L'Enseignement Supérieur et la Recherche tiennent grâce à la précarité
Depuis des années, l'enseignement supérieur ne tient plus que par l'exploitation de ses précaires. Avec l'autonomie des universités, la baisse des dotations publiques et la destruction des contrats publics, de plus en plus de précaires sont engagé·es par les universités pour boucher les trous dans les services et assurer les enseignements. C'est notamment dans les premiers cycles que ces enseignements sont effectués, là où les effectifs sont les plus nombreux et où les enseignements sont les moins adaptables aux volontés des enseignant⋅es, et les moins "prestigieux" selon les hiérarchies universitaires. Les précaires y représentent parfois plus de 70% des enseignant⋅es.
La Loi de Programmation de la Recherche (LPR) vient pérenniser cet état de fait, en détruisant les postes de fonctionnaires au profit de nouveaux contrats temporaires (chaires juniors et contrats de projet). De manière plus générale, le renforcement de la recherche par projets, financée par des entreprises ou des dispositifs nationaux ou européens (ANR, ERC…) nuit à la liberté des enseignant⋅es-chercheur⋅ses, en les faisant dépendre d’intérêts privés ou politiques.
Mais l'exemple du COVID a prouvé qu'il était essentiel de pouvoir mener des travaux de recherche fondamentale sur le temps long, en ayant donc des contrats pérennes et bien rémunérés, en étant libre de ses conditions de travail et du choix de ses sujets.
Toutes ces réformes conduisent à renforcer le fonctionnement de la recherche sur le temps court, en répondant à des impératifs de rentabilité et d'efficacité.
Chez les BIATSS également, la précarité est devenue le nouveau mode de gestion dominant. Elle permet de faire des économies en réduisant les salaires ou les possibilités d'évolution de carrière. C'est également un moyen pour imposer plus facilement les méthodes du management néolibéral, en renforçant l'autorité des petits chefs dont le pouvoir est garanti par le turnover massif des équipes, et par la menace constante du licenciement.
Précarité économique et précarité de statut, les deux faces d'un même problème.
Les réformes qui détruisent l'université publique depuis ces 15 dernières années utilisent la précarisation comme une arme économique et politique.
Économique, car la précarité touche d'abord la fiche de paie. Grilles de salaire ou paiement de l'heure de cours inférieures à celle des fonctionnaires, paiements avec plusieurs mois de retard, privation de nombreuses primes, alternance avec des périodes de chômage, pas d'ancienneté…
Les précaires sont avant tout des travailleuses et travailleurs pauvres de l'université. Les vacataires enseignant·es sont payé‧es 41,41€ brut de l'heure. Si l’on ajoute ces tâches, leur rémunération passe en dessous du SMIC horaire.
Sur les postes des trois filières BIATSS (ITRF, Bib et SAENES), les universités recourent de plus en plus au contrat (CDD ou CDI), lequel signifie une protection juridique plus faible ainsi que des conditions de travail, des écarts de rémunérations, des déroulements de carrière dégradés par rapport aux titulaires de la fonction publique.
Politique, car la précarité concerne aussi nos statuts. La privatisation de services entiers, la succession de contrats courts, la baisse de plus en plus massive du nombre de postes fixes, sont autant de menaces qui pèsent sur l'avenir des précaires, financièrement mais aussi moralement. Il devient de plus en plus difficile d'envisager des carrières au sein de l'université, dans l'administration, l'enseignement ou la recherche, ce qui entraîne de plus en plus de démissions, d'abandons ou de burn-out, et aggrave les problèmes structurels de l'université.
Cette incertitude nous met à la merci des pressions politiques ou économiques des financeurs de nos recherches, de l'avis de nos hiérarchies sur notre travail ou notre action syndicale. L'évaluation croissante dans l'ESR va à l'encontre de l'autonomie professionnelle que nous revendiquons, à l'opposé de celle qui nous est imposée par le ministère : travailleuses et travailleurs, les précaires comme les autres, nous savons très bien faire notre travail !
La précarité nous divise et nous écrase
L'éclatement des collectifs de travail que permet cette diversité de statuts nuit aussi à la mobilisation collective et à la syndicalisation, comme dans d'autres services avant leur privatisation (SNCF, RATP, EDF, Orange…). Les dernier·es à obtenir des statuts pérennes cherchent à tout prix à le défendre, y compris parfois au détriment des plus précaires et de leurs revendications présentées comme "divisant les luttes".
