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Les étudiant·es en situation de handicap à l’université : état des lieux, sélection et discriminations visibles et invisibles... peut (largement) mieux faire !
Depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, le nombre d’étudiant·es en situation de handicap (ESH) a été multiplié par 5 dans les établissements de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR). En 2019, on comptait près de 40 000 ESH déclaré·es soit 1,82% de la population étudiante. Il faut cependant rester prudent puisque ce chiffre ne reflète non pas la population d’ESH mais bien celle qui s’est déclarée auprès des structures handicap de leur établissement.
Par ailleurs, les ESH se répartissent de manière inégale et orientée au sein des filières et des niveaux : sur-représenté•es en Licence et dans les études courtes (BUT), les ESH le sont aussi dans les filières de sciences humaines et sociales (SHS), quand des procédures de ségrégation voire de quasi-exclusion (Médecine) peuvent encore exister au sein de certaines filières. On constate aussi au niveau national une surreprésentation des ESH femmes (57%). Des disparités discriminantes qui perdurent donc malgré l’obligation de garantir des mesures de compensation du handicap pour les établissements.
Comme le reste de la société, les universités se sont tout d’abord centrées sur les handicaps visibles (et principalement moteurs) et donc sur les questions d’accessibilité physique des locaux. Cette approche reste pourtant largement validiste puisqu’elle vise à simplement éliminer quelques obstacles tout en restant dans un environnement inhospitalier et difficile (voire agressif) pour les ESH. Pire, elle ne prend jamais en considération les diverses formes de handicap psychique (états dépressifs, encombrement psychique…). Il ne suffit pas de pouvoir se rendre en cours pour que soient réglées toutes les questions d’accessibilité à l’ensemble des activités liées à l’enseignement, à la pédagogie et à la recherche. En parlant « d’étudiant·es en situation de handicap », il s’agit de mettre l’accent sur l’interaction entre une personne et ses caractéristiques individuelles et son environnement, à rebours des notions libérales individuelles, de normes mais aussi d’une approche universaliste qui certes publicise l’accessibilité de l’environnement universitaire, mais en tentant de tout normaliser sans prendre en compte l’ensemble des interactions qui se jouent entre les ESH et l’ensemble de la communauté universitaire.
Dans cette acceptation « interactive », la question du handicap devient une question principalement sociale et non plus médicale. À l’Université pourtant, l’accompagnement des ESH relève de quelques personnels des structures handicap et des services de santé des étudiant·es (SSE) et de quelques enseignant•es référent•es alors que celui-ci devrait être pris en charge collectivement. C’est à l’ensemble de la communauté universitaire, des étudiant·es aux enseignant•es en passant par les personnels BIATSS de prendre en compte et en charge cette dimension de la vie sur un campus et dans les salles de cours.
Mais cela ne pourra se faire sans moyens supplémentaires conséquents alloués. Comme dans l’Éducation nationale, l’Université « inclusive » a plus été un slogan qu’une réalité. Avec 65% des jeunes entre 15 et 24 ans en situation de handicap sans diplôme contre 15% des jeunes au sein de cette tranche d’âge, la formule politique oxymorique « d’égalité des chances » manifeste ici toute sa vacuité. En réalité, soit c’est « l’égalité » et le MESRI comme les établissements doivent mettre en place toutes les mesures d’accompagnement et de compensation du handicap, soit c’est « les chances » et donc, dans les faits, des mécanismes de sélection invisibles (quand ils ne sont pas ouvertement visibles dans certaines filières).
Accompagné·es un peu plus individuellement (malgré toutes les limites pointées dans ce dossier) lors de leurs études secondaires, les ESH subissent plus difficilement que les autres néo-étudiant·es la transition dans l’ESR. Cette transition est marquée par une certaine complexité, une demande d’autonomie, une variabilité nécessaire, une souplesse... tant d’aspects de la vie universitaire qui sont profondément inégalitaires au regard de plusieurs critères : sociaux, de genres, géographiques... et bien évidemment de handicap. Plus que les autres étudiant·es, les ESH réfléchissent plus rapidement en termes de ce qui est « possible », « réalisable », « accessible » pour elles et eux.
On voit bien ici qu’il ne suffit donc plus de simplement délimiter quelques places handicapés ou équiper quelques amphis de boucles magnétiques pour prendre en compte toute la diversité des situations de handicap des ESH et répondre à leurs besoins dans une perspective d’inclusion, toutes les barrières visibles ou invisibles et toutes les limitations matérielles comme pédagogiques que subissent les ESH.
Sans moyens, l’université inclusive n’est qu’un slogan
Si le nombre d’ESH a été multiplié par 5 depuis 2005, les moyens et les ressources n’ont pas suivi cette trajectoire. Que ce soit en termes de ressources humaines au sein des structures handicap (chargé·es d’accompagnement handicap) et des SSE ou en termes de budget alloué pour l’ensemble des mesures au sein des établissements de l’ESR. Partout, il manque de salles, il manque de surveillant-es d’examens, de scribes ou de lecteurs et lectrices, des emplois du temps adaptés...
Dans les faits cela se traduit donc par une automatisation des mesures de compensation et trop souvent, du bricolage. Les mesures de compensation, d’aménagement et d’adaptation peuvent prendre diverses formes : temps majoré pour les examens, matériel pédagogique adapté, aides humaines et techniques, accompagnement pédagogique... Malheureusement, par manque de temps et de personnels, ces mesures ont tendance à être plus automatiques que pensées individuellement pour chaque ESH, sans parler d’un manque criant de bilans collectifs sur la faisabilité et l’intérêt (ou non) de ces mesures.
Du côté enseignant•es, celles et ceux ci sont trop souvent mis·es devant le fait accompli de devoir adapter leurs cours et leurs examens, sans réflexion commune, sans compréhension parfois des enjeux, sans formation spécifique, en grande partie faute de moyens supplémentaires accordés. Les référent·es handicap des composantes ne se voient dégager aucun volume horaire d’enseignement pour ce travail qui relève donc plus du bénévolat que d’une véritable mission professionnelle (inscrite pourtant dans le Code de l’éducation). Dans ces conditions, on fait bien souvent « au mieux », au détriment des droits des ESH.
Lors de son congrès de 2022, SUD éducation a adopté cette base revendicative à ce sujet :
- le recrutement conséquent et la formation de personnels au sein des services de médecine préventive et des structures handicap,
- des dotations horaires et une formation pour les EC assurant le suivi des ESH,
- une réflexion et prise en charge collective des ESH par l’ensemble de la communauté universitaire.
Et du côté du personnel ?
Depuis 1987, l’État comme tout employeur se doit d’atteindre 6% d’agent-es en situation de handicap dans ses administrations. Et dans l’ESR comme dans la majorité des cas, on est loin du compte. Tout simplement parce que l’état a créé les conditions pour y déroger, en permettant aux établissements publics de cotiser aux FIPHFP (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique) et ne pas satisfaire ces 6%. Selon les bilans sociaux du MESRI, le taux d’emploi de personnel en situation de handicap (PSH) tourne autour de 3%. Mais avec ici aussi des disparités tranchantes : moins de 1% des EC et C sont en situation de handicap.
Que ce soit via la voie normale du concours ou via la voie contractuelle spécifique (BOE) le bât blesse : en 2018 seuls.... 5 postes ont été pourvus pour des EC en situation de handicap. Ainsi, on le sait, souvent, sans intervention volontaire des organisations syndicales, la vigilance et la formation aux recrutements de PSH /personnels en situation de handicap par la voie normale ou la voie contractuelle restent bien insuffisantes dans l’ESR.
Pour l’ensemble des PSH, le droit à la compensation - article 11 de la loi du 11 février 2005 - est un dispositif spécifique ou un ensemble de mesures apportées à une personne bénéficiant d’une RQTH. Mais celle-ci ne se résume pas à une prestation financière ou à un aménagement technique de poste. Elle doit être appliquée tant en matériel adapté qu’en aménagement de temps de travail et d’objectifs assignés et/ou d’accompagnement humain, sans pour autant pénaliser les équipes.
Avec la dite « modernisation de la Fonction Publique », les suppressions de postes et le nombre d’agent-es en souffrance se multiplient, et parmi elles et eux se cachent notamment des PSH ou en arrêt de longue maladie. Que ce soit à travers le télétravail « imposé » ou le travail isolé, ces dispositifs, loin de trouver des solutions aux questions de handicap, restent trop souvent des palliatifs qui à terme contribuent à un éloignement des collectifs de travail et sont donc constitutifs de discriminations.
Renforcer l’accompagnement de proximité doit être une priorité dans les services : toute prise en charge ou compensation du handicap implique comme condition sine qua non de créer localement, voire sur chaque site, une fonction de référent·e ou correspondant-e, occupée par une personne compétente et suffisamment formée. Afin que le droit à la compensation soit appliqué dans toutes ses dimensions, les établissements doivent garantir :
- Un·e référent-e handicap de proximité, en capacité d’intervenir sur chaque site pour s’assurer du bien-être au travail des PSH et de leurs collègues.
- Un aménagement du temps de travail pour les PSH (journées de travail à durée réduite définie par la médecine de prévention, afin de tenir compte de la fatigue liée au handicap, non subie par les autres collègues)
- Une réorganisation du travail et une adaptation des postes de travail intégrant aussi celui occupé en télétravail - pour cela, des moyens financiers nécessaires doivent donc être débloqués.
- Le dégagement de moyens supplémentaires pour l’ensemble des professions impliquées par le suivi du handicap (médecine du travail, ergonomie, prévention…) et par la sauvegarde des missions des CHSCT, mises en péril par le gouvernement via la LTFP.
Sommaire
Dossier - Histoire d’une école pas vraiment inclusive
La problématique de la Troisième République
Les filles et le système scolaire français : une intégration longue et laborieuse
L’école de Jules Ferry : colonialiste et raciste
Le développement de l’enseignement spécialisé
Le défi d’une école vraiment inclusive
Depuis la loi de 2005 : quel changement ?
Dossier - Quelles revendications pour les personnes handicapées à l’école ?
Interview de militant-e-s du CLHEE
Retour sur la mobilisation pour l’école inclusive dans le 44
Une école inclusive, qui pourrait être contre ?
AESH : un accompagnement très précaire
Étudiant·es et personnels en situation de handicap dans l’ESR
Dossier - Les personnels handicapés : droits et conditions de travail
Droits des personnels en situation de handicap à l’Éducation nationale
Conditions de travail des personnels en situation de handicap
Dossier : Précarité et handicap : de l’école au monde du travail
Précarité et exploitation au travail
L’école, antichambre de l’exploitation ?
En Italie, «inclusion» signifie économie, précarité et privatisation
Entretien avec le collectif handi-féministe des Dévalideuses
Dossier - Les dispositifs d’inclusion scolaire
Boite à outil
Nos revendications