Précarité et handicap : de l’école au monde du travail

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Brochure Ecole, inclusion et handicap

 

Précarité et handicap : de l’école au monde du travail

2,8 millions de personnes en âge de travailler ont une reconnaissance administrative d’un handicap ou d’une perte d’autonomie. Selon les chiffres de 2021 de la Drees, 19 % des personnes handicapées vivent sous le seuil de pauvreté contre 13 % dans la population générale. Les personnes handicapées travaillent davantage à temps partiel et sont également surreprésentées parmi la population au chômage : 16% contre 8% dans le reste de la population. Ces chiffres interrogent : comment expliquer la précarité dans laquelle vivent les personnes handicapées dans notre société ?

Précarité et exploitation au travail

La loi de 1987 crée l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées) qui a, officiellement, pour but de favoriser l’insertion professionnelle et le maintien dans l’emploi des personnes handicapées dans les entreprises du secteur privé, ainsi que le minimum de 6% de personnes handicapées dans l’effectif des entreprises d’au moins 20 salarié·es. L’obligation était toutefois portée à 10% avant 1987. Cette obligation s’impose aussi bien aux entreprises privées, qu’aux administrations publiques ou encore aux collectivités territoriales.

Pour s’acquitter de cette obligation d’emploi, l’employeur peut soit employer directement des personnes bénéficiaires de l’OETH, soit passer des contrats de fourniture, de sous-traitance ou de prestations de service avec le secteur adapté, le secteur « protégé » (les ESAT) ou des travailleurs indépendants handicapés, soit accueillir des stagiaires handicapés, soit en versant une contribution à l’AGEFIPH, soit en appliquant un accord de branche, d’entreprise, d’établissement, ou de groupe, prévoyant un programme annuel ou pluriannuel en faveur des personnes handicapées. Ces mesures sont très largement insuffisamment contraignantes pour les employeurs puisqu’en 2020 on ne comptait que 3,5% de personnes handicapées parmi les salarié·es du secteur privé. L’Agefiph s’est fixé pour objectif une augmentation de 150000 à 200000 salarié·es handicapé·es, soit un taux de 4%, pour 2024 afin de lutter contre le chômage et la précarité.

Les personnes handicapées sont employé·es sur des postes ordinaires grâce à des lois de discrimination positive et de quotas qui doivent permettre de favoriser l’emploi, mais aussi sur des postes subventionnés, lorsque les employeurs reçoivent des aides publiques pour compenser les surcoûts importants liés à l’adaptation d’un poste de travail pour un·e salarié·e handicapé·e, et sur des postes du « secteur protégé », c’est-à-dire dans les institutions, les ESATS.

 

Les ESATS font l’objet de critiques virulentes de la part des militant·es antivalidistes qui les décrivent comme des lieux d’exploitation et de violences à l’encontre des travailleurs et des travailleuses handicapé·es. Cette violence est par ailleurs décrite par Thibault Petit dans son récent livre Handicap à vendre, fruit d’une enquête de 6 ans sur les rouages du travail en ESAT. 1500 ESATS accueillent 120 000 personnes handicapées psychiques ou cognitifs à 90%. L’état désigne des unités de sous-traitance pour les entreprises qui font travailler des personnes handicapées sans leur reconnaître le statut de salarié. Les travailleurs et les travailleuses des ESATS perçoivent un salaire dont le montant représente en moyenne seulement 11% du Smic. Avec l’aide que l’État verse à l’établissement, le revenu mensuel atteint 715 euros nets pour 35 heures de travail hebdomadaire. Les travailleurs et les travailleuses des ESATS ne sont pas considéré·es comme des salarié·es mais comme des usager·es pour qui le Code du travail ne s’applique pas : pas de droit de grève, pas de conventions collectives. Ici l’exploitation se pare du vocable « d’action sociale ». Le secteur de l’emploi « protégé » est extrêmement rentable pour les entreprises car en sous-traitant aux ESATS, les entreprises sont libérées de l’obligation d’emploi de 6% de salarié·es handicapé·es au sein de l’entreprise. La loi de 1987 portant le quota de 10% à 6% a fait la promotion des ESATS, ainsi le recours à ces institutions permet aux entreprises qui ne respectent pas le quota, pourtant abaissé, de ne pas être sanctionnées. Les conditions de travail sont souvent éprouvantes en ESAT : les tâches sont répétitives et l’environnement de travail paternaliste est propice aux violences, aux humiliations et aux brimades. Dans les ESATS, les travailleurs et les travailleuses handicapé·es sont largement dépossédé·es de leur pouvoir de décider, la parole leur est confisquée.
L’ONU a dénoncé les conflits d’intérêt omniprésents dans les institutions françaises. Ainsi à la MDPH, l’UNAPEI siège à la fois en tant qu’association gestionnaire et en tant qu’association de défense des intérêts des personnes handicapées, il en est de même dans la gestion des ESATS. L’obtention de droits pour les travailleurs et les travailleuses des ESATS est un enjeu majeur pour le monde du travail. Pour aller encore plus loin dans l’exploitation, des ESATS hors les murs sont actuellement en train de se développer afin d’amplifier les possibilités d’exploitation des personnes handicapées par les entreprises, tout en « se donnant bonne conscience » .

L’école, antichambre de l’exploitation ?

Après avoir fait le constat d’une pauvreté plus forte des personnes handicapées, il reste à interroger la responsabilité de l’école. À la rentrée 2022, on compte 430000 élèves en situation de handicap dont 67000 en établissements hospitaliers ou en instituts médico-sociaux. Le service public d’éducation compte 10 272 dispositifs d’unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS). En IME comme dans les écoles, collèges et lycées, les personnels dénoncent le manque de moyens, de personnels et de formation.

L’école, comme les IME, préparent les personnes handicapées à un monde du travail largement discriminant à leur égard : les élèves handicapés sont davantage voué·es à occuper des emplois plus pénibles et moins bien rémunérés. 74% des bénéficiaires de l’obligation d’emploi sont des ouvrier·es et des employé·es contre 50% de la population générale. On remarque que l’orientation dans les différents « parcours » de formation résulte en partie de la position sociale de la famille des élèves : plus les élèves sont issu·es d’un milieu favorisé, plus ils et elles seront scolarisés dans des classes ordinaires, plus les élèves sont issu·es d’un milieu défavorisé, plus ils seront accueillis dans des institutions spécialisés.

En IME, les élèves bénéficient en moyenne de 6h de cours par semaine, pour un tiers d’entre elles et eux le temps scolaire ne dépasse pas une journée par semaine, voire une demi-journée. De nombreux collectifs militants antivalidistes s’appuient sur des rapports internationaux comme ceux de l’ONU pour revendiquer la fermeture des IME et le transfert de leurs moyens et des personnels dans le service public d’éducation. Ces collectifs considèrent que les institutions telles que les IME participent du système de ségrégation et d’enfermement des personnes handicapées et de maltraitance à leur égard. Ces centres ne préparent pas les personnes handicapées ni à une vie sociale autonome ni à exercer un métier. En France, on compte 30 0000 enfants et adultes qui vivent en établissement, séparé·es du reste de la société.
Lorsque les enfants handicapé·es sont scolarisé·es en milieu ordinaire, ils et elles peuvent, au terme d’un parcours semé d’embûches, rejoindre soit une Ulis, soit bénéficier d’un accompagnement par un·e AESH. Si le ministère prévoit l’ouverture d’Ulis dans les lycées généraux, on remarque que le déploiement des Ulis témoigne d’une surreprésentation des élèves handicapés dans des filières dévalorisées qui conduisent à des métiers mal rémunérés. Les Ulis sont principalement implantées en école, en collège et en lycée professionnel et très peu en lycée général. Ainsi les élèves handicapés sont davantage orienté·es en lycée professionnel soit dans des filières dévalorisées (PSR par exemple) soit en fonction de la présence d’une Ulis et non d’un choix de filière : l’orientation des élèves handicapés semble par conséquent davantage subie. La fermeture des filières générales aux élèves handicapé•es conditionne la poursuite de leurs études et leur avenir professionnel. En 2019, on ne compte qu’1,6% d’étudiant·es handicapé·es à l’université. Ce constat doit nous interroger sur la place des élèves handicapés à l’école et le rôle des dispositifs qui les accueillent. L’enseignement spécialisé hors de la classe, dans les instituts ou dans les dispositifs Ulis, est externalisé, relégué hors de l’espace normatif de la classe ordinaire. On peut penser que, parce qu’il y a un « ailleurs », un espace hors de la classe adapté aux élèves handicapé•es, l’institution a tendance à considérer que si un élève a des difficultés, s’il ne « s’adapte » pas, alors sa place n’est pas en classe mais dans cet “ailleurs”, l’Ulis, l’IME, la classe relai ou encore la Segpa, sans remise en question de l’espace normatif de la classe. On retrouve les mêmes mécanismes que dans le monde du travail : la non-adaptation de l’entreprise aux salarié·es handicapé·es justifie le recours à « l’emploi protégé » dans les Esats, alors qu’en réalité, tant qu’il y aura des Esats, les entreprises n’adapteront pas les conditions de travail aux salarié·es handicapé·es. De même, à l’école, l’existence de dispositifs ou de structures spécialisées dédouane l’institution de transformer l’école pour la rendre accessible aux élèves handicapé•es. Militer pour la scolarisation des élèves handicapé•es dans les classes ordinaires conduit d’une part à revendiquer les moyens de cette scolarisation, à commencer par une baisse du nombre d’élèves par classe et la présence de personnels spécialistes du handicap, et d’autre part à transformer nos pratiques pédagogiques.

Les conditions de scolarisation des élèves handicapés conditionnent leur avenir professionnel. À nous, personnels de l’Éducation nationale, de nous battre pour revendiquer les moyens de leur donner les mêmes chances qu’aux autres élèves, pour que les élèves handicapé·es aient accès à une véritable scolarité.

L’obligation d’emploi des travailleurs et des travailleuses handicapé·es dans l’Éducation nationale, ça donne quoi ?

Dans l’Éducation nationale, on compte seulement 3,5 % de personnels handicapés. Ces personnels sont largement discriminés dans leur vie professionnelle. On compte peu de mesures d’adaptation et celles-ci sont sans cesse remises en cause et soumises à des réévaluations. Les personnels en situation de handicap sont trop souvent dépendant·es du bon vouloir de leur hiérarchie dans l’adaptation de leurs conditions de travail sans que la médecine du travail, réduite à peau de chagrin (80 médecins pour 1 million de personnels) ne puisse jouer réellement son rôle. Par ailleurs, la politique de rémunération au mérite et d’augmentation des heures supplémentaires est largement défavorable aux personnels handicapés dont l’augmentation du temps de travail nuit davantage à leur santé. Le manque d’adaptation des conditions de travail a pour conséquence une fatigue supplémentaire, pourtant les personnels handicapés sont plus mal noté·es par leur hiérarchie qui leur reproche plus souvent un manque d’investissement dans les projets de l’établissement par rapport à d’autres collègues valides.

 

Sommaire

Dossier - Histoire d’une école pas vraiment inclusive

La problématique de la Troisième République
Les filles et le système scolaire français : une intégration longue et laborieuse
L’école de Jules Ferry : colonialiste et raciste
Le développement de l’enseignement spécialisé
Le défi d’une école vraiment inclusive

Depuis la loi de 2005 : quel changement ?

Dossier - Quelles revendications pour les personnes handicapées à l’école ?

Interview de militant-e-s du CLHEE
Retour sur la mobilisation pour l’école inclusive dans le 44
Une école inclusive, qui pourrait être contre ?
AESH : un accompagnement très précaire
Étudiant·es et personnels en situation de handicap dans l’ESR

Dossier - Les personnels handicapés : droits et conditions de travail

Droits des personnels en situation de handicap à l’Éducation nationale
Conditions de travail des personnels en situation de handicap
Dossier : Précarité et handicap : de l’école au monde du travail
Précarité et exploitation au travail
L’école, antichambre de l’exploitation ?

En Italie, «inclusion» signifie économie, précarité et privatisation

Entretien avec le collectif handi-féministe des Dévalideuses

Dossier - Les dispositifs d’inclusion scolaire

Boite à outil

Nos revendications