Affirmons au contraire que toute action réellement massive et offensive doit prendre en compte les revendications de la totalité des travailleuses et travailleurs de l'université, a fortiori celles portées par les plus précaires, pour construire collectivement de meilleures conditions de travail pour toutes et tous.
C'est d'autant plus important que les plus précarisé⋅es sont souvent victimes d'autres dominations : femmes, immigré⋅es, non-blanc⋅hes, membres des classes populaires, personnes en situation de handicap forment la majorité de ces contingents qui, du nettoyage aux emplois administratifs en passant par la sécurité ou l'enseignement, assurent le quotidien du travail universitaire.
Victimes du racisme, du patriarcat, du mépris de classe, la précarité nous rend invisibles aux yeux de nos collègues, de nos chef⋅fes, des étudiant⋅es et du public, alors que nous sommes partout à l'université.
Elle nous rend inaudible politiquement, dans les conseils centraux des universités et des composantes où se prennent les décisions sur notre avenir : ces instances excluent et ne représentent pas les précaires et l'ensemble des travailleur‧euss non-titulaires
Ces quelques exemples prouvent que, pour améliorer nos conditions de travail, nous devons nous organiser et lutter collectivement, et que cela paie !
Nous ne baissons pas les bras !
Et pourtant, nous sommes bien là, au travail comme à la pointe des luttes.
Ces dernières années, les luttes les plus visibles et victorieuses au sein de l'ESR ont été portées par des précaires.
La lutte des salariées d'Arc-en-Ciel à Sorbonne Université, menée par des femmes précaires et immigrées et soutenue par les syndicats, a permis de faire plier le prestataire privé comme la direction de l'université et d'améliorer les conditions de travail et de rémunération, suite à une grève longue, déterminée et massivement soutenue.
Dans de nombreuses universités, les collectifs de précaires mènent aussi des combats depuis des années pour obtenir des contractualisations, la fin de l'usage abusif des vacations d'enseignement ou celle de frais d'inscription pour ces salarié⋅es de l'université. Dans la même lignée, les luttes des employé⋅es de plusieurs bibliothèques parisiennes sur leur temps de travail ou leurs primes, là encore soutenues par les syndicats, les travailleurs·ses et les étudiant·es des universités voisines, ont aussi été victorieuses.
De vrais statuts, de vrais salaires !
- Pas un salaire en dessous 1700€ nets, un rattrapage immédiat de 400€ et une limitation des écarts de rémunération
- Recruter massivement, dans les services administratifs et les bibliothèques et les équipes pédagogiques comme pour les enseignant⋅es pour répondre aux besoins réels (incluant les remplacements pour arrêts maladie et disponibilités) en postes pérennes.
- Contractualiser toutes et tou⋅tes les doctorant⋅es qui le souhaitent
- Titulariser toutes et tous les contractuel⋅les qui le souhaitent sur poste pérenne, sans condition de nationalité ni de concours. Pour les personnes ne pouvant ou ne voulant pas devenir titulaires (recrutées pour un accroissement temporaire d'activité par exemple), les rémunérer à égalité avec les fonctionnaires
- Réduire le temps de travail : 32h avec maintien du salaire pour les BIATSS, 128h annuelles de cours pour toutes et tous les enseignant‧es-chercheur‧euses, plafonnement des heures supplémentaires
- Alignement de l'équivalence horaire des TP sur celle des TD, comme c'est déjà le cas pour les titulaires
- Ramener les vacations à leur fonction originelle de faire participer des intervenant⋅es temporairement, et pas comme un moyen permanent de combler les trous dans les services
- Arrêter l'externalisation de pans entiers des emplois à l'université (nettoyage, sécurité, administratif…) et les réintégrer sur des contrats publics stables
- Abroger la réforme du chômage
- Réintégrer dans le salaire toutes les primes pour les rendre plus égalitaires et justes, et les intégrer au calcul de la retraite
- Reconnaître l'ancienneté lors de la titularisation
- Arrêter les temps partiels subis et les contrats courts
- Arrêt de la recherche par projets qui maltraite la recherche, favorise les contrats précaires et met les chercheur⋅ses sous pression