombreux dysfonctionnements

1) Quelles inégalités entre les élèves et entre les familles ?
La fracture sociale, associée à la fracture numérique, est particulièrement visible en cette période de confinement. Les inégalités qui s’accentuent entre les élèves sont diverses :

  • - matérielles d’abord, par l’inégal accès des familles aux outils numériques (ordinateur, Internet, imprimante, etc.) et éducatifs (crayons, puzzles, livres, etc.). Des élèves ont accès à des moyens matériels pour travailler, d’autres non. L’école publique et gratuite, en ne fournissant pas le matériel nécessaire à la scolarité des enfants, ne remplit pas son rôle.
  • - d’accompagnement et d’accès aux codes de l’école enfin, car travailler seul.e est particulièrement difficile pour les élèves. Or, ils et elles ne bénéficient pas tou.tes de la présence ni des compétences d’un.e adulte pour les aider. Entre l’enfant d’un membre du personnel soignant -au contact d’enseignant.es tous les jours- et l’élève dyslexique qui ne peut plus bénéficier de la présence d’un.e AESH à ses côtés, le fossé est immense. De plus, de nombreux parents vivent cette continuité pédagogique comme une violence. Faire découvrir de nouvelles notions, c’est une tâche très lourde - voire irréalisable - que l’institution impose aux parents, et qui repose d’ailleurs très souvent sur les mères. La culture scolaire et les attendus de l’école s’acquièrent en son sein. Comment aider son enfant lorsqu’on ne parle et ne lit pas le français ? Comment ne pas se sentir démuni·e en pareille situation ?
    À tout cela s’ajoute la problématique de la surexposition aux écrans. S’ils peuvent être occasionnellement de bons outils pour les élèves, l’impossibilité de raisonner leur utilisation en cette période de confinement questionne et pose un réel problème de santé publique.

La réalité de ces inégalités est bien connue du gouvernement qui, hors temps de crise, propose de timides alternatives pour en atténuer les effets : interdiction des devoirs écrits à l’école primaire, dispositif "devoirs faits" au collège, reconnaissance du droit de certain.es élèves à bénéficier d’une aide humaine à l’école, etc. Pourtant, en cette période de crise, l’institution refuse de tenir compte des besoins spécifiques des élèves et de leurs familles, au motif d’une "continuité pédagogique" irréalisable.

2) Quelles problématiques pour les enseignant.es et l’école publique ?
L’école à la maison, ce n’est pas l’école ! La « continuité pédagogique » est un terme galvaudé. Comment résumer la « pédagogie » à un simple enseignement à distance qui consiste à envoyer des cours et des exercices à des enfants qui vivent des réalités très différentes à la maison ? C’est dévaluer l’essence même de notre métier, l’enseignant·e n’est pas un guide lointain et bienveillant. Rien ne vaut les interactions et les échanges permanents au sein de la classe dans le processus d’apprentissage.

Les moyens mis à la disposition des enseignant.es sont de toute façon insuffisants pour ce semblant de classe à distance. Les serveurs de l’Éducation Nationale saturent très régulièrement, contraignant certain·es collègues à passer des heures devant leur ordinateur personnel pour finalement devoir se tourner vers les services Framasoft (eux aussi saturés) ou encore les GAFAM. Aussi, les enseignant·es ne sont pas formé·es pour faire classe de cette manière. De plus, l’Éducation Nationale n’a jamais équipé les professionnels en matériel informatique. C’est un problème constaté de longue date, qui prend toute son ampleur en ce moment.

3) Quelles conséquences politiques ?
La pratique du télé-travail dans l’éducation nationale n’a pour effet que d’aggraver les inégalités sociales et scolaires. C’est la promesse d’une école à moindre coût qui réduit le temps présentiel et qui demande à ses personnels d’utiliser son matériel personnel pour faire classe. C’est la promesse d’une école qui individualise les parcours professionnels, cassant ainsi les dynamiques d’organisation collective des travailleurs·ses. C’est un pas de plus vers la privatisation de l’école et la promesse de nouveaux marchés pour les entreprises qui commercialisent les produits nécessaires au télétravail. Dans le contexte politique actuel, où les gouvernements successifs entendent faire rimer école avec rentabilité, il est absolument nécessaire de rester vigilant.es face à l’évolution de ce genre de pratiques et la tentation de les rendre pérennes.

Au regard de tous ces constats, il semble donc nécessaire de réaffirmer que le travail à la maison ne peut pas être le même que celui mené en classe. En cela, il est important que les travaux donnés aux élèves soient allégés et qu’ils ne fassent pas l’objet, dans le secondaire, d’une évaluation notée. De plus, si "continuité pédagogique" il y a, elle doit s’en tenir à la révision et au renforcement de ce qui a déjà été appris, ou à la mise en place d’activités décrochées des programmes scolaires. Contrairement à ce qui est suggéré dans les "fiches d’accompagnement pour la mise en œuvre de la continuité pédagogique" sur Éduscol, elle ne doit en aucun cas concerner l’acquisition de nouvelles notions.

SUD éducation s’oppose à toutes les évaluations à distance. Ces dernières exacerbent les inégalités sociales et géographiques (notamment en termes de moyens matériels et de connexion à Internet) et donc n’assurent aucune égalité entre les élèves/étudiant·es. De plus ces évaluations à distance ouvrent la voie, selon les recommandations ministérielles, à une surveillance par webcam, faisant peser des risques de surveillance généralisée.

SUD éducation soutient donc toutes les initiatives actant l’impossibilité de tenir les évaluations en raison de l’urgence sanitaire : annulation, neutralisation, validation automatique, etc.

Nous affirmons également la nécessité absolue de respecter les consignes de sécurité relatives à la distanciation spatiale. Sous prétexte de pallier les inégalités d’accès au travail sous format numérique, nous ne pouvons pas obliger des familles à se déplacer (ni à l’école, ni à la boulangerie du quartier !). La continuité pédagogique ne doit pas se faire au prix d’une mise en péril de la santé des familles et des personnels